Le projet de loi renforçant les droits, la protection et l’information des consommateurs comprend une série de mesures nouvelles.
Le projet de loi renforçant les droits, la protection et l’information des consommateurs comprend une série de mesures nouvelles – pour ne pas dire novatrices –, dont certaines concernent le secteur de la distribution alimentaire, que la présente étude se propose de commenter (en revanche, nous n’évoquerons pas ici les autres aspects de ce projet de loi concernant, notamment, les secteurs de la téléphonie, de l’internet, de l’énergie et de l’immobilier, qui n’intéressent pas le droit de la franchise et de la distribution).
Dans le prolongement de l’avis n° 10-A-26 rendu le 7 décembre 2010 par l’Autorité de la concurrence (ADLC), le législateur a considéré nécessaire d’encadrer les relations contractuelles entre les magasins indépendants et la société tête de réseau, afin de faciliter les changements d’enseigne dans le secteur de la distribution alimentaire.
C’est ainsi qu’un projet de loi – déjà très commenté – a été présenté par Monsieur le Secrétaire d’Etat Frédéric Lefebvre, le 1er juin dernier, en Conseil des ministres.
Ce projet de loi vient tout juste d’être examiné, les 5 et 6 juillet 2011, par la Commission des affaires économiques de l’Assemblée Nationale qui, sous l’impulsion de Monsieur le rapporteur Daniel Fasquelle, a apporté plusieurs amendements au texte d’origine. Un rapport a été établi à l’issue de ces récentes discussions parlementaires.
Il sera prochainement mis en ligne sur le site de l’Assemblée Nationale. Notre étude porte donc sur le projet de loi modifié (il y a quelques jours seulement), appelé à être examiné au sein de l’hémicycle dans les prochaines semaines.
Le projet de loi modifié définit, ce qui constitue en soi une nouveauté, la notion de convention d’affiliation (I) qui, lorsqu’elle est obligatoire au sens de la loi (II), se voit attribuer un régime juridique spécifique, comportant des règles de forme (III) et de fond (IV). Des dispositions transitoires sont prévues pour permettre une entrée en vigueur progressive de ce nouveau dispositif (V).
I. Notion de « convention d’affiliation »
Le Titre IV du Livre III du code de commerce qu’il est