Dans cette affaire, la théorie de la fraude a permis à une tête de réseau de neutraliser les effets de la cession à son encontre, voire récupérer la marque.
La théorie de la fraude, bien connue des civilistes, n’est pas étrangère au droit des marques. En effet, la fraude est expressément visée à l’article L.712-6 du CPI comme fondement d’une action en revendication ; elle trouve également à s’exprimer de façon plus générale en application de la maxime fraus omnia corrumpit pour faire annuler un dépôt frauduleux. Hors ces hypothèses de dépôt frauduleux, il convient également d’envisager les cas d’acquisition frauduleuse. Telle était précisément l’hypothèse dans l’affaire ayant conduit au jugement commenté.
Dans cette affaire, une société licenciée d’un réseau de centres de fitness (au sein de laquelle la tête de réseau détenait une participation) avait détecté l’existence d’une marque susceptible de constituer une antériorité à la marque du réseau. Après en avoir fait l’acquisition, elle développa un réseau sous la marque qu’elle venait d’acquérir et tenta d’obtenir la nullité du contrat de licence la liant à la tête de réseau.
La fraude était donc au cœur de la discussion, la tête de réseau entendant, sur ce fondement, neutraliser les effets de la cession à son encontre voire récupérer la marque.
Le Tribunal s’attache en premier lieu à caractériser la fraude. Pour cela, il rappelle qu’en application de l’adage fraus omnia corrumpit, l’acquisition de la propriété d’une marque, sous une apparence régulière, dans la seule intention d’entraîner la remise en cause d’un contrat par le jeu de l’antériorité ainsi acquise est constitutive d’une fraude.
Le Tribunal s’attache tout particulièrement à la chronologie des faits pour caractériser la fraude. Il relève que, quelques jours avant la signature de la cession, le titulaire de la marque avait fait délivrer des sommations à certains des licenciés du réseau et ce, alors même qu’il ressortait des pièces du dossier qu’il avait connaissance du réseau depuis au moins plus de trois ans. Les magistrats ne manquent pas de relever également le prix particulièrement exorbitant de la cession, intervenue moyennant un prix de 400.000 €, pour une marque qui ne faisait l’objet d’une exploitation que pour un centre de sport dans la banlieue lyonnaise. Le cédant exploitait en effet sa marque depuis près de dix ans uniquement dans le cadre de l’exploitation d’une seule salle de sport.
Le Tribunal en conclu que la chronologie des événements démontre que l’acquisition de la marque, de manière précipitée et cachée, dans la seule intention de l’opposer immédiatement à la tête de réseau dans le seul but de cesser de verser des redevances et l’empêcher de développer son réseau, était manifestement frauduleuse. L’intention ne pouvait donc pas être, comme le soutenait la défenderesse, de préserver ses droits (prenant appui à cette fin sur les sommations délivrées par le cédant très opportunément), ce d’autant qu’à aucun moment elle n’avait fait part à la tête de réseau de son projet. Le caractère frauduleux de la cession est donc retenu.
La tête de réseau sollicitait, comme sanction de la cession frauduleuse, la substitution dans les droits du cessionnaire et proposait même d’opérer celle-ci moyennant une contrepartie financière équivalente au prix de la cession.
Le Tribunal déclare la cession inopposable par le cessionnaire et ses ayant-droits à la tête de réseau et à ses ayant-droits. Il rappelle en effet que « Le transfert de la marque acquise frauduleusement n’étant pas prévu par les textes et ne pouvant donc être ordonné, la sanction de cette fraude affectant cet acte est l’inopposabilité de cette marque à la victime de la fraude » Il est vrai que l’action en revendication de l’article L.712-6 du CPI ne vise que le cas du dépôt frauduleux qui permet à la victime d’être subrogée dans les droits du cédant ; lorsque la fraude est soulevée dans le cadre d’une action en nullité, la reconnaissance de la fraude aboutit à la nullité du dépôt et le signe se retrouve libéré de tout droit privatif.
Le fraudeur est également condamné au titre des manquements contractuels par ailleurs commis. La reconnaissance de la fraude a donc permis à la victime de neutraliser les effets de la cession de marque à son encontre et les membres de son réseau, jouant ainsi son rôle de régulateur.