En dépit de la solution dégagée par les premières décisions rendues en la matière, il nous semble opportun de souligner que l’article L.341-2 du Code de commerce ne saurait s’appliquer aux actes juridiques conclus antérieurement à son entrée en vigueur.
01. – Le contentieux de la validité des clauses de non-concurrence se développe inexorablement. Le II de l’article 31 de la loi du 6 août 2015 énonce que le « I » de ce même article, créant les articles L.341-1 et L.341-2 du Code de commerce, « s’applique à l’expiration d’un délai d’un an à compter de la promulgation de la présente loi ». Ce faisant, se pose la question de savoir si les dispositions de ce texte s’appliquent aux contrats en cours à l’expiration de ce délai d’un an, les articles L.341-2 et L.342-2 du Code de commerce ne répondant pas expressément à cette question.
Or, compte tenu de la solution (erronée) issue des premières décisions rendues en la matière (I°), le temps est venu de démontrer que l’article L.341-2 du Code de commerce ne s’applique pas aux actes juridiques conclus antérieurement à son entrée en vigueur (II°).
I/ Les premières décisions rendues en la matière
02. – A notre connaissance, deux décisions rendues à la date de publication du présent commentaire précisent que les dispositions de l’article L.341-2 du Code de commerce s’appliqueraient aux contrats conclus à compter du 6 août 2015, ainsi qu’aux contrats en cours à la date du 6 août 2016. (TC Bordeaux, 26 janvier 2018, n°2016F00694 ; CA Paris, Pôle 1, chambre 2, 22 novembre 2018, n°18/06688).
03. – La première décision émane du tribunal de commerce de Bordeaux statuant au fond (TC Bordeaux, 26 janvier 2018, n°2016F00694) ayant retenu – à tort selon nous – que « les nouvelles obligations de l’article L.341-2 du Code de commerce ne sont pas applicables uniquement aux contrats conclus à compter de son entrée en application, tel que l’affirme la société C… mais qu’elles concernent toutes les clauses des contrats mises en application après cette date ».
Pour autant, ce jugement n’est pas motivé sur ce point et s’avère donc inexploitable en l’état, ce qui donne à la seconde décision commentée une portée accrue.
04. – La seconde décision émane de la cour d’appel de Paris statuant en référé (CA Paris, Pôle 1, chambre 2, 22 novembre 2018, n°18/06688) ayant retenu – à tort selon nous – que « les dispositions précitées issues de la loi du 6 août 2015 sont bien applicables aux contrats en cours à la date de la publication de cette loi de sorte que la validité de la clause litigieuse en l’espèce, insérée dans un contrat conclu le 13 décembre 2012 et non expiré à la date d’entrée en vigueur de la loi précitée, doit être appréciée au regard des nouveaux articles L.341-1 et L.341-2 du Code de commerce ».
L’examen de la motivation de cet arrêt, qui s’articule en trois points, justifie selon nous la critique de la solution retenue.
05. – En premier lieu, l’arrêt indique que la « lecture des travaux parlementaires relatifs à la loi du 6 août 2015 et notamment les débats devant l’Assemblée nationale permettent de relever que cette période transitoire a manifestement été souhaitée par le législateur précisément pour permettre l’adaptation des contrats en cours, de sorte que la volonté du législateur était bien de voir appliquer ces dispositions auxdits contrats, ce qu’au demeurant, l’amendement parlementaire initial à l’origine de ce texte (amendement n°1681 du député M. B.) précisait expressément («’II. ‘ Les dispositions du I s’appliquent, y compris aux contrats en cours, à l’expiration d’un délai de deux ans à compter de la promulgation de la présente loi »), même si le dernier état du texte ne l’a pas repris mais a conservé le principe de la période transitoire rendue nécessaire selon les parlementaires pour accompagner cette application aux contrats en cours ».
Cet argument est inopérant : observons à titre préalable que l’amendement n°1681 du député M. Brottes (qui prévoyait notamment que « [l]es dispositions du I s’appliquent, y compris aux contrats en cours, à l’expiration d’un délai de deux ans à compter de la promulgation de la présente loi » (nous soulignons)) n’a finalement pas été retenu, et que les dispositions envisagées par le texte définitif n’évoquent nullement la question des contrats en cours : « Le I s’applique à l’expiration d’un délai d’un an à compter de la promulgation de la présente loi ».
Faut-il alors considérer avec l’arrêt que le délai d’un an prévu par la loi du 6 août 2015 « a manifestement été souhaité par le législateur précisément pour permettre l’adaptation des contrats en cours » ?
