Le nouveau cadre des Investissements Directs Etrangers en Chine et dans l’Union Européenne

Han Bo

Juriste

HAN Bo

Juriste

Loi et Règlement relatifs aux investissements directs étrangers

Le mois de mars 2019 a été marqué par l’adoption tant en Chine que dans l’Union Européenne (« UE ») de 2 textes portant réforme sur le cadre applicable aux investissements directs étrangers (« IDE »).

En Chine

La 2ème session de la 13ème Assemblée populaire national en date du 15 mars 2019 a approuvé le texte de la Loi relative aux Investissements Directs Etrangers (中华人民共和国外商投资法) (la « Loi ») dans l’objectif :

  • d’assouplir les règles encadrant les investissements directs étrangers en Chine ;
  • de traiter de manière « quasi égale » les IDE en Chine avec les acteurs locaux.

Le « quasi égalité » s’explique par le fait qu’une liste dite « négative » récapitule des secteurs dans lesquels les IDE sont interdits ou contrôlés.

La Loi entrera en vigueur le 1er janvier 2020 et constituera un cadre uniformisé pour les IDE en Chine pour favoriser davantage les droits des investisseurs étrangers en Chine.

Dans l’UE

Le nouveau règlement (UE) n°2019/452 du Parlement Européen et du Conseil du 19 mars 2019 établissant un cadre pour le filtrage des investissements directs étrangers dans l’Union (le « Règlement »), a été publié dans le Journal officiel de l’UE le 21 mars 2019.

Le Règlement entrera en vigueur le vingtième jour suivant celui de sa publication au Journal officiel de l’UE et sera applicable à partir du 11 octobre 2020. Le Règlement est directement applicable dans tout État membre.

Pour mémoire :

En Chine

En pleine guerre commerciale entre la Chine et les Etats-Unis, le projet de loi sur les investissements étrangers en Chine (中华人民共和国外商投资法(草案)) a été soumis le 23 décembre 2018 au Comité permanent de l’Assemblée populaire nationale pour un premier examen. La Loi a été adoptée le 15 mars 2019.

Il existe actuellement trois lois (déjà anciennes) en matière d’IDE en Chine, à savoir (« 3 Lois Existantes ») :

  • la loi sur les joint-ventures (« JV ») à capitaux sino-étrangers (1979) (中外合资经营企业法),
  • la loi sur les JVs contractuelles à capitaux étrangers (1988) (中外合作经营企业法),
  • la loi sur les sociétés à capitaux entièrement étrangers (1986) (外资企业法) (Wholly Foreign Owned Enterprise – WFOE).

Ces 3 Lois Existantes adoptées sous l’ère de DENG Xiaoping (initiateur de l’ouverture économique de la Chine), et malgré leur mise à jour ces dernières années, ne peuvent plus répondre à l’évolution de la situation économique actuelle, alors que la Chine s’efforce de construire de nouveaux projets et d’ouvrir d’avantage son économie.

A fin 2017, quelques 900.000 JVs et WFOE étaient répertoriées en Chine par le Ministère du Commerce ChinoisMOFCOM ») avec une capacité d’investissement de 1.900 milliards USD.

La Loi remplacera donc, à partir du 1er janvier 2020, les 3 Lois Existantes concernant les entités sous contrôle étranger.

Cette Loi unifiée vise à garantir cette prochaine phase de mise en place d’un nouveau système d’ouverture économique chinoise, et un meilleur accueil des IDE en Chine.

Dans l’UE

L’UE est la principale destination d’IDE dans le monde : les stocks d’IDE détenus par des investisseurs de pays tiers dans l’UE s’élevaient à 6.295 milliards d’euros à la fin de 2017. Au cours des vingt dernières années, la structure et la provenance des IDE ont radicalement changé, avec plus d’IDE en provenance d’économies émergentes. Les investissements chinois ont été multipliés par six, avec pour cible récemment des secteurs de haute technologie et souvent des entreprises détenues par l’État ou ayant un lien avec les gouvernements. Les préoccupations suscitées par la multiplication des acquisitions dans des secteurs stratégiques par des IDE, notamment chinois, ont conduit l’UE à réfléchir à un nouveau cadre pour leur filtrage.

La politique européenne de contrôle des IDE se concrétise avec :

  1. l’approbation du projet de Règlement par le Conseil le 5 mars 2019,
  2. l’approbation du projet de Règlement par le Parlement Européen (500 voix pour, 49 contre et 56 abstentions) le 14 février 2019,
  3. l’accord politique européen sur un dispositif de filtrage des investissements étrangers du 20 novembre 2018,
  4. la proposition de créer le premier cadre à l’échelle de l’UE pour l’examen des IDE, par le président de la Commission Européenne (M. Juncker) lors de son discours du 14 septembre 2017.

