CA Paris, 17 mars 2021, RG n°19/20659
L’appréciation de l’existence d’une relation commerciale établie au sens de l’article L.442-6, I, 5° (ancien) du Code de commerce et la mise en cause d’une société, en raison de la rupture de la relation commerciale effectuée par une autre société du groupe auquel elle appartient, s’apprécie dans le respect du principe d’autonomie de la personne morale ; la responsabilité pourra être retenue sous réserve, rappelle la cour d’appel de Paris, de démontrer l’existence d’une immixtion caractérisée dans le fonctionnement de la société auteur de la rupture.
La société MCP Marseille a pour activité la vente et la révision de radeaux de sauvetage. Dans ce cadre, elle a noué des relations commerciales avec deux fournisseurs de radeaux neufs, à savoir :
- La société de droit anglais AB à compter du mois d’avril 2006 et,
- La société de droit italien Eurovinil à partir de février 2011.
Ces deux sociétés sont par ailleurs des sociétés sœurs de la société Survitec SAS, société française, toutes trois faisant partie du Groupe Survitec.
Par lettres recommandées avec avis de réception du 13 novembre 2013, les sociétés AB et Eurovinil ont mis fin aux contrats les liant respectivement à la société MCP Marseille, moyennant un préavis de 6 mois. La société MCP Marseille a contesté les durées des préavis ainsi accordées et demandé à ce qu’elles soient portées à 24 mois, ce qui lui a été refusé par les deux sociétés fournisseurs.
MCP Marseille a alors assigné devant le tribunal de commerce de Marseille les sociétés AB et Eurovinil, d’une part, mais également la société Survitec SAS, d’autre part, – estimant que celle-ci, en sa qualité alléguée de société mère, aurait été omniprésente dans les relations contractuelles avec les sociétés AB et Eurovinil –, pour contester la rupture des relations commerciales établies, sur le fondement de l’ancien article L.442-6, I, 5° du Code de commerce.
Les juridictions françaises se sont déclarées incompétentes pour connaitre des demandes de la société MCP Marseille à l’encontre des sociétés AB et Eurovinil, en raison des clauses attributives de juridiction au profit des tribunaux anglais stipulées dans les contrats. La demande concernant la société Survitec SAS a en revanche été déclarée recevable car cette dernière n’était pas partie aux contrats.
Au soutien de sa demande, la société MCP Marseille a soutenu que la société Survitec SAS se trouvait dans une situation d’immixtion dans le fonctionnement de ses filiales (ie selon elles les sociétés AB et Eurovinil), justifiant que sa responsabilité soit engagée au titre de la rupture opérée.
La société MCP Marseille tente d’établir « l’omniprésence [de la société Survitec] dans les relations contractuelles » en se prévalant notamment de la mention du groupe sur les documents dont elle était destinataire, tout en lui reprochant de « s’être positionnée comme auteur de la rupture abusive en étant signataire du courrier de rupture ».
En première instance, les juges du fond ont débouté la société MCP Marseille de ses demandes à l’encontre de la société Survitec SAS, estimant qu’il n’y avait pas de relation commerciale entre la société Survitec SAS et la société MCP Marseille.
La cour d’appel de Paris saisie a alors eu à apprécier si la responsabilité de la société Survitec SAS était susceptible d’être mise en cause sur le fondement de l’ancien article L.442-6, I, 5° du Code de commerce, en qualité de société-mère, pour la rupture brutale opérée par ses filiales.
La cour d’appel de Paris, pour apprécier l’existence d’une relation commerciale établie, commence par énoncer – conformément à la jurisprudence antérieure – que la relation commerciale établie s’entend « d’échanges commerciaux conclus directement entre les parties ».
Elle rappelle ensuite le principe désormais bien établi selon lequel, au regard du principe d’autonomie de la personne morale, « la mise en cause de la maison mère suppose l’immixtion de celle-ci dans le fonctionnement de ses filiales, créant l’apparence qu’elle était cocontractant de la société avec lesquelles ces dernières ont contracté ».
Partant, la cour d’appel étudie si une telle immixtion est qualifiée en l’espèce. A ce titre et par une analyse factuelle et circonstanciée des éléments soumis à son appréciation, la Cour retient que :
- La société Survitec SAS est une société sœur des sociétés AB et Eurovinil ;
- Les contrats ont été conclus avec chaque société, expressément désignée comme partie, même si les contrats portent la mention du groupe Survitec ;
- Même si les factures ont, pendant un temps, été éditées sous l’en-tête du groupe Survitec, la société cocontractante en cause était systématiquement identifiée en bas de page ;
- Au regard du principe de l’autonomie de la personne morale, la seule circonstance que les lettres de rupture aient été établies sur le papier à en-tête « Survitec Group » en mentionnant « Survitec SAS » ne peut suffire à établir une immixtion, quand ces lettres sont également signées du représentant légal des sociétés signataires.
Il ressort de ces constatations que l’appelante n’a pas réussi à démontrer l’existence d’une immixtion de la société Survitec dans le fonctionnement des deux autres sociétés appartenant au même groupe de sociétés.
La Cour en déduit que la preuve de l’existence d’une relation commerciale établie entre les sociétés MCP Marseille et Survitec SAS n’est pas rapportée.
Elle confirme ainsi le jugement de première instance.
A rapprocher : Cass. com., 12 juin 2012, pourvoi n°11-16.109, publié au bulletin ; CA Paris, 26 mars 2014, RG n°12/08406