Primo, commençons par indiquer que la réponse à cette question est dépourvue de conséquence. Comme on le verra plus loin, la jurisprudence de la Cour de cassation est parfaitement claire : les effets d’une situation juridique contractuelle postérieurs à l’entrée en vigueur d’une loi nouvelle restent soumis à la loi qui était en vigueur au jour de la formation du contrat, à moins que la loi nouvelle indique expressément qu’elle produit un effet rétroactif (cf. infra II°).
Au surplus, secundo, l’affirmation selon laquelle le délai d’un an prévu par la loi du 6 août 2015 « a manifestement été souhaité par le législateur précisément pour permettre l’adaptation des contrats en cours » n’est aucunement justifiée. On ne trouve pas trace dans les travaux parlementaires d’une volonté expresse du législateur de voir appliquer les dispositions de l’article 31 aux contrats en cours.
A notre connaissance, seul l’exposé des motifs de l’amendement n°317 faisait un lien entre la période transitoire et l’application du texte aux contrats en cours, ce qui a pu induire la décision commentée en erreur. Or, d’une part, l’exposé des motifs d’un amendement rejeté ne peut constituer à lui seul le reflet de la volonté du législateur et, d’autre part, les discussions ayant eu lieu devant la commission spéciale de l’Assemblée nationale (Rapport, n°2866, à propos de l’article 10 A) ayant conduit à l’adoption du texte définitif n’indiquent pas que le délai d’un an ait été motivé par la volonté du législateur d’appliquer le dispositif aux contrats en cours. Tertio, si le rédacteur de la loi du 6 août 2015 avait véritablement souhaité voir les dispositions de ce texte appliquées aux contrats en cours, il n’aurait pas manqué de l’indiquer dans la loi : ainsi, l’article 137 de cette même loi, remplaçant le second alinéa de l’article L.131-1 du Code des assurances par six alinéas nouveaux, prévoit-il expressément à ce titre que « [le] I est applicable aux contrats souscrits à compter de l’entrée en vigueur de la présente loi ainsi qu’aux contrats en cours » (nous soulignons). Quarto, le retrait de l’amendement n°1681 donne naturellement à penser que le texte n’a pas vocation à s’appliquer aux contrats en cours. Quinto, affirmer que le délai d’un an prévu au II de l’article 31 de la loi du 6 août 2015 aurait pour fonction de « permettre l’adaptation des contrats en cours » n’a pas (selon nous) grand sens. En définitive, comme le souligne le Professeur Grimaldi, ce délai avait vocation à « permettre aux têtes de réseaux de repenser leurs modèles de contrats à conclure et non de convaincre les distributeurs de leur réseau de réécrire les contrats d’ores et déjà conclus » (C. Grimaldi, L’application erronée des articles L.341-1 et L.341-2 du Code de commerce aux contrats en cours, L’Essentiel, Droit de la distribution et de la concurrence, 1er mars 2019, page 1).
06. – En deuxième lieu, l’arrêt souligne que « cette interprétation est confirmée par la décision n°2015-715 DC du 5 août 2015 du Conseil constitutionnel qui, après avoir rappelé « qu’en adoptant les articles L.341-1 et L.341-2, le législateur a entendu assurer un meilleur équilibre de la relation contractuelle entre l’exploitant d’un commerce de détail et le réseau de distribution auquel il est affilié ; qu’il a ainsi poursuivi un objectif d’intérêt général », considère que « au regard de l’objectif poursuivi par le législateur, les dispositions des articles L.341-1 et L.341-2 ne portent pas une atteinte manifestement disproportionnée à la liberté contractuelle et aux conventions légalement conclues ».
Cet argument est inopérant : la circonstance que le Conseil constitutionnel ait déclaré l’article 31 de la loi du 6 août 2015 conforme à la Constitution n’implique pas pour autant que les dispositions de ce texte s’appliquent aux contrats déjà conclus.
07. – En troisième lieu, la cour d’appel de Paris rappelle que cette solution ressort de la lecture qu’en donne le communiqué de presse émanant du Conseil constitutionnel, diffusé à l’occasion de la publication de cette décision (Commun. Presse, Décis. 2015-715 DC du 5 août 2015) selon lequel :
« L’article 31 encadre les relations contractuelles entre les réseaux de distribution et les commerces de détail. Il prévoit l’exigence d’une échéance commune, fixe comme règle que la résiliation de l’un des contrats visés par le législateur vaut résiliation de l’ensemble des contrats et impose la mise en conformité des contrats en cours un an après la promulgation de la loi. Le Conseil constitutionnel a jugé ces dispositions, qui ne portent pas une atteinte manifestement disproportionnée à la liberté contractuelle et aux conventions légalement conclues, conformes à la Constitution » (nous soulignons).