Pour approfondir :

I. L’approche chinoise : la Loi des IDE en Chine

La Loi est composée de 6 chapitres et 42 articles :

    • Les principes (Art. 1 – 8)

Selon la Loi, (i) les entreprises étrangères recevront désormais un « traitement national de pré-établissement » (准入前国民待遇), (c’est-à-dire sans distinction de traitement en fonction de la nationalité), et (ii) un système de gestion de la liste négative (负面清单) est mis en place (Art. 4).

Pour rappel, de nombreuses nations recourent au principe de la liste négative pour interdire les capitaux étrangers d’entrer dans des industries clés ou des secteurs sensibles. A contrario, tous les domaines ne figurant pas sur la liste négative sont accessibles aux capitaux étrangers par un traitement uniforme et sans approbation préalable du gouvernement chinois.

Ceci constitue un changement radical par rapport au régime actuel d’étude « au cas par cas » fixé par les 3 Lois Existantes, et introduit une dimension de libéralisme et une volonté de transparence.

Une nouvelle liste négative sera établie par le Conseil des affaires d’Etat chinois (Gouvernement), laquelle n’est pas encore disponible. Sous réserve de confirmation, dans la nouvelle liste négative, il serait question d’assouplir les restrictions dans les secteurs tels que l’automobile, l’aéronautique, la gestion d’actifs, l’énergie, les infrastructures, etc.

De même, d’après la Loi, les entreprises ne seront pas réglementées en fonction de leur détention capitalistique directe, mais en fonction de la personne qui détient le contrôle de l’entreprise. Ainsi, les sociétés étrangères en Chine, contrôlées par des investisseurs étrangers, seront considérées comme étrangères, tandis que celles qui sont contrôlées par des investisseurs chinois seront considérées comme chinoises (Art 2). Cela concerne à la fois la création de sociétés, mais aussi les opérations de fusion-acquisitions et autres formes de projets d’investissements directs ou indirects. Cette initiative vise à permettre de créer un environnement commercial prévisible et transparent pour les investisseurs mondiaux et de protéger leurs intérêts et leurs droits, tout en leur assurant un traitement national et des conditions de marché équitables.

    • La promotion d’investissements étrangers (Art. 9 à 19)

Les investisseurs étrangers bénéficieront des mêmes droits que les entreprises nationales pour participer à des opérations sur le capital telles que l’émission d’actions (Art. 17) et la passation de marchés publics en Chine (Art. 16). La Loi indique également que l’Etat chinois peut continuer à établir les politiques de promotion encore plus avantageuses dans les différentes zones franches en Chine (Art. 13). Actuellement, il existe 11 zones franches réparties dans tout le pays (Shanghai, Tianjin, Guangdong, Fujian, Liaoning, Zhejiang, Henan, Hubei, Chongqing, Sichuan, Shanxi), mais majoritairement situées sur la côte Est du pays.

De même, les gouvernements locaux dans les provinces peuvent établir leurs propres politiques de promotion d’investissements étrangers dans le cadre des principes nationaux.

    • La protection des investissements étrangers (Art. 20 – 27)

La Loi prévoit également que l’apport en capital, les bénéfices et les gains en capital des investisseurs étrangers en Chine pourront être librement transférés (i.e. sans autorisation administrative préalable) hors du pays, en RMB ou dans d’autres devises (Art. 21).

Actuellement, pour remonter par exemple des dividendes de la Chine vers la France, il est nécessaire de solliciter l’autorisation préalable de 2 autorités, à savoir :

  • State Administration of Foreign Exchange (国家外汇管理局) (“SAFE”);
  • State Taxation Administration (国家税务总局) (“STA”).

Avec l’entrée en vigueur de la Loi, ces démarches administratives seront supprimées.

Par ailleurs, concernant le sujet important de la propriété intellectuelle, la Loi précise que l’État chinois protègera les droits de propriété intellectuelle des investisseurs étrangers et encouragera la coopération technologique fondée sur des principes de volontariat et les règles commerciales (Art. 22).

Les conditions relatives à ce type de coopération seront déterminées entre les parties concernées selon les règles commerciales et d’équité.

Le transfert forcé de technologies des entreprises étrangères vers les sociétés chinoises, en ayant recours à des moyens administratifs, est ainsi interdit sous peine de poursuite pénale.

