Le devoir de s’informer soi-même constitue la règle, dont l’obligation d’informer ne constitue que l’exception, en particulier lorsque les protagonistes sont des professionnels.
Dans la société actuelle, (censée être) composée d’individus responsables et autonomes, le devoir de prendre l’initiative, donc de s’informer soi-même, constitue la règle, le principe (trop souvent) oublié, dont l’obligation d’informer ne constitue que l’exception, en particulier lorsque les protagonistes sont des professionnels. A l’instar de tout distributeur, le commissionnaire-affilié, commerçant indépendant, n’échappe pas au devoir de « se » renseigner. L’arrêt commenté rappelle fort opportunément la portée de ce devoir, appliqué – en l’espèce – à la question lancinante du prévisionnel.
On a beaucoup écrit sur la question, que l’on songe notamment à la doctrine, évoquant ce sujet sous l’angle du droit commun (F. Terré, Ph. Simler, Y. Lequette, Les obligations, Précis Dalloz, 9ème éd., 2005, n°259 ; P. Jourdain, Le devoir de se renseigner, D. 1983, p. 139) ou même, plus précisément, sous celui du droit de la distribution (P. Durand, L’information pré-contractuelle obligatoire du concessionnaire exclusif, Cah. dr. entr. 1990 n°5, p. 2p. 21 ; Ph. Le Tourneau, De l’allégement de l’obligation de renseignement ou de conseil, D. 1987, Chron., p. 101), ou à la jurisprudence qui, ici ou là, ne manque pas d’utiliser certaines formules riches, car empruntant au bon sens (T. com. Paris, 28 sept. 2005, RG n°2002/055929, inédit: « le franchisé est un commerçant indépendant sur qui pèsent seul les risques du commerce ; (…) le franchisé est certes éclairé par les éléments fournis par le franchiseur, mais qu’il a un devoir de se renseigner et de procéder à des vérifications par lui-même, notamment en interrogeant les responsables d’autres points de vente »).
Dans cette affaire, les faits étaient classiques, ce qui donne à l’arrêt commenté une portée certaine. Le commissionnaire-affilié se plaignait de ce que le prévisionnel, qu’il avait lui-même établi, s’était avéré totalement irréaliste pour avoir été dressé à partir de données qui, sélectionnées par le commettant, ne reflétaient que la situation des succursales et non celles de magasins affiliés du réseau.
A cet égard, la Cour d’appel relève que : « comme l’a relevé le tribunal de commerce, la sélection flatteuse opérée par [le commettant] n’est pas pour autant inexacte, qu’outre le fait que [le commettant] justifie que des magasins ouverts dans des villes de moins de cinquante mille habitants prospèrent et ont réalisé des chiffres d’affaires atteignant ces mêmes prévisionnels, peu important d’ailleurs à cet égard le fonctionnement d’un magasin, la cour constate que [le commissionnaire-affilié] a réalisé un chiffre d’affaires inférieur de 10% au prévisionnel dont l’irréalisme ne peut par conséquent être sérieusement invoqué et qu’ainsi le projet [du commissionnaire-affilié] était viable et l’espérance de gain essentielle pour la détermination de son consentement n’était pas vaine ».
Ce faisant, la Cour d’appel de Paris retient : « Considérant que se trouve exclue la possibilité pour [le commissionnaire-affilié] qui pouvait prendre des renseignements auprès des autres affiliés et franchisés dont les coordonnées lui étaient données et qui devait apprécier le risque d’entreprise et le potentiel de son commerce, d’avoir été victime d’un dol ou d’une réticence dolosive de la part [du commettant] et d’avoir commis une erreur substantielle sur la rentabilité de l’activité qu’elle entreprenait ; qu’il n’ y a pas lieu d’annuler le contrat ».
Une telle solution doit être approuvée. Elle se justifie en effet dans tous les cas où il apparaît que le distributeur aurait pu (ou dû) disposer de l’information en cause. Il en va ainsi notamment lorsque :
- le distributeur justifie d’une certaine expérience (CA Nîmes, 23 juin 2005, Juris-Data n°282018 ; v. aussi, CA Paris, 11 mars 2010, Juris-Data n°023227) ;
- la tête de réseau ne présente qu’une expérience limitée, une telle situation étant de nature à éveiller l’attention du distributeur (CA Toulouse, 25 mai 2004, Juris-Data n°247226) ;
- la marque est nouvelle (CA Nîmes, 23 juin 2005, Juris-Data n°282018) ;
- le réseau est de taille significative, ce qui laisse tout loisir au futur distributeur de consulter lui-même les chiffres d’affaires et résultats des membres du réseau qu’il s’apprête à intégrer (CA Nîmes, 23 juin 2005, Juris-Data n°282018) ;
- les parties entretiennent de longue date des relations d’affaires (CA Toulouse, 27 mai 2003, Juris-Data n°218275 ; CA Paris, 25 sept. 1998, Juris-Data n°024245) ;
- le candidat distributeur a pu, deux mois avant la signature du contrat, s’entretenir avec un représentant du franchiseur et suivre un stage chez l’un des franchisés (CA Paris, 16 nov. 2006, Juris-Data n°322715).