CA Paris, 9 janvier 2019, n°16/25000
La Cour d’appel de Paris sanctionne un mandataire automobile ayant fait paraître des annonces de vente de véhicules neufs de la marque Porsche dans un magazine spécialisé, celui-ci ne justifiant ni de sa qualité de mandataire, ni de la licéité de ses approvisionnements, sur le fondement de l’art. L.442-6, I, 6° du C. com. et de la concurrence déloyale.
L’activité de mandataire automobile n’est pas illicite en soi, à condition toutefois pour le mandataire automobile de pouvoir démontrer qu’il intervient réellement en qualité de mandataire pour le compte de l’utilisateur final, dans le cadre d’un contrat de mandat respectant au demeurant les dispositions de l’arrêté du 28 octobre 1996 relatif à l’information des consommateurs sur les prix et services offerts par les mandataires automobiles.
Cependant, des distributeurs hors réseau tentent parfois d’usurper la qualité de mandataire automobile pour justifier la légalité de leurs activités de revente de véhicules neufs. En l’occurrence, la société Porsche France, importateur des véhicules de marque Porsche en France, a eu connaissance d’une annonce publiée dans le magazine Flat 6 du mois de juin 2015 par laquelle M. G. proposait à la vente trois véhicules Porsche neufs.
Or, les véhicules de marque Porsche sont commercialisés au travers d’un réseau de distribution sélective et le contrat de distribution comporte une clause faisant interdiction aux distributeurs agréés de revendre des véhicules de série neufs de la marque Porsche à des vendeurs non agréés.
La société Porsche France a donc mis M. G. en demeure de justifier de l’origine commerciale de ces véhicules neufs, mais ce dernier n’y a jamais répondu et les magazines Flat 6 des mois de juillet et septembre 2015 comportaient de nouvelles annonces concernant les mêmes véhicules. La société Porsche France a donc assigné M. G. devant le Tribunal de commerce de Paris par exploit du 10 novembre 2015, afin de connaître ses sources d’approvisionnement qu’il a refusé de communiquer et de voir sanctionner la violation de son réseau de distribution sélective.
Par jugement du 21 novembre 2016 assorti de l’exécution provisoire, le Tribunal de commerce de Paris a ordonné à M. G. de communiquer à la société Porsche France ses sources d’approvisionnement et les quantités de véhicules Porsche vendus, sous astreinte de 500 euros par jour de retard.
Le Tribunal a, par ailleurs, condamné M. G. à payer à la société Porsche France une indemnité provisionnelle de 30.000 euros, outre 10.000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile et les entiers dépens. M.G. a interjeté appel de ce jugement. Par un arrêt du 9 janvier 2019, la Cour d’appel de PARIS a condamné M. G. à payer à la société Porsche France les sommes de 20.000 euros à titre de dommages et intérêt pour atteinte au réseau de distribution sélective de la société Porsche France, 10.000 euros à titre de dommages et intérêts pour concurrence déloyale et 5.000 euros en application de l’article 700 du Code de procédure civile, outre les dépens d’appel.
La Cour a donc sanctionné le mandataire automobile à la fois sur le fondement de l’article L.442-6, I, 6° du Code de commerce (1) et sur le fondement de la concurrence déloyale (2).
1) Les sanctions prononcées en application de l’article L.442-6, I, 6° du Code de commerce :
Pour rappel, aux termes de l’article L.442-6, I, 6° du Code de commerce :
« I. – Engage la responsabilité de son auteur et l’oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers : (…)
6° De participer directement ou indirectement à la violation de l’interdiction de revente hors réseau faite au distributeur lié par un accord de distribution sélective ou exclusive exempté au titre des règles applicables du droit de la concurrence ».
Pour préserver l’étanchéité de son réseau de distribution, un fournisseur a en effet la possibilité d’interdire à ses distributeurs agréés de procéder à la revente de ses produits hors réseau, c’est-à-dire à des distributeurs ne bénéficiant pas d’un agrément.
La Cour de justice de l’Union européenne a d’ailleurs rappelé qu’il en allait de l’essence même d’un système de distribution sélective (CJCE, 25 octobre 1977, Aff. C-26/76, Métro/Commission, EU-C-1977-167, pt 7 : « tout système de commercialisation fondé sur une sélection des points de distribution implique nécessairement l’obligation, pour les grossistes faisant partie du réseau, de n’approvisionner que des revendeurs agréés et, partant, la possibilité pour le producteur intéressé de contrôler l’observation de cette obligation »).
