Le cumul des sanctions administratives validé par le Conseil constitutionnel

ASTRUC Julie

Avocate

Cons. const., décision n°2021-984 QPC, 25 mars 2022

Le Conseil constitutionnel déclare conformes à la Constitution les dispositions de l’article L. 470-2 VII du Code de commerce relatif au cumul de sanctions administratives relevant de pratiques anticoncurrentielles.

Partant, une même sanction administrative peut être infligée autant de fois qu’il y a eu d’actes constitutifs de pratiques anticoncurrentielles.

En 2021, l’Administration a prononcé des amendes de plusieurs millions d’euros constatant des infractions de même nature, commises par la centrale d’achat I., n’ayant pas fait figurer, 61 fois, une mention obligatoire dans les conventions annuelles, et par la centrale d’achat E., n’ayant pas signé, 21 fois, les conventions annuelles avant la date butoir du 1er mars.

Le Conseil d’Etat, saisi du recours contre l’amende administrative, a posé une question prioritaire de constitutionnalité (« QPC ») au Conseil Constitutionnel sur la conformité du cumul des sanctions administratives (art. 470-2 VII du Code de commerce) à la Constitution.

Pour mémoire, l’article L. 470-2 du Code de commerce dispose que « lorsque, à l’occasion d’une même procédure ou de procédures séparées, plusieurs sanctions administratives ont été prononcées à l’encontre d’un même auteur pour des manquements en concours, ces sanctions s’exécutent cumulativement ».

La requérante reprochait aux dispositions de l’article L. 470-2 VII du Code de commerce de méconnaître trois principes constitutionnels :

le principe de proportionnalité des peines au motif que ces dispositions ne prévoient aucun plafond au cumul des sanctions administratives prononcées pour des manquements en concours ;
le principe de légalité des délits et des peines, faute de définition de la notion de « manquements en concours » ;
le principe non bis in idem, en raison du cumul des sanctions administratives permises.

Le Conseil constitutionnel répond d’une part que le cumul des sanctions administratives prévu par l’article L. 470-2 VII du Code de commerce est conforme, et d’autre part que le cumul des amendes n’est pas soumis à un plafond.

Sur la validité du cumul des sanctions administratives
Selon le Conseil constitutionnel, aucune exigence constitutionnelle n’impose que des sanctions administratives prononcées pour des manquements distincts soient soumises à une règle de non-cumul (pt 8).

Il est donc possible de cumuler des amendes administratives, sous réserve de respecter le principe de légalité des délits et des peines, prévu à l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (« DDHC »)(pt 4).

L’article 8 de la DDHC dispose que « La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu’en vertu d’une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée. ».

Le principe de légalité des délits et des peines implique que les incriminations soient définies en termes suffisamment clairs et précis (Cons. const., 20 janvier 1981, n°80-127).

Or, la requérante reprochait aux dispositions de ne pas définir l’expression « manquements en concours ».

Toutefois, le Conseil constitutionnel retient une définition large estimant qu’il y a manquement en concours « lorsqu’un manquement est commis par une personne avant que celle-ci n’ait été définitivement sanctionnée pour un autre manquement » (pt 7).

Par conséquent, le Conseil constitutionnel estime que la notion de « manquements en concours » est suffisamment définie. Le grief tiré de la méconnaissance du principe de légalité des délits et des peines est écarté.

Le Conseil écarte également le grief tiré de la violation du principe « non bis in idem », dès lors que n’est remplie ni la condition « bis » ni la condition « idem ».

Sur l’absence d’un plafond en cas de cumul des amendes
En vertu de l’ancienne version de l’article L.470-2 VII du Code de commerce, le cumul est prévu dans la « limite du maximum légal le plus élevé ». Toutefois, ce plafond maximum a été abrogé par la loi du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique (dite « loi Sapin 2 ») pour les amendes infligées au titre de pratiques anticoncurrentielles.

Premièrement, le Conseil constitutionnel indique que les dispositions de l’article L. 470-2 VII du code de commerce n’ont pas pour objet de déterminer le montant des sanctions encourues pour chaque manquement réprimé (pt 9).

Deuxièmement, le Conseil observe que les dispositions de l’article L. 470-2 VII du Code de commerce n’interdisent pas à l’Administration de prendre en compte la nature des manquements, leur répétition et leur gravité pour déterminer le montant, en particulier lorsqu’elles s’appliquent cumulativement. C’est donc à l’Administration d’appliquer, sous le contrôle du juge,  le principe de proportionnalité (pt 9).

Les dispositions de l’article L. 470-2 VII du Code de commerce ne violent donc pas le principe de proportionnalité des peines.

Par conséquent, en cas d’infractions répétées, les entreprises peuvent se voir infliger, sur le fondement de l’article L. 470-2 du Code de commerce, plusieurs amendes administratives, sans plafond maximum.

Eu égard à l’augmentation du nombre des contrôles et des amendes prononcées par l’Administration, la présente décision ne fait que renforcer le risque pour les entreprises de se voir infliger des amendes considérables, d’autant plus qu’aucun plafond pour le cumul des sanctions administratives n’est fixé.

 

À rapprocher : TA Montreuil, 22 nov. 2018, n° 1608976, 1711242 ; CAA Paris, 3ème ch., 16 avril 2019, n° 17PA03030

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