Nathalie DUBIEZ
Réflexions d’expert: Nathalie DUBIEZ, fondatrice chez AUREABEE
- Ancienne banquière, qu’est-ce qui vous a amené à vous intéresser à la stratégie financière des Réseaux ?
J’interviens sur ce marché depuis plus de 15 ans et au fil des années j’ai pu constater plusieurs points :
Le premier, c’est que trouver des ressources financières aujourd’hui sur le marché ne présente pas vraiment de difficultés. Pourquoi ? Parce que les solutions sont multiples et le métier de courtage en crédit qui peut arriver en appui, notamment pour faire ces choix, s’organise avec des acteurs professionnels de qualité. Et pourtant, quand on interroge les enseignes, qui s’expriment notamment dans l’enquête annuelle de la franchise qui est pilotée par la Banque Populaire et la Fédération Française de la Franchise, il y a un pourcentage qui revient pratiquement tous les ans, qui est de l’ordre de 60 à 65 % des enseignes qui déclarent que l’obtention du financement est un frein au développement.
Le deuxième point est que peu de réseaux aujourd’hui disposent d’une direction financière. La levée de fonds constitue pour certains un fantasme et pour d’autres une crainte alors que lorsque la levée est bien utilisée, celle-ci est un outil extraordinaire de développement qui permet à l’enseigne de se donner du temps dans sa croissance. Et c’est la raison pour laquelle il m’a paru important d’accompagner les dirigeants et les actionnaires dans cette analyse.
- Quelles sont les ressources financières disponibles ?
Les taux sont bas. Les banques, elles, veulent utiliser leurs dépôts car si elles ne les utilisent pas, elles sont financièrement pénalisées. Les investisseurs, de leur côté, cherchent des placements rémunérateurs. Donc, en théorie, tout est au vert pour que l’ensemble des mécanismes de placement fonctionne. Les fonds d’investissements, eux, s’intéressent aussi au marché de la franchise, principalement en raison des actifs, notamment les actifs immobiliers que peuvent constituer les fonds de commerce, sans forcément connaître les clés de réussite d’un réseau.
La première ressource d’une société reste ses ressources propres. Les ressources propres sont dégagées au niveau de la trésorerie, puisque c’est là qu’on constate cette manne et elle va résulter de deux choses, soit de la rentabilité de la boîte, qui effectivement dégage du résultat, soit d’un besoin en fond de roulement négatif, structurel qui est généré par la nature de l’activité. Ce qu’on a pu constater, c’est que dans un réseau en croissance, l’augmentation des redevances et du nombre des droits d’entrées permet parfois de différer, voire même d’abandonner le projet d’une levée de fonds alors même que le dirigeant n’avait pas forcément prévu cette dimension-là.
La deuxième ressource la plus classique est le financement bancaire qui reste aujourd’hui clairement la solution à privilégier. La principale raison de cela c’est que ce sont les ressources les moins chères qui puissent exister aujourd’hui. Quand on regarde l’offre, on voit qu’il est assez courant de trouver des prêts à 5 ou 7 ans à moins de 1 % sur des opérations dont le risque est considéré comme de bonne qualité pour le banquier. Mais si les taux sont bas, il y a quand même trois sujets qui irritent les entrepreneurs. Le premier ce sont les garanties. Les garanties qui sont demandées par l’établissement bancaire sont parfois bloquantes pour un dirigeant. La caution personnelle est souvent mal perçue en fait côté dirigeant. Elle est souvent réclamée en complément des organismes de garantie, qu’ils soient
BPI France, SIAJI, SOCAMA ou SOCOREP qui elle est spécialisée sur le commerce associé.
Le deuxième point qui effectivement peut freiner un dirigeant c’est la vitesse de disponibilité des fonds. Elle n’est pas toujours compatible avec le temps d’un entrepreneur. En effet, attendre 6 à 8 semaines, le déblocage, voire même l’accord de crédit ne permet pas au dirigeant de pouvoir saisir l’opportunité qui se présente.
Le troisième frein, qui cette fois-ci n’est pas tant un frein du point de vue d’un dirigeant mais plus un frein pour le financier, le banquier, concerne le sous-jacent financier.
En effet, autant il est aisé de financer un fonds de commerce ou de financer une acquisition autant il est très compliqué de faire financer ce qu’on appelle les investissements immatériels. La banque n’a absolument pas aujourd’hui la capacité à financer ce genre de sous-jacent tout simplement parce qu’elle-même est contrainte par de la réglementation bancaire qui nécessiterait d’avoir des garanties très fortes pour financer ce genre de choses. Donc là, le troisième frein existe puisqu’effectivement l’entrepreneur ne trouvera pas de solution.
