Selon la Cour de cassation, l’article L.442-6 du Code de commerce peut s’appliquer au profit du distributeur étranger, y compris pour la distribution de produits à l’étranger.
L’article L.442-6, I, 5° du Code de commerce n’en finit plus de susciter des controverses. Nouvelle conséquence de la nature délictuelle de la responsabilité, la Cour de cassation vient de décider, dans un arrêt important du 25 mars 2014, que ce texte pouvait s’appliquer à un fournisseur français, dans ses relations avec un distributeur étranger, relativement à la distribution de ses produits à l’étranger.
En l’espèce, une société chilienne a distribué au Chili les parfums produits par une société française, de 1991 à 2003. En 1999, les parties ont formalisé leurs relations par la conclusion d’un contrat à durée déterminée de 3 ans, lequel a été reconduit pour une durée indéterminée. Comme pour tous contrats à durée indéterminée, chacune des parties disposait du droit de résilier le contrat unilatéralement, ce qu’a fait le fournisseur français, par lettre du 23 mai 2003. N’ayant bénéficié d’aucun préavis, le distributeur chilien a alors assigné le fournisseur français pour rupture brutale d’une relation commerciale établie. Par la même occasion, le distributeur chilien a souhaité engager la responsabilité contractuelle du fournisseur, notamment pour non-respect d’une clause d’exclusivité.
La Cour d’appel de Paris a alors condamné le fournisseur français au titre du manquement à la clause d’exclusivité, ainsi qu’au titre de la rupture brutale des relations commerciales établies, et a débouté le distributeur chilien du surplus de ses demandes (CA Paris, 4 octobre 2012, RG n°11/17783 ; Juris-Data n°2012-026318). Le fournisseur français a formé un pourvoi en cassation sur la seule question de la rupture brutale d’une relation commerciale établie, en prétendant notamment que l’article L.442-6, I, 5° du Code de commerce n’avait pas vocation à s’appliquer à la distribution des produits effectuée au Chili par un distributeur chilien. La Cour de cassation a rejeté le pourvoi et a approuvé la Cour d’appel d’avoir appliqué la loi française au cas d’espèce.
Pour aboutir à cette solution, la Cour s’est basée sur la nature délictuelle de la responsabilité tirée de l’article L.442-6 du Code de commerce. Ainsi, compte tenu de cette nature délictuelle, et étant donné que le fait dommageable est intervenu avant l’entrée en vigueur du Règlement Rome II, la loi applicable est censée être celle du lieu du délit, principe posé par l’arrêt Lautour (Cass. civ., 25 mai 1948, GAJFDIP, Dalloz, 5e éd. 2006, n° 19). Concernant la faute ou l’acte causal, qui est la première composante du délit, chaque partie pouvait rompre le contrat, et la résiliation n’est donc pas une faute. Ce qui est fautif, c’est le caractère brutal de la rupture, c’est-à-dire l’absence de préavis (Cass. com., 13 juin 2013, n°12-20.846). L’acte causal est donc l’absence de préavis, ce qui est totalement abstrait et donc non localisable.
A défaut d’acte causal localisable, c’est le lieu du dommage, deuxième composante du délit, qui doit être pris en considération. En matière de rupture brutale de relations commerciales établies, le dommage est la perte de marge subie pendant la période de préavis à laquelle on pouvait légitimement prétendre (Cass. com., 13 juin 2013, n°12-20.846 ; Cass. com., 22 octobre 2013, n° 12-28.704). Ce préjudice était assez aisément localisable. La perte de marge brute est subie au Chili, chez le distributeur. C’est d’ailleurs le raisonnement suivi pour déterminer la compétence territoriale des tribunaux dans les litiges franco-français (Cass. civ. 2ème, 6 octobre 2005, n°03-20.187). Pourtant, et de manière assez inexpliquée, la Cour d’appel de Paris, puis la Cour de cassation, ont préféré ignorer cette localisation. Selon la Cour, il s’agirait d’un délit complexe, pour lequel il doit être recherché « le pays présentant les liens les plus étroits avec le fait dommageable ». S’agissant d’un contrat conclu en France et désignant le droit français, l’article L.442-6 du Code de commerce a été considéré comme applicable.
Cet arrêt est un infléchissement très important de l’ancienne jurisprudence. En effet, la nature délictuelle avait jusqu’alors justifié que l’on ne fasse pas application des clauses désignant le tribunal compétent ou le droit applicable au contrat (Cass. com., 6 février 2007, n° 04-13.178). Subtilement, la Cour de cassation décide malgré tout que cette clause est un indice, qui permet de déterminer l’Etat avec lequel le fait générateur a le lien le plus étroit. Sans être juridiquement applicables, ces clauses sont donc malgré tout efficaces. Cependant, on peut s’interroger sur cette jurisprudence. En effet, pour les faits générateurs postérieurs au 11 janvier 2009, le Règlement Rome II aura vocation à s’appliquer. Or, il prévoit que la loi applicable en priorité est celle du lieu du dommage, et donc la loi de celle des parties qui subit la rupture sans préavis (V. notamment : CA Versailles, 29 octobre 2013, RG n°12/01461). Il est donc incertain que la Cour de cassation maintienne cette solution lorsque le Règlement Rome II sera applicable.