Cass. civ. 1ère, 13 février 2019, n°18-11.609
Après avoir relevé que les parties ont été en relations d’affaires suivies pendant huit années au cours desquelles cent vingt factures ont été émises, reproduisant au verso des conditions générales de vente stipulant une clause attributive de juridiction, la Cour de cassation considère que ladite clause attributive de juridiction pouvait s’appliquer aux différends trouvant leur cause dans le rapport de droit à l’occasion duquel elle avait été convenue, ainsi qu’aux demandes indemnitaires formées au titre de la concurrence déloyale et des pratiques illicites.
La société F. et la société S. ont conclu verbalement un contrat-cadre de distribution. En exécution de ce contrat, la société F. a émis cent vingt factures reproduisant, au verso, ses conditions générales de vente stipulant une clause d’élection de for. La société F. a assigné la société S devant le Tribunal de commerce de Marseille pour solliciter sa condamnation à lui payer la somme de 226.232,10 euros au titre de factures impayées, outre les intérêts et pénalités. La société S. a soulevé l’incompétence du Tribunal de commerce de Marseille au motif que la clause attributive de compétence stipulée dans les conditions générales de vente lui était inopposable. Par arrêt du 5 décembre 2017, la Cour d’appel de Paris a rejeté cette exception d’incompétence. La société S. a formé un pourvoi à l’encontre de cet arrêt aux motifs :
- qu’une clause attributive de juridiction n’est opposable qu’à celui qui l’a acceptée ; que la clause attributive de juridiction figurant parmi les conditions générales imprimées au verso de factures, dont il n’est pas démontré qu’elle a été préalablement portée à la connaissance du destinataire lors de l’émission de ces factures ni approuvée par celui-ci au moment de l’accord sur les prestations, excluant toute acceptation tacite, ne satisfait pas aux exigences de l’article 23 § 1, du règlement n°44/2001 du 22 décembre 2000 ; que la Cour ne pouvait se fonder, en l’espèce, sur la circonstance que la clause attributive de juridiction dont se prévalait la société F. avait été imprimée au verso des cent vingt factures éditées par la société F. entre 2007 et 2014, ainsi que sur la mention portée au recto de ces documents dans les termes suivants : « le client déclare avoir pris connaissance et accepter les termes et conditions imprimés sur les deux faces du présent document », pour dire la clause opposable à la société S. sans rechercher si cette clause avait préalablement été portée à sa connaissance et approuvée par celle-ci ;
- que selon l’article 23 § 1, du règlement n° 44/2001, une clause attributive de compétence est nécessairement limitée aux différends nés ou à naître à l’occasion d’un rapport de droit déterminé ; qu’en conséquence, la clause attributive de juridiction stipulée à l’occasion d’un contrat de vente et figurant au sein de conditions générales relatives au « transport et au paiement de marchandises » ne s’étend pas à la rupture du contrat-cadre de distribution liant les parties, a fortiori lorsque celui-ci constitue un contrat de fourniture de service ; qu’en estimant que la clause attributive de compétence contenue dans les conditions générales de vente est rédigée dans des termes suffisamment larges pour inclure tous les litiges découlant du rapport contractuel pour en déduire qu’elle s’appliquait à la rupture du contrat de distribution liant les parties, sans s’interroger, comme elle y était pourtant invitée, sur la question de savoir si le contrat de distribution liant les parties ne constituait pas un autre rapport contractuel, à savoir un contrat de prestation de service soumis à des chefs de compétence spécifiques par le règlement n° 44/2001 du 22 décembre 2000, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article 23 § 1 du règlement n° 44/2001 et du principe d’interprétation stricte des clauses attributives de juridiction ;
- que, pour les mêmes raisons, ladite clause ne s’étend pas aux litiges de nature délictuelle susceptibles de survenir entre les parties ; que la Cour ne pouvait donc pas considérer, en l’espèce, que la clause attributive de compétence contenue dans les conditions générales de vente s’appliquait à la demande en dommages-intérêts formée par la société F. au titre des actes de concurrence déloyale et des pratiques illicites prétendument commises par la société S. ; que cette clause était nécessairement limitée aux litiges résultant du seul contrat de vente à l’occasion duquel elle avait été stipulée.
La Haute Cour a cependant considéré qu’ayant relevé que les parties avaient été en relations d’affaires suivies pendant huit années au cours desquelles la société F. avait émis au nom de la société S. cent vingt factures, reproduisant au verso ses conditions générales de vente, qui stipulaient une clause d’élection de for, la Cour d’appel a pu en déduire que la clause attributive de juridiction était opposable à la société S.
La Haute Cour a également considéré qu’ayant relevé que la clause attributive de juridiction était rédigée en des termes suffisamment larges pour inclure tous les litiges résultant du rapport contractuel, la cour d’appel a pu en déduire que la clause s’appliquait aux différends trouvant leur cause dans le rapport de droit à l’occasion duquel elle avait été convenue, ainsi qu’aux demandes indemnitaires formées au titre de la concurrence déloyale et des pratiques illicites.
Cette décision fait donc une application très extensive de la clause attributive de juridiction dans la droite ligne de la jurisprudence de la première Chambre Civile de la Cour de cassation, qui a notamment fait application d’une clause attributive de compétence désignant une juridiction anglaise à une action en responsabilité délictuelle fondée sur la rupture brutale d’une relation commerciale établie au visa de l’article L.442-6-I, 5° du Code de commerce en considérant « qu’ayant relevé que le rapport de droit en cause ne se limitait pas aux obligations contractuelles, la référence de l’article 26 au « présent contrat » ne concernant que le droit applicable, et devait s’entendre des litiges découlant de la relation contractuelle, la cour d’appel, hors toute dénaturation, en a souverainement déduit, des dispositions impératives constitutives de lois de police fussent-elles applicables au fond du litige, que la clause attributive de compétence s’appliquait à la rupture brutale du contrat » (Cass. civ. 1ère, 18 janvier 2017, n° 15-26105).
A rapprocher : Cass. civ. 1ère, 18 janvier 2017, n°15-26.105