L’article 4, b, iii) du Règlement (UE) N° 330/2010 de la Commission européenne du 20 avril 2010 concernant l’application de l’article 101, paragraphe 3, du Traité sur le Fonctionnement de l’Union Européenne (TFUE) à des catégories d’accords verticaux et de pratiques concertées dispose également que l’accord peut prévoir une restriction des ventes « par les membres d’un système de distribution sélective à des distributeurs non agréés, dans le territoire réservé par le fournisseur pour l’opération de ce système ».
Un fournisseur a donc tout intérêt à préserver l’étanchéité de son réseau en interdisant à ses distributeurs agréés de procéder à des ventes hors réseau. Il doit également être en mesure de contrôler cette étanchéité, afin de préserver son image et de restreindre les atteintes portées aux distributeurs agréés par des distributeurs parallèles.
En l’espèce, les distributeurs agréés par la société Porsche France étaient tous liés par une clause d’interdiction de revente hors réseau. M. G. soutenait cependant :
- qu’il n’était pas intervenu en qualité de revendeur, mais de mandataire,
- que le contrat de distribution Porsche interdit au distributeur de donner mandat à un tiers afin qu’il trouve des acquéreurs, mais autorise le distributeur à traiter avec un mandataire lorsque celui-ci agit pour le compte de l’utilisateur final,
- que cette interdiction pour le distributeur de recourir aux services d’un mandataire pour catalyser ses ventes constitue une restriction aux ventes actives prohibée par l’article 4 du Règlement n°330/2010 du 20 avril 2010 et que le réseau de distribution Porsche comporte donc une restriction de concurrence illicite.
La Cour a donc analysé successivement :
- les caractéristiques du réseau de distribution (a),
- la licéité du réseau de distribution (b),
- la qualité de mandataire de M. G. (c),
- et la licéité de l’approvisionnement de M. G. (d).
a) Concernant les caractéristiques du réseau de distribution
Le mandataire faisait valoir que le réseau de distribution Porsche était sélectif et exclusif, alors que la société Porsche France indiquait au contraire que son réseau de distribution était purement sélectif. La Cour a rappelé que « l’exclusivité, qui ne peut se présumer lorsqu’il n’y est pas expressément fait référence dans le contrat de distribution, suppose que le concédant accorde exclusivement au distributeur le droit de revendre ses produits de marque sur un territoire déterminé ». En l’espèce, si le contrat définit le « territoire commercial » de chaque distributeur, il autorise également le distributeur « à prospecter auprès de la clientèle Porsche en dehors de son territoire commercial et à vendre les marchandises et services contractuels à des clients hors de son territoire commercial ». Il autorise également les autres distributeurs du réseau « à vendre des produits et services contractuels dans la zone commerciale du distributeur ».
La Cour en a déduit qu’« il ressort clairement de cette clause contractuelle que le réseau de distribution Porsche n’est pas exclusif, le distributeur n’étant pas limité territorialement, au titre de ses ventes actives, à son seul territoire commercial concédé ». Elle a donc examiné la licéité du réseau de distribution Porsche au regard de son caractère sélectif.
b) Concernant la licéité du réseau de distribution sélective
La Cour a tout d’abord rappelé que « la distribution sélective limite nécessairement la concurrence entre les différents acteurs économiques en entravant l’accès au marché des revendeurs non membres du réseau » et « qu’un système de distribution sélective n’est pas en soi anti-concurrentiel et qu’il ne le devient que s’il limite abusivement la liberté commerciale et qu’il peut être considéré comme licite au regard des prévisions du 1° de l’article 101 du TFUE, si trois conditions sont réunies cumulativement :
1. la nature du produit en question doit requérir le recours à un tel système afin d’en préserver la qualité et d’en assurer le bon usage,
2. les revendeurs doivent être choisis sur la base de critères objectifs qui sont fixés de manière uniforme pour tous les revendeurs potentiels et appliqués de façon non discriminatoire,
3. les critères définis ne doivent pas aller au-delà de ce qui est nécessaire.
En conséquence, si ces conditions sont réunies, le système de distribution échappe à l’interdiction, sans même nécessiter une exemption ».
La Cour rappelle ainsi les conditions de conformité des critères qualitatifs exigés depuis l’arrêt Métro (CJCE, 25 octobre 1977, Aff. C-26/76, Métro/Commission ; Cf. également CJUE, 1ère ch., 6 décembre 2017, Aff. C-230/16, Coty Germany).
