Trib. Com. Lille-Métropole, 28 novembre 2019, n°2018018505
Le délai de prescription applicable à l’action en rupture abusive des pourparlers court à compter de la réalisation du dommage ou de la date à laquelle il est révélé à la victime, c’est-à-dire à la date laquelle les pourparlers ont cessé.
En l’espèce, les faits sont très simples, notamment quant au déroulement des faits relatifs à la rupture des pourparlers, ce qui donne à la décision commentée une portée significative.
La société L… est une société spécialisée dans la vente de pâtisserie, qui a développé à travers le monde un réseau de points de vente de pâtisserie sous la forme de licences. Le 11 mars 2013, Monsieur C … est entré en contact avec la société L … par l’envoi de deux emails à l’effet d’obtenir des informations concernant l’ouverture d’une franchise L … au Canada et plus particulièrement au Québec. Le 13 mars 2013, la société L … a indiqué à Monsieur C … la typologie des emplacements requis pour un tel projet, le montant du droit d’entrée pour disposer d’une exclusivité territoriale, ainsi que les différentes étapes du dossier de présentation de candidature, à savoir : Transmission d’un PowerPoint reprenant une présentation globale du projet, l’emplacement, un descriptif du quartier, une étude de marché ; Etude du projet par le service des licences ; En cas d’avis favorable du service des licences, rendez-vous avec le Président de la société L … ; En cas d’avis favorable du Président de la société L …, rencontre avec le CEO, le Directeur International des Licences et le contrôleur financier, notamment afin d’étudier plus en détail le business plan.
Le 11 avril 2013, Monsieur C … a transmis un PowerPoint censé correspondre à la première étape du dossier de candidature. Ce PowerPoint comprend une brève présentation des demandeurs, une présentation du lieu d’implantation convoité, ainsi qu’une analyse sommaire du marché.
Le projet des demandeurs a très rapidement été écarté, la transmission du PowerPoint n’ayant pas convaincu la société L … de l’opportunité de poursuivre les discussions. C’est ainsi que, dès le 22 avril 2013, la société L … a clairement indiqué à Monsieur C … ne pas donner suite à son projet : « Cher Monsieur C…, Nous avons lu avec beaucoup d’attention votre proposition et vous remercions de l’intérêt que vous portez à notre enseigne L …. Malheureusement, nous avons le regret de ne pas pouvoir répondre favorablement à votre projet. Merci de votre attention ». Postérieurement au 22 avril 2013, les parties ont échangé différents courriers, la tête de réseau continuant à refuser de répondre favorablement au projet de Monsieur C … .
L’enseigne L… se développant au Canada des années plus tard, courant 2016, Monsieur C… a cru devoir assigner le 7 novembre 2018 en rupture abusive des pourparlers notamment (l’autre volet de la procédure concerne une action en « concurrence déloyale », dénuée de tout intérêt dans la mesure où, contrairement à ce qui était soutenu par le demandeur, le PowerPoint susvisée ne contenait manifestement aucun information confidentielle).
Sur le terrain de la rupture abusive des pourparlers, se posait donc (notamment) la question de la prescription de l’action ainsi intentée fin 2018.
A ce titre, le jugement commenté retient que « le point de départ de la prescription court à compter de la réalisation du dommage ou de la date à laquelle il est révélé à la victime c’est-à-dire le 22 avril 2013 ».
Cette solution ne peut être qu’approuvée : le point de départ de cette prescription court à compter du jour où l’auteur de la rupture a indiqué ne pas donner suite au projet (Cass. com., 9 janvier 2001, n°98-14260 ; v. aussi, CA Caen, 19 janv. 2017, n° 15/01510 : « La SARL P. soutient subsidiairement que le crédit agricole a commis une faute en rompant abusivement les négociations relatives à ce prêt et lui réclame 150.000 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice financier qu’elle aurait subi. La banque soulève la prescription de cette dernière demande en faisant valoir que plus de cinq ans s’étaient écoulés depuis le mois d’avril 2010, date de rupture des pourparlers, lorsque la SARL P. a formé pour la première fois cette demande de dommages et intérêts dans des conclusions du 13 septembre 2016. La SARL P. ne conteste ni le fait que les pourparlers ont été rompus durant le mois d’avril 2010 ni qu’elle a présenté sa demande de dommages et intérêts subsidiaire pour la première fois dans ses conclusions signifiées le 13 septembre 2016, ce que confirme le dossier de la procédure. Plus de cinq ans s’étant écoulés entre ces deux dates cette dernière demande doit être déclarée irrecevable parce que prescrite »).
A rapprocher : Cass. com., 9 janvier 2001, n°98-14260 ; v. aussi, CA Caen, 19 janv. 2017, n° 15/01510 ; F.L. Simon, De la bonne foi et de la loyauté au stade précontractuel dans les relations franchiseur-franchisé – Réforme du droit des contrats, LDR novembre-décembre 2017