Des réponses-clés sur la déchéance des droits sur la marque
L’usage de la marque est-il nécessaire pour maintenir ses droits en vigueur ?
Oui. L’usage de la marque est nécessaire pour conserver ses droits.
Cette règle est posée, indirectement, à l’article L. 714-5 du code de la propriété intellectuelle qui dispose :
« Encourt la déchéance de ses droits le propriétaire de la marque qui, sans justes motifs, n’en a pas fait un usage sérieux, pour les produits et services visés dans l’enregistrement, pendant une période ininterrompue de cinq ans ».
La déchéance est la perte de ses droits exclusifs sur la marque. Le signe tombe dans le domaine public et redevient à la disposition de tous.
Cette sanction n’est encourue qu’à l’issue d’un délai de cinq années d’inactivité. Lorsque la marque n’a jamais été exploitée, le délai court à compter de la publication de l’enregistrement au bulletin officiel de la propriété industrielle (BOPI) ; lorsque la marque a été exploitée et a cessé de l’être, le délai court à compter du dernier acte d’exploitation sérieux.
Si l’usage de la marque est repris après une inexploitation prolongée, la déchéance sera évitée. Néanmoins, s’il intervient dans les trois mois précédant la demande de déchéance et après que le propriétaire ait eu connaissance de l’éventualité de la demande, autrement dit durant une période considérée comme suspecte, il ne permettra pas de tenir en échec la déchéance.
La déchéance est-elle automatique ?
La déchéance n’est pas automatique, elle doit être demandée au juge judiciaire.
Cela intervient soit directement dans le cadre d’une demande principale, le plus souvent cela est précédé par une mise en demeure d’avoir à justifier de l’usage d’une marque. Cette situation se rencontre lorsqu’une entreprise, dans le cadre de recherches d’antériorités avant de déposer une marque, relève l’existence d’une marque antérieure mais, après vérification, relève que celle-ci est inexploitée. Pour s’assurer néanmoins de libérer le signe, elle agit donc en déchéance.
Le plus souvent, la déchéance est soulevée en défense dans le cadre d’une action en contrefaçon. Il est vrai que, lorsque la demande aboutie, l’effet est radical : plus de marque, plus de contrefaçon. C’est le cas le plus fréquent.
L’usage sérieux de la marque c’est quoi ? Comment le prouver ?
L’article L. 714-5 du code de la propriété intellectuelle mentionne qu’est assimilé à un usage sérieux de la marque : l’usage fait avec le consentement du titulaire, l’usage de la marque sous une forme modifiée, l’apposition de la marque sur des produits ou leur conditionnement exclusivement en vue de l’exportation.
L’usage doit être sérieux, ce qui ne se signifie pas qu’il doit être intense ou massif. Le caractère varie, en fonction du secteur d’activité et des produits et services concernés. Ainsi, il arrive qu’un usage de moindre importance soit néanmoins considéré comme étant suffisant.
Les actes dits préparatoires à l’exploitation, autrement dit les situations dans lesquelles le titulaire de la marque s’apprête à l’exploiter publiquement, permettent également, dans une certaine mesure, d’échapper à la déchéance. Tout est question d’espèces, néanmoins, dans tous les cas, il convient d’établir que la mise sur le marché est imminente et qu’il ne s’agit pas de simples projets.
L’usage peut être le fait du titulaire de la marque, ou celui d’un tiers qui agit avec son autorisation, notamment un licencié (en particulier, lorsque le licencié est exclusif, il est prudent de rappeler contractuellement cette obligation d’usage).
S’il est essentiel d’exploiter la marque, il l’est tout autant de pouvoir le prouver en étant en mesure de fournir de réelles preuves d’usage. La preuve de l’exploitation d’une marque peut être rapportée par tous moyens, par exemple des factures, des bons de commandes, des catalogues, tout élément démontrant l’usage de la marque pendant la période contestée. Un point essentiel réside dans le fait que tous ces éléments devront permettre une datation précise de l’exploitation de la marque. Surtout, les pièces fournies doivent établir un usage à titre de marque, c’est-à-dire pour identifier les produits et services, à l’exclusion de toute autre finalité (par exemple en tant que simple enseigne ou à titre décoratif).
Comment faire lorsque mon signe a évolué et que j’ai des dépôts successifs de marques très proches ?
Le texte de l’article L. 714-5 du code de la propriété intellectuelle admet l’usage de la marque sous une forme modifiée n’en altérant pas le caractère distinctif.
Pendant longtemps, on considérait que ne pouvait se prévaloir de cette disposition la personne qui, pour échapper à la déchéance d’une marque, se prévalait de l’usage d’une autre marque enregistrée se présentant sous une forme modifiée. L’idée qui présidait à cette interprétation consistant à considérer que, du fait du second dépôt, le titulaire de la marque avait bien distingué les marques de sorte que la seconde ne pouvait être considérée comme une simple forme modifiée de la première.
La jurisprudence admet désormais que le titulaire d’une marque menacée puisse en établir l’usage sérieux en faisant état de l’usage d’une autre marque, qui n’est qu’une forme modifiée de la première, peu important que celle-ci soit également déposée. La jurisprudence française a repris la position adoptée par la jurisprudence communautaire (CJUE, 25 oct. 2012, aff. C-553/11, Rintisch) et la solution est désormais installée.
Cette jurisprudence a largement sécurisé les titulaires de marques qui pourront désormais sereinement déposer chacune des évolutions de celles-ci.
La déchéance des droits pose t-elle de véritables problèmes ?
Oui, parce que l’effet premier de la déchéance est la perte des droits exclusifs, en d’autres termes cela signifie que tout le monde peut, en principe, utiliser le signe (des limites existent toutefois).
La sanction est variable : si l’absence d’usage est établie pour tous les produits et services, la perte des droits est totale. En revanche, si elle ne concerne qu’une partie des produits et services, la perte est partielle et ne va concerner que ceux-ci, ie : la marque est maintenue pour les produits et services pour lesquels il en est fait usage.
La déchéance prend effet à compter de la date à laquelle l’absence d’usage sérieux est établie. Il est donc possible que le juge remonte plusieurs années en avant pour dater la prise d’effet de la déchéance.
La perte des droits produit des effets en cascade. Au-delà de l’effet premier et immédiat consistant en la perte des droits, elle peut avoir d’autres conséquences. Ainsi, en va-t-il de la validité des contrats ayant pour objet la marque qui ont pu être consentis au préalable et qui pourront être remise en cause du fait de la perte de la marque (ce qui permet d’insister sur la nécessité de prévoir, dans le contrat de licence, que le licencié s’engage à exploiter la marque).
Recommandations finales
Choisir le bon moment pour déposer sa marque : ni trop tard au risque de se faire prendre de vitesse, ni trop tôt au risque de perdre une marque dont l’exploitation ne sera entreprise que bien après compte tenu du temps nécessaire à la concrétisation du projet.
Opérer une veille régulière de son portefeuille de marque : identifier les marques inexploitées, mesurer l’opportunité de « réactiviver » l’usage pour éviter la déchéance.
Vérifier, en présence d’un portefeuille composé d’un nuage de marques (j’entends pas là une série de marques qui consistent en des déclinaisons), que l’usage de l’une permet d’éviter la déchéance de l’autre, et prendre le soin de le faire pour chacune.
Mesurer la force de sa marque avant d’agir en contrefaçon, pour éviter l’effet boomerang. La déchéance est en effet un argument classique en défense dans un procès en contrefaçon.