La Loi accordera ainsi aux sociétés étrangères les mêmes prérogatives dont jouissent les sociétés chinoises en matière de protection de propriété intellectuelle.

Sous peine d’indemnisation des investisseurs étrangers, l’expropriation des actifs des investissements étrangers en Chine est désormais interdite avec la Loi, sauf si l’intérêt général le justifie (Art. 20).

De leur côté, les départements du commerce des provinces chinoises devront mettre en place un système de traitement des plaintes des investisseurs étrangers pendant leur établissement permettant de traiter ces sujets rapidement (Art. 25).

A date, il n’est pas encore confirmé si c’est l’Administration des Industries et Commerces (« AIC ») qui sera compétente.

    • La gestion des investissements étrangers (Art. 28 – 35)

L’Article 28 souligne qu’il est interdit pour les investisseurs étrangers d’investir dans les secteurs définis dans la liste négative qui sera arrêtée par le Conseil des affaires d’Etat chinois (Art. 4). L’Etat chinois prévoit de mettre en place un système de rapport d’information relatif aux investissements étrangers, géré par l’AIC et qui devra communiquer avec MOFCOM (Art. 34).

Les investissements étrangers seront ainsi soumis au même système d’information sur la crédibilité (National Entreprise Credit Information Publicity System -国家企业信用信息公示系统) auquel sont déjà soumis les entreprises chinoises locales depuis février 2014.

Il convient de noter que les sociétés ayant une mauvaise crédibilité peuvent être classées par l’AIC dans la liste noire.

La mauvaise crédibilité est causée, par exemple, par :

  • L’affichage, pendant plus de 3 ans, dans la liste des anormalités de l’exploitation (企业经营异常名录) tenue par l’AIC (ne pas déposer le rapport annuel des comptes entre 01/01 et 30/06 de chaque année ; ne pas publier des informations exigées par la loi ; publier les informations erronées ; ne pas pouvoir être contacté par l’AIC à l’adresse du siège social de la société) ;
  • L’utilisation des informations erronées en vue d’immatriculation et/ou des modifications relatives à la société ;
  • La vente pyramidale, vente directe illégale, concurrence déloyale, publicité trompeuse, vente de produits ou services menaçant la sécurité des biens et des personnes ;
  • La violation du droit des marques des autres sociétés plus de 2 fois pendant une période de 5 ans.

En cas d’inscription dans la liste noire, les conséquences d’être sont notamment les suivantes :

  • Être sous surveillance étroite de l’AIC ;
  • Les représentants légaux des sociétés listées dans la liste noire ne peuvent plus être représentants légaux des sociétés pendant une durée de 3 ans ;
  • Publication sur le site officiel d’AIC ;
  • Application de restrictions imposées par l’AIC en matière commerciale, sectorielle et politique (e.g. interdiction de participer aux appels d’offres, de bénéficier une exception fiscale, etc.).
    • La responsabilité légale et les annexes (Art. 36 – 42)

Dans le cadre de la poursuite de la lutte contre la corruption des fonctionnaires, la Loi vise expressément que la corruption dans les procédures administratives des IDE doit être réprimée (Art. 39).

Les investissements réalisés dans les secteurs interdits définis par la liste négative, malgré les mises en demeure faites par l’administration chinoise compétente, pourront, le cas échéant, être confisqués par l’Etat chinois (Art. 40).

Enfin, une phase de transition a été prévue, en permettant aux entités sous contrôle étranger, établies dans le cadre des 3 Lois Existantes, de continuer à exister sous le régime actuel pendant 5 ans à compter de l’entrée en vigueur de la Loi (Art. 42).

La démarche d’assouplissement de la règlementation chinoise relative aux IDE vise manifestement à faire retomber les tensions à l’heure de la guerre commerciale entre les Etats-Unis et la Chine, et à répondre aux critiques formulées par les autres pays occidentaux envers la Chine au sujet du protectionnisme.

Néanmoins, l’Europe quant à elle semble prendre le chemin du renforcement des contrôles des IDE via l’adoption des dispositifs tant au niveau européen que national.

II. L’approche européenne : Règlement du Parlement Européen et du Conseil établissant un cadre pour le filtrage des IDE dans l’UE

Avec la multiplication des acquisitions dans des secteurs stratégiques, notamment chinois, l’UE s’est penchée sur un nouveau cadre pour le filtrage des IDE.

Néanmoins à ce stade, aucun système de contrôle des IDE n’a été mis en place pour l’ensemble des pays de l’UE.