La troisième solution de financement qui peut se présenter c’est le financement participatif qui a trouvé son essor en France à partir des évolutions réglementaires de 2014 puisque les banques n’ont plus été les structures exclusives pour pouvoir prêter de l’argent, c’est-à-dire que d’autres organismes ont pu servir d’intermédiation entre les prêteurs et les emprunteurs. Donc il s’agit principalement des plateformes participatives. Dans ces plateformes on va avoir plusieurs solutions, on va avoir des solutions en capital, on va avoir des solutions en obligataires, on va avoir des solutions en prêts.
Ce qu’il faut retenir de cette solution, quel que soit le véhicule utilisé, c’est qu’elle répond parfaitement aux deux problématiques qui étaient deux des trois freins que rencontrent les dirigeants. La première c’est la vitesse puisque les collectes se font en moyenne entre 5 à 10 jours parfois plus mais je dirais 80 % des collectes se font dans ces délais là et elles permettent également de financer des besoins immatériels qui sont aujourd’hui non finançables par le marché bancaire ou en tout cas de façon marginale.
La quatrième solution de financement c’est le financement obligataire. Ce financement obligataire a la particularité de n’exiger que le paiement des intérêts intercalaires ce qui permet effectivement de différer le remboursement à la fin des 5 ou 7 ans. Ce qui est intéressant également c’est que les garanties qui peuvent être demandées sur ces financements sont des garanties un peu spécifiques qu’on appelle les fiducies et qui sont des garanties adossées à des actifs immobiliers ou à des fonds de commerce ce qui permet à un instant T de pouvoir utiliser l’actif qu’on a au bilan qui peut venir en garantie du prêt obligataire.
Le cinquième véhicule, c’est bien évidemment la levée de fonds cette fois-ci dans son acception la plus classique qui va être une levée en capital ou en obligations convertibles, la caractéristique c’est que c’est une ressource longue mais la vraie question c’est avec qui on va réaliser cette levée de fonds. Là-dessus on tombe sur une problématique qui est très importante parce qu’elle va rattacher à une autre dimension qu’on verra ultérieurement qui est la dimension humaine. S’adosser à un fond d’investissement si c’est un fond d’investissement financier ça veut dire qu’on va avoir comme partenaire quelqu’un qui va s’intéresser aux chiffres, qui va s’intéresser à la performance et qui va avoir principalement une vision très chiffrée du business que vous développez. La solution intermédiaire c’est d’avoir un financement à un fond d’investissement pas forcément financier mais qui a une vision particulière, partenariale, à long terme en fait, qui du coup va être très proche de vous dans la gouvernance et notamment partager des dimensions stratégiques, vous mettre en relation avec des professionnels qui vont pouvoir, effectivement, vous aider dans l’analyse de votre marché. Ou alors, la troisième solution c’est carrément de ne pas faire appel à un fond d’investissement en tant que tel mais s’adosser à ce qu’on appelle un partenaire industriel, le partenaire industriel ayant un intérêt direct pour votre activité, donc il peut s’agir, par exemple, d’un partenaire industriel en agro-alimentaire qui va rentrer au capital d’un réseau de boulangerie puisque lui-même va éventuellement fournir des produits. Ce genre d’exercice est assez fréquent en fait dans les investissements. Cela nécessite bien évidemment un travail préalable pour définir le besoin de ce que l’enseigne peut avoir mais en tout cas c’est une solution qui est relativement intéressante.
- Comment arbitrer dans ces solutions ?
Je pense qu’il y a trois paramètres qui doivent être pris en compte.
Le premier c’est le projet de développement : qu’est-ce que vous voulez faire ? Très souvent quand on m’interroge en disant j’ai besoin d’argent, je souhaite 500 000, 1 million, 2 millions, ma première question est réellement d’interroger le dirigeant pour savoir ce qu’il a l’intention de faire en matière de développement. Le deuxième paramètre porte sur la situation financière de départ. Si votre enseigne dispose d’une structure financière solide, les marges de manœuvre sont plus importantes que si elle dispose d’un niveau de fonds propres faibles voire même dans certains cas d’un niveau de fonds propres négatifs.
Le deuxième point de cet aspect financier c’est bien évidemment la rentabilité de la société et donc par conséquent sa capacité de remboursement et donc sa capacité d’auto-financement.