En droit français, le corollaire de l’article 101 du TFUE est l’article L.420-1 du Code de commerce et la Cour de cassation applique des critères similaires aux conditions posées par la C.J.U.E. pour s’assurer que l’organisation d’un réseau de distribution sélective est licite (Cf. notamment Cass. Com., 18 décembre 2012, N° 11.27342 ; CA PARIS, 28 février 2018, RG N° 16/02263 ; CA PARIS, 13 juillet 2018, RG N° 17/20787 ; CA PARIS, 23 janvier 2019, RG N° 17/00035).
En l’espèce, la Cour a considéré que « le réseau de distribution de véhicules de marque Porsche apparaît légitime, s’agissant de produits de luxe et relevant d’une certaine technicité, nécessitant un environnement et un accompagnement commercial exigeant et encadré. Par ailleurs, il n’est pas contesté que les critères de sélection mis en place par la société Porsche pour agréer les membres du réseau sont objectifs et proportionnés ». La Cour a enfin relevé « que la part de marché de la société Porsche France est inférieure à 30 % sur le marché des véhicules neufs en France ».
M. G. a cependant contesté la licéité du réseau de distribution Porsche au motif qu’il méconnaîtrait la règle de la prohibition des restrictions des ventes actives posée aux articles 2 et 4 du Règlement de la Commission n°330/2010 du 20 avril 2010.
Sur ce point, la Cour a relevé que « le contrat de distribution sélectif de la société Porsche France n’interdit pas au distributeur de commercialiser en dehors de son territoire commercial et ne limite pas ses ventes actives à l’utilisateur final » et que « même si l’article 2.4 du contrat de distribution de la société Porsche France prévoit en substance que le distributeur est autorisé à vendre les produits contractuels à l’utilisateur final en utilisant les services d’un mandataire de l’utilisateur final, il ne peut en être déduit, comme le font M. G. et la société P., que la société Porsche France interdit aux distributeurs de son réseau certaines modalités de ventes actives et notamment le recours aux mandataires ».
La Cour a donc considéré que « le contrat ne prévoyant pas explicitement cette restriction, il n’est pas établi une restriction aux ventes actives prohibée par le Règlement et donc l’illicéité du réseau de distribution Porsche. Le réseau de distribution sélective Porsche bénéficie donc de l’exemption du 3° du Règlement UE du 20 avril 2010 précité ».
c) Concernant la qualité de mandataire de M. G.
Au vu des pièces communiquées, la Cour a considéré qu’il ne pouvait être fait aucun lien entre les véhicules mis en vente et le véhicule faisant l’objet de la seule et unique facture de commission produite datée du 2 juin 2015 et que M. G. ne démontrait donc pas être intervenu en qualité de mandataire de la société BR S. pour la vente des véhicules faisant l’objet des annonces parues dans les magazines Flat 6 des mois de juin, juillet et septembre 2015.
d) Concernant la licéité de l’approvisionnement de M. G.
La Cour a rappelé, en premier lieu, que l’application de l’article L.442-6, I, 6° du code de commerce « qui a pour objet de préserver l’identité du réseau en le protégeant de la revente parallèle, entendue comme la commercialisation par des revendeurs non agréés de produits que l’organisateur du réseau destine exclusivement à une revente par des distributeurs agréés, exige à tout le moins un accord de distribution exempté au titre des règles applicables du droit de la concurrence. Ainsi, le revendeur hors réseau engage sa responsabilité délictuelle lorsqu’il se fournit chez un membre du réseau. Mais le fait d’acquérir un produit relevant du réseau auprès d’un tiers au réseau n’est pas un acte illicite. Il appartient à M. G. de démontrer qu’il a acquis les véhicules Porsche litigieux auprès d’un tiers au réseau ».
La jurisprudence considère en effet de longue date qu’« il appartient à l’opérateur qui a acquis des véhicules neufs pour les revendre de faire la preuve qu’il les a régulièrement acquis sur un réseau parallèle ou auprès d’un autre concessionnaire » (Cass. Com., 26 janvier 1999, n° 97-10964 ; Cass. Com., 25 janvier 2000, n° 97-19809 ; Cass. Com., 4 décembre 2001, n° 99-10909).
