Article rédigé par Maître Cédric LENUZZA, Avocat-associé de la SCP SGPL (membre du réseau Simon Avocats), et publié dans les Affiches de Grenoble.
- CHRONOLOGIE D’UNE REFORME
C’est souvent à petits pas très discrets que surviennent des réformes de nature à lézarder des édifices vénérables, considérés comme immuables, tel celui du domaine public…
La loi « Pinel » du 18 juin 2014, qui a modifié de nombreuses règles essentielles du bail commercial, ne devait pas, a priori, porter atteinte au caractère intangible et inaliénable du domaine public sur lequel veillait, jalousement, le Conseil d’état et les Juridictions administratives.
C’était sans compter avec les initiatives parlementaires qui allaient par amendements, jeter les bases d’une reconnaissance juridique de la légalité des fonds de commerce sur le domaine public…
C’est en effet, à l’époque, un premier amendement qui proposait la généralisation du « droit de présentation » au profit des commerçants exerçant dans les halles couvertes et les marchés qui enclenchât le processus de réforme.
Cette proposition, souhaitable sur le plan économique mettait fin au système, parfois suspecté d’arbitraire, des autorisations d’occupation temporaire (A.O.T) exclusivement personnelles.
Celle-ci fut reprise, dans une version moins ambitieuse, par le Gouvernement en combinant la reconnaissance du fonds de commerce sur le domaine public avec le maintien assoupli du régime des A.O.T.
- LES GRANDS PRINCIPES DELA REFORME
Ce sont les articles L2124-32-1 et suivants du Code général de la propriété des personnes publiques (CPPP) qui énoncent les règles applicables à ce nouveau secteur sous la rubrique : « Utilisation du domaine public dans le cadre de l’exploitation de certaines activités commerciales ».
Le principe novateur est posé par l’article 72 de la loi du 18 juin 2014 devenu L2124-32-1 : « Un fonds de commerce peut être exploité sur le domaine public sous réserve de l’existence d’une clientèle propre ».
L’article suivant prévoit la possibilité, par anticipation, de solliciter une autorisation d’occupation temporaire du domaine public de la part de la collectivité compétente dans l’hypothèse d’un projet d’acquisition.
L’article L2124-34 permet en cas de décès de l’exploitant d’obtenir une autorisation d’occupation temporaire provisoire, « pour la seule poursuite de l’exploitation du fonds. »
Cet article est complété par une disposition permettant la présentation d’un successeur dans un délai de six mois.
Enfin, le dernier article souligne de façon très importante : « la présente section n’est pas applicable au domaine public naturel. »
Il s’agit là évidemment d’une disposition contre les restaurants de plage et les « paillotes ».
- ENSEIGNEMENTS DE CES TEXTES
Le législateur est allé bien au-delà des ambitions du projet d’amendement initial.
Le domaine ouvert aux fonds de commerce sur le domaine public recouvre tout l’ensemble du domaine public artificiel !
Ainsi non seulement sont concernés évidemment, les halles et marchés qui constituaient les objectifs initiaux, mais aussi les stations ferroviaires, les métros, les ports et aéroports, les aires d’autoroute aménagées, les parcs aménagés, et même les musées et pourquoi pas les monuments historiques !
Cependant, le terrain concédé à l’initiative économique reste très largement compensé par le maintien du principe de la nécessaire autorisation d’occupation temporaire (A.O.T) concomitante qui permet aux collectivités de conserver théoriquement la maitrise des opérations sous le contrôle des juridictions administratives.
La rédaction définitive de ces articles, volontairement, n’est pas allée jusqu’au bout de la logique qui aurait conduit à valider la possibilité de reconnaître la propriété commerciale sur le domaine public.
Il importe de souligner que seule l’existence d’un fonds de commerce est actée ce qui induit de nombreuses conséquences.
- PROBLEMATIQUES SUSCITEES PAR CETTE INNOVATION
1/ La première difficulté générée par ces textes, et qui peut s’avérer être un véritable piège pour toutes les activités commerciales envisagées, tient dans la condition posée par l’article L2124-32-1 « sous réserve de l’existence d’une clientèle propre ».
La clientèle au sens commun du terme des équipements et aménagements visés ci-dessus n’est pas majoritairement constituée d’achalandage ?
Qu’en sera-t-il de ce que certains qualifient de clientèles captives ou de clientèles incluses ?
2/ Ces dispositions novatrices sont-elles divisibles ou sont-elles réservées globalement a une seule et unique exploitation ?
L’enjeu d’une telle question peut être considérable notamment pour les activités commerciales s’exerçant partiellement sur le domaine public.
A ce titre, se pose naturellement la question essentielle des terrasses et locaux accessoires dont l’intégration dans le fonds de commerce peut générer des plus-values substantielles…
3/ Quelle sera la répartition des compétences entre les différentes juridictions ?
Il va de soi que le tribunal administratif conservera sa compétence naturelle en ce qui concerne l’A.O.T., mais si le problème juridique posé porte exclusivement sur le fonds, les juridictions judiciaires devraient conserver leur compétence…
4/ Qu’en est-il de l’application de ces dispositions nouvelles dans le temps ?
Il est raisonnable de penser que ces règles ne peuvent que s’appliquer à des situations nouvelles sans rétroactivité, c’est du reste ce qui vient d’être jugé par un arrêt du Conseil d’Etat du 24 novembre 2014.
5/ Quelles seront les incidences de cette réforme sur la valorisation des fonds pouvant faire l’objet d’opérations diverses ?
Quelle politique sera développée par les collectivités susceptibles de trouver là de nouvelles sources de financement ?
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Les esprits chagrins et nostalgiques déploreront « l’ubérisation » et le déclin consommé du domaine public traditionnel.
Les tenants de la modernité célébreront cette nouvelle chance donnée au développement du domaine public et l’essor d’un outil économique particulièrement bien venu pour nos collectivités aux finances sinistrées…
Ce seront les orientations dela Jurisprudence, selon que celle-ci se montrera généreuse ou restrictive vis-à-vis de cette innovation, qui permettront de dire si cette initiative ne relève que « d’une tempête dans un verre d’eau », ou si elle constitue l’annonce d’un véritable tsunami juridique conduisant inéluctablement, à moyen terme, à la reconnaissance de la propriété commerciale sur le domaine public !
Cédric LENUZZA
Avocat Associé
Article publié le 29/01/2016 dans les Affiches de Grenoble