Le troisième paramètre qui entre en ligne de compte et qui est loin d’être le dernier, c’est la dimension concernant l’ADN du dirigeant ou plus largement l’ADN du comité de direction. Pourquoi, parce que la première chose à laquelle un dirigeant doit se préparer c’est de savoir s’il est prêt oui ou non à ouvrir son capital, si oui dans quelles conditions, à quel niveau, avec quel type d’actionnaires et quel type de gouvernance, ou j’emploierai un terme un peu abusif, mais d’ingérence, c’est-à-dire qu’à partir du moment où l’on va faire rentrer un partenaire externe, il est clair que ce partenaire externe va demander des comptes et jusqu’à quel niveau on est prêt à partager cette information et donc c’est pour ça que ces trois paramètres vont directement conditionner tout le travail de détermination de la stratégie financière.
- Comment évaluer le besoin d’une enseigne ?
Pourquoi, parce que disposer de trop de ressources financières peut fragiliser un projet, ça peut paraître contradictoire parce qu’on se dit que dans la mesure où l’on dispose de plus de ressources c’est plus confortable. Non, c’est faux parce que le fait de ne pas se mettre en tension positive, c’est-à-dire se donner du temps, penser qu’on a beaucoup de temps pour pouvoir utiliser cet argent, peut mettre la société en difficulté pour deux raisons : la première c’est qu’on peut s’endormir en pensant que c’est confortable et la deuxième raison c’est que l’investisseur ou le prêteur qui a effectivement mobilisé l’argent en attend du rendement et si l’argent n’est pas utilisé le rendement ne sera pas là.
- Comment déterminer le bon montant ?
L’exercice consiste à travailler sur la stratégie de développement de la société pour lister l’intégralité des chantiers qui doivent être conduits pour arriver à l’objectif final. Ces chantiers vont donner lieu à des investissements soit des investissements en temps, soit des investissements en numéraires il va falloir recourir à des services des outils ailleurs, et la somme de tous ces investissements va justement être ce chiffrage que derrière on va aller financer. Je dirais qu’il y a une attention toute particulière à dimensionner l’enveloppe correctement. Il est important que l’argent qu’on va aller chercher soit consommé dans les 6 à 9 mois parce que ça va laisser 3-4 ans derrière pour pouvoir effectivement avoir un retour d’investissement sur cet argent. Si a contrario l’argent qu’on va chercher on le consomme en 12-18 voire 24 mois ça veut dire que la période résiduelle pendant laquelle cet argent va réellement fructifier, que l’investissement va servir à produire, ne sera pas au rendez-vous du plan d’investissement qui a été déterminé au départ.
- En quoi l’humain présente un intérêt dans l’exercice ?
Curieusement, sa dimension est souvent appréhendée de façon empirique par les investisseurs et les prêteurs. Selon moi, c’est l’un des points clés de la réussite et je vais donner deux exemples. Si je suis un dirigeant qui fonctionne dans le contrôle, qui fonctionne dans la maîtrise des choses, que j’ai besoin de me sentir totalement maître chez moi, il est clair que le type d’investisseur qu’on fera rentrer ne sera pas le même. La deuxième chose, c’est que la capacité de l’équipe à conclure le projet est déterminante. Si j’ai une équipe, qui a l’habitude de travailler dans un schéma de grande autonomie, cela ne va pas du tout avoir la même incidence qu’une équipe qui va fonctionner dans des schémas extrêmement directifs, cadrés etc… Pourquoi ? Cela veut dire qu’il faut que le rythme qu’on va demander à la société d’adopter soit en phase et cohérent avec ce que la société et son dirigeant sont en mesure de produire. Si je m’engage à ouvrir 25 points de vente pendant 5 ans et que la structure dans laquelle je suis est une structure qui a eu l’habitude d’en ouvrir que de 5 à 7, et que derrière, j’ai un ADN de sociétés dans lequel on est dans un contrôle absolu, cela veut dire que passer de 5 à 7 points de vente par an à 25 sera impossible. Si, en revanche, c’est juste une question de ressources humaines, c’est-à-dire que j’ai une équipe qui est staffée pour ouvrir 5 à 7 points de vente par an alors que je voudrais en ouvrir 25. Dans ces conditions, s’il n’y a pas d’opposition au niveau de l’ADN de la société, on peut imaginer qu’un simple recrutement de compétences complémentaires va permettre tout simplement d’accélérer ce rythme mais qu’en fait ce rythme n’est pas du tout antagoniste avec l’ADN de la société.
- Un dernier mot pour la fin :
En résumé, écrire une stratégie financière est absolument indispensable pour une société. Si je résume, elle est en trois parties :
-
on détermine la stratégie de développement où est ce qu’on veut aller et par quel moyen,
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on croise ça avec la situation de la société et ensuite
-
on va vérifier que ce qu’on est en train de mettre en place est réaliste, eu égard à l’ADN du dirigeant et aux compétences et aux aptitudes du personnel en place.