    • Au niveau européen

Le nouveau Règlement a pour objectif :

  • d’introduire une coopération par voie d’échange d’informations entre les Etats membres avec la création d’un système de soutien de filtrage des IDE par les Etats membres pour des motifs de sécurité et d’ordre public ;
  • d’encourager la coopération internationale en matière de filtrage des IDE, y compris le partage d’expériences, de bonnes pratiques et d’information sur des questions d’intérêts communs ;
  • de fixer certaines exigences pour les États membres qui souhaitent maintenir ou adopter un mécanisme de filtrage au niveau national ;
  • de prendre en compte la nécessité d’agir en respectant des délais courts répondant aux impératifs des entreprises ainsi que des conditions strictes de confidentialité ;
  • de permettre à la Commission Européenne d’émettre des avis sur les IDE dans plusieurs Etats membres qui sont susceptibles d’avoir des effets sur un projet/programme ayant un intérêt pour l’ensemble de l’UE.

A titre d’exemple, on se souvient de l’IDE effectué par le conglomérat étatique chinois Cosco dans le port du Pirée en Grèce en 2016. Si le Règlement avait été applicable à l’époque, la Commission Européenne aurait vraisemblablement rendu un avis, compte tenu de l’intérêt de cet IDE pour l’ensemble de l’UE.

D’ailleurs, les ports européens continuent à intéresser l’Empire du Milieu puisque les ports italiens de Trieste et de Gênes sont actuellement en négociation avec la Chine. L’intérêt manifesté par cette dernière depuis plusieurs années, quant aux ports européens, a été une des motivations pour le Président de la Commission Européenne pour porter le projet de Règlement. L’Italie est du reste le 1er pays du G7 à rallier le projet des « nouvelles routes de la soie » suite au protocole d’accord signé le 23 mars 2019 à l’occasion de la visite officielle du Président XI Jinping en Italie. En fonction du calendrier d’avancement des discussions des ports de Trieste / Gênes, la Commission Européenne pourrait donc d’être amenée à émettre, en application du Règlement, un avis sur ces projets.

En toute hypothèse, le Règlement prévoit que c’est aux seuls États membres de décider s’il convient d’autoriser ou non une opération d’investissement spécifique sur leur territoire. Le Règlement vise ainsi à protéger les secteurs stratégiques suivants :

  • énergie ; eau ; transport ;
  • télécommunications, données, média ;
  • espace ;
  • finance ;
  • semi-conducteurs ;
  • intelligence artificielle ; robotique ;
  • santé ; biotechnologie ;
  • défense ;
  • sécurité alimentaire.

Les tableaux suivants illustrent les investissements chinois en Europe, par secteur et par pays, au cours des dernières années :

(Source : les Echos – 21 mars 2019)

(Source : institut allemand Merics.org – mars 2019)

    • Au niveau national

Actuellement, au niveau national, 14 États membres d’UE disposent de mécanismes nationaux de filtrage, parfois très différents (Allemagne, Autriche, Danemark, Espagne, Finlande, France, Hongrie, Italie, Lettonie, Lituanie, Pays-Bas, Pologne, Portugal et Royaume-Uni).

Plusieurs États membres (dont la France) sont en train de réformer leurs mécanismes de filtrage ou d’en adopter de nouveaux.

Plus particulièrement, en France, le projet de loi PACTE, adopté par l’Assemblée nationale en 2ème lecture en date du 15 mars 2019 et actuellement en cours d’examen par le Sénat, vise à :

  • renforcer le pouvoir du Ministère de l’Economie en matière d’IDE dans les entreprises stratégiques, notamment lorsqu’un IDE est réalisé sans autorisation préalable, en lui accordant les mesures suivantes :

(i) injonction à l’investisseur de déposer une demande d’autorisation,
(ii) injonction à l’investisseur de rétablir à ses frais la situation antérieure,
(iii) injonction à l’investisseur de modifier l’investissement,
(iv) désigner un mandataire chargé de veiller, au sein de l’entreprise stratégique, à la protection des intérêts nationaux ;

  • étendre le contrôle des IDE aux transferts de propriété intellectuelle dans les secteurs de la défense ou dans certaines industries stratégiques, tel que l’Intelligence Artificielle, le stockage des données, les semi-conducteurs, etc.

Ces mesures s’ajoutent à un autre dispositif existant, à savoir celui de la « Golden Share » (« action spécifique ») créée en 2014 par l’ordonnance 2014/948 du 20 août 2014 (art. 31-1) utilisée dans certaines entreprises françaises stratégiques telles que Thales, Engie, Airbus, etc. pour renforcer le pouvoir de l’Etat français.

A rapprocher : Texte de la loi en chinois ; Texte du Règlement en français

Sommaire

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