Il incombe, par conséquent, au revendeur hors réseau de rapporter la preuve de la licéité de ses approvisionnements, en établissant qu’il s’est procuré les véhicules alors qu’ils étaient déjà hors réseau, et donc sans se rendre complice de la violation par un distributeur agréé de son interdiction de revendre des véhicules neufs à un vendeur non agréé.
A défaut de justifier de la licéité de ses approvisionnements, en donnant des informations sur l’identité de son ou de ses fournisseurs, le distributeur parallèle verra sa responsabilité engagée pour avoir proposé à la vente, sans être lui-même un distributeur agréé du réseau de distribution sélective, des produits dont l’origine est illicite, en portant ainsi atteinte au réseau de distribution sélective (CA PARIS, 23 janvier 2019, RG N° 17/00035). En l’espèce, la Cour a considéré que toutes les pièces produites par M. G. ne démontraient pas que les véhicules neufs proposés à la vente dans les annonces parues dans les magazines Flat 6 des mois de juin, juillet et septembre 2015 étaient ceux que la société allemande BR S. lui aurait livrés et que M. G. ne justifiait donc pas l’origine licite des véhicules Porsche neufs proposés à la vente.
La Cour a donc considéré que « M. G. engage sa responsabilité à l’égard de la société Porsche France pour avoir proposé à la vente, sans être lui-même un distributeur agréé du réseau de distribution sélective, des véhicules dont l’origine est illicite et donc avoir porté atteinte au réseau de distribution sélective de la société Porsche France ». La cour a évalué le préjudice de la société Porsche France à hauteur de 20.000 euros.
2) Les sanctions prononcées sur le fondement de la concurrence déloyale
Avant la création du délit civil sanctionnant la participation à la violation de l’interdiction de revente hors réseau à l’article L.442-6-I-6° précité, la jurisprudence sanctionnait traditionnellement l’achat de marchandises dans des conditions illicites ou frauduleuses sur le fondement de la concurrence déloyale en considérant qu’« un tiers à un réseau de distribution sélective commet une faute en acquérant d’un distributeur agréé, en violation du contrat liant celui-ci au réseau, des produits commercialisés selon ce mode de distribution » (CA PARIS, 1er octobre 1997, N°RG 95-017695 ; Cass. Com., 4 juillet 2006, n° 03-16383).
La jurisprudence considère à présent que « l’approvisionnement illicite ne peut être reproché sur le fondement de la concurrence déloyale, cet élément ne constituant pas un fait distinct des actes de participation à la violation d’un réseau de distribution sélective » (CA PARIS, 23 janvier 2019, RG N° 17/00035). Elle considère également que « le seul fait de commercialiser hors réseau des produits authentiques couverts par un contrat de distribution exclusive et/ou sélective n’est pas fautif dès lors que la revente concerne des produits acquis régulièrement. L’action en concurrence déloyale n’est donc possible que si à la distribution hors réseau s’ajoute une faute imputable au distributeur hors réseau » (CA PARIS, 15 novembre 2017, RG N° 17/04923 ; CA PARIS, 23 janvier 2019, RG N° 17/00035). La jurisprudence considère notamment que la commercialisation de produits de marque dans des conditions portant atteinte à l’image de la marque peut être sanctionnée au titre de la concurrence déloyale. De même, la commercialisation de produits de marque « sans réaliser les investissements indispensables au développement du réseau, en profitant de la notoriété de la marque, constitue des actes de parasitisme économique » (CA PARIS, 23 janvier 2019, RG N° 17/00035).
En l’espèce, la Cour a considéré que « les conditions de mise en vente des véhicules Porsche neufs par M. G. dans un magazine portent atteinte à l’image du réseau Porsche, s’agissant de simples annonces de vente publiées dans des conditions dévalorisantes, alors que les distributeurs agréés membres du réseau se voient imposer des conditions d’accueil et de mise en vente très strictes par la société Porsche France, étant par ailleurs relevé que M. G. n’a pas eu à engager les investissements nécessaires pour être un distributeur agréé. En outre, les annonces ne mentionnent pas le prix de vente des véhicules litigieux, ce qui démontre une certaine opacité dans la commercialisation par M. G. des véhicules litigieux et porte ainsi atteinte au réseau Porsche. Dès lors, M. G. a commis des fautes constitutives de concurrence déloyale à l’égard de la société Porsche France, qui a subi de ce fait un préjudice qu’il y a lieu de fixer à la somme de 10.000 euros ».
A rapprocher : CA Paris, 23 janvier 2019, RG N°17/00035