CA Paris, Pôle 5, Chambre 4, 30 mars 2022, n°20/08551
La Cour d’appel de Paris est venue préciser la jurisprudence antérieure relative à l’application d’une clause de non-concurrence au sein d’un contrat de franchise. Elle a considéré que la clause litigieuse était justifiée par la protection du savoir-faire du franchiseur, ce dernier n’étant pas tenu de justifier de l’exclusivité de son savoir-faire ni de sa spécificité par rapport à un réseau concurrent pour s’en prévaloir.
En 2011, une société et son gérant ont conclu avec la société franchiseur un contrat de franchise d’une durée de 10 années pour l’exploitation, sous enseigne, d’un centre de réparation rapide automobile. Le contrat de franchise prévoyait, en son article 20, une clause de non-concurrence et une clause de non-réaffiliation aux termes desquelles la société franchisée et son gérant s’engageaient, pendant toute la durée du contrat, à ne pas s’intéresser directement ou indirectement à une entreprise exploitant tout ou partie des activités exploitées par le réseau de franchise sous une enseigne de renommée nationale ou régionale.
Au mois d’octobre 2019, le franchiseur a notifié à la société franchisée la résiliation immédiate et à ses torts exclusifs du contrat de franchise et a réclamé la somme de 267.498 €, à parfaire, en application de la clause pénale prévue au contrat. Il était reproché au gérant de la société franchisée d’exploiter, au travers d’une autre société, un commerce de garage réparations, vente, achat et location de voitures automobiles sous une enseigne concurrente, centre anciennement exploité en vertu d’un contrat de franchise du franchiseur arrivé à terme de plein droit.
La société franchisée a alors assigné le franchiseur devant le Tribunal de commerce d’Evry, aux fins d’obtenir des dommages et intérêts pour rupture unilatérale du contrat de franchise de mauvaise foi.
En première instance, le Tribunal a condamné le franchiseur à payer à la société franchisée la somme de 100.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi à la suite du transfert du fichier client réalisé seulement trois mois après la résiliation du contrat et le fichier d’exploitation seulement neuf mois après, préjudice estimé à un quart de la valorisation de la clientèle. Il a par ailleurs débouté le franchiseur de sa demande de dommages et intérêts aux motifs que l’obligation de non-réaffiliation du contrat de franchise ne reposait sur aucun savoir-faire exclusif démontré, et qu’une telle clause s’oppose à la liberté d’entreprendre dont la valeur est constitutionnelle. Le franchiseur a alors fait appel du jugement.
Dans son arrêt du 30 mars 2022, la Cour d’appel de Paris s’est tout d’abord prononcée sur la demande de dommages et intérêts du franchiseur au titre de la violation de la clause de non-concurrence, en relevant que le franchiseur fondait sa demande sur la clause de non-concurrence du contrat de franchise alors encore en vigueur, et non sur la clause de non-réaffiliation du contrat de franchise arrivé à terme de plein droit, comme l’avait retenu le tribunal de première instance.
Dans un premier temps, la Cour d’appel a constaté qu’il n’était pas contesté que le gérant de la société franchisée exploitait une activité concurrente sous enseigne en violation de ses obligations contractuelles, quand bien même il n’avait pas conscience de commettre une faute, ce dernier n’ayant pas pris garde aux stipulations contractuelles de son contrat de franchise. La Cour d’appel a adopté ici la position traditionnellement retenue par la jurisprudence, en vertu de laquelle le caractère intentionnel n’est pas pris en compte dans l’appréciation de la violation de la clause de non-concurrence.
Dans un second temps, la Cour d’appel a pris acte que la société franchisée ne remettait pas en cause la validité ou l’opposabilité de la clause de non-concurrence, puis l’a déboutée de son argument en vertu duquel le franchiseur ne justifiait pas d’un savoir-faire exclusif ou spécifique par rapport au réseau concurrent rejoint par la société franchisée. En effet, pour la Cour d’appel, la clause visait à protéger le savoir-faire du franchiseur, dont l’existence n’était pas contestée par la société franchisée. En conséquence, la Cour d’appel a retenu que le franchiseur pouvait s’en prévaloir sans avoir à établir l’exclusivité de savoir-faire ni de sa spécificité par rapport à un réseau concurrent. Il est utile de préciser que dans ce cas d’espèce, le contrat de franchise prévoyait explicitement que la clause avait pour objet notamment d’éviter un détournement du savoir-faire du franchiseur et de l’apport fait par celui-ci à l’exploitation d’un centre sous enseigne, lequel est habituellement concédé dans le cadre d’un contrat de franchise.
La Cour d’appel a ainsi infirmé le jugement de première instance et a condamné la société franchisée à payer au franchiseur la somme de 282.498 € à titre d’indemnité, en application de la clause pénale du contrat.
Concernant ensuite la demande de dommages et intérêts de la société franchisée, la Cour d’appel a confirmé le jugement rendu en première instance. Elle a considéré qu’en transmettant les données personnelles afférentes à l’exploitation du centre seulement trois mois après la résiliation du contrat pour le fichier client, et neuf mois pour le fichier d’exploitation, le franchiseur a causé à la société franchisée un préjudice résultant de la privation de ces données personnelles.
Ce préjudice a été calculé à partir du temps de privation et de la valorisation de la clientèle, et évalué à la somme de 100.000 €.
À rapprocher : Cass. com., 14 novembre 1995, n°93-16299 ; Cass. com., 2 octobre 2019, n°18-15676