Cet argument est inopérant : un communiqué de presse n’a aucune valeur normative. De plus, ce communiqué de presse est erroné car, contrairement à ce qu’il indique, l’article 31 précité n’impose précisément pas « la mise en conformité des contrats en cours un an après la promulgation de la loi ».
08. – Ainsi donc, la seule décision motivée rendue à ce jour (en matière de référé qui plus est) :
- fait dire aux travaux parlementaires le contraire de ce qu’il faut en comprendre,
- fait dire à la décision du Conseil constitutionnel ce qu’elle ne dit pas,
- retient du communiqué de presse du Conseil constitutionnel, qui n’a aucune valeur, le membre de phrase faisant dire à la loi ce qu’elle ne dit pas.
Il faut alors revenir aux principes dégagés par la jurisprudence de la Cour de cassation.
II/ L’article L.341-2 du Code de commerce ne saurait s’appliquer aux actes juridiques conclus antérieurement à son entrée en vigueur
09. – L’article L.341-2 du Code de commerce ne saurait s’appliquer aux actes juridiques conclus antérieurement à son entrée en vigueur car, en matière contractuelle, le principe est celui de la survie de la loi ancienne (II.A.) auquel il ne peut être fait exception que lorsque la loi le prévoit expressément (II.B).
II.A. Le principe : la survie de la loi ancienne
10. – Selon la formule consacrée à l’article 2 du Code civil, inchangée depuis 1804 : « La loi ne dispose que pour l’avenir ; elle n’a point d’effet rétroactif ».
11. – En matière contractuelle, le principe est celui de la survie de la loi ancienne. Ce principe veut que les effets des conventions conclues avant la loi nouvelle, perdurant ou se produisant au-delà de l’entrée en vigueur de cette loi, demeurent régis par la loi sous l’empire de laquelle elles ont été conclues. Elle admet ainsi que les effets d’une situation juridique contractuelle postérieurs à l’entrée en vigueur d’une loi nouvelle restent soumis à la loi qui était en vigueur au jour de la formation du contrat.
12. – Les différentes chambres de la Cour de cassation ont rappelé ce principe avec force et constance, sur le fondement de l’article 2 du Code civil, par des arrêts le plus souvent publiés au Bulletin :
- Cass. civ. 1ère, 4 mai 1982, no 81-11.539 : « Attendu qu’il résulte de ce texte [l’article 2 du Code civil] que les effets d’un contrat conclu antérieurement à la loi nouvelle, même s’ils continuent à se réaliser postérieurement à cette loi, demeurent régis par les dispositions de la loi sous l’empire de laquelle le contrat a été passé » (v. aussi, Cass. civ. 1ère, 18 avril 1989, no86-17.117, Bull., I, no 160 ; Cass. civ. 1ère, 30 janv. 2001, no98-15.178, Bull., I, no15).
- Cass. civ. 3ème, 3 juillet 1979, no77-15.552, Bull., III, no149 : « Mais attendu que l’arrêt énonce, à bon droit, qu’il résulte des dispositions de l’article 2 du Code civil que les effets des contrats conclus antérieurement à la loi nouvelle, même s’ils continuent à se réaliser postérieurement à cette loi, demeurent régis par les dispositions de la loi sous l’empire de laquelle ils ont été passés et qu’en conséquence si la loi du 16 juillet 1971 est immédiatement applicable, cette application ne saurait concerner des engagements contractés antérieurement à sa promulgation ; que le moyen n’est donc pas fondé ».
- Cass. com., 15 juin 1962, Bull., III, n°313 : « Attendu que les effets d’un contrat sont régis, en principe, par la loi en vigueur à l’époque où il a été passé ».
13. – Le principe est donc celui de la survie de la loi ancienne à l’égard des effets des contrats en cours, quand bien même la loi nouvelle serait d’ordre public (Cass. civ. 2ème, 24 février 2005, n°03-19.802 : « Attendu que la loi nouvelle, fût-elle d’ordre public, ne peut, en l’absence de dispositions spéciales, régir les effets à venir des contrats conclus antérieurement » ; v. aussi, Cass civ. 1ère, 17 mars 1998, Bull. 1, n°115 p. 76 : « Attendu qu’en se déterminant ainsi, sans caractériser les raisons d’une application immédiate de la loi que sa nature d’ordre public ne pouvait à elle seule justifier, la cour d’appel a violé les textes susvisés »).
II.B. L’exception : l’application immédiate de la loi nouvelle expressément prévue par la loi
14. – Par exception, la loi nouvelle – qu’elle soit d’ordre public ou non – s’applique aux actes juridiques conclus antérieurement à son entrée en vigueur lorsque le législateur a entendu donner au texte une application rétroactive et l’a expressément indiqué dans la loi.
15. – Ainsi, plusieurs arrêts de la Cour de cassation énoncent cette règle, souvent rappelée par une même formule dans sa version « négative » :
- Cass. civ. 1ère, 12 juin 2013, 12-15.688, Bull. civ., I, n°125 : « la loi nouvelle ne s’applique pas, sauf rétroactivité expressément décidée par le législateur, aux actes juridiques conclus antérieurement à son entrée en vigueur » ;
- Cass. civ. 1ère, 9 déc. 2009, 08-20.570, Bull. civ., I, n°242 : « la loi nouvelle ne s’applique pas, sauf rétroactivité expressément décidée par le législateur, aux actes juridiques conclus antérieurement à son entrée en vigueur » ;
- Cass. civ. 3ème, 17 février 1993, 91-10.942, Bull. civ., III, n°19 : « Mais attendu qu’ayant exactement retenu que la loi nouvelle ne s’applique pas, sauf rétroactivité expressément stipulée par le législateur, aux conditions de l’acte juridique conclu antérieurement et que cette loi, même si elle est d’ordre public, ne pouvait pas frapper de nullité les actes définitivement conclus avant sa promulgation, la cour d’appel, n’avait pas, en l’absence de disposition expresse de rétroactivité de la loi du 3 janvier 1972, à réputer non écrite une clause qui était valable au regard de la loi en vigueur lors de la conclusion du bail » ;
Le critère distinguant le principe de l’exception tient à la présence, dans la loi nouvelle, d’une disposition expresse relative à la rétroactivité.
C’est ce que rappellent, là encore par une formule identique, deux des décisions précitées de la Cour de cassation (Cass. civ. 1ère, 12 juin 2013, 12-15.688, Bull. civ., I, n°125 : « Et attendu que les actes juridiques contestés ont tous été accomplis avant l’entrée en vigueur, le 1er janvier 2009, des dispositions des articles 414-1 et 464 du Code civil, issues de la loi n° 2007-308 du 5 mars 2007, laquelle ne contient, relativement à ces dispositions, aucune prescription formelle de rétroactivité » ; Cass. civ. 1ère, 9 déc. 2009, 08-20.570, Bull. civ., I, n°242 : « Et attendu que les actes juridiques contestés ont tous été accomplis avant l’entrée en vigueur, le 1er janvier 2009, des dispositions des articles 414-1 et 464 du Code civil, issues de la loi n°2007-308 du 5 mars 2007, laquelle ne contient, relativement à ces dispositions, aucune prescription formelle de rétroactivité » (nous soulignons). Cette exigence figurait déjà, selon une formule voisine, dans l’arrêt précité de 1993 (Cass. civ. 3ème, 17 février 1993, 91-10.942, Bull. civ., III, n°19) : « (…) en l’absence de disposition expresse de rétroactivité de la loi (…) ».
Et, à cet égard, le caractère d’ordre public de la loi nouvelle est là encore indifférent (Cass. civ. 2ème, 24 février 2005, n°03-19.802 : « Attendu que la loi nouvelle, fût-elle d’ordre public, ne peut, en l’absence de dispositions spéciales, régir les effets à venir des contrats conclus antérieurement »).
16. – A l’inverse, plusieurs arrêts de la Cour de cassation énoncent cette règle dans sa version « positive », c’est-à-dire lorsque le texte nouveau comporte effectivement une prescription formelle de rétroactivité :
- Cass. civ. 3ème, 17 février 2010, no08-21.360, Bull., III, no45 (baux d’habitation) : « Qu’en statuant ainsi, alors que, d’une part, l’article 20 de la loi de 1994 ne subordonne pas sa propre application à une demande de mise en conformité aux normes du bail par le locataire et que, d’autre part, cet article, régissant les baux en cours au jour de sa promulgation, est applicable aux situations nées avant son entrée en vigueur et non encore définitivement réalisées, et donc à un congé délivré en 1989 et dont la validité, contestée en justice n’a fait l’objet d’aucune décision passée en force de chose jugée, nonobstant la cession du local loué en cours d’instance, la cour d’appel a violé le texte susvisé » ;
- Cass. civ. 3ème, 23 février 1994, n°92-16.039, Bull. 1994, III, n°34 (baux ruraux).
17. – Au cas présent, il n’est pas discutable que l’article L.341-2 du Code de commerce ne comporte aucune disposition expresse de rétroactivité de la loi.
A rapprocher : F.-L. Simon, La clause de non-concurrence post-contractuelle dans les contrats de distribution (Panorama de jurisprudence et prospective) ; F.-L. Simon et C. Grimaldi, La conformité douteuse de l’article L.341-2 du Code de commerce au droit européen de la concurrence, LDR 10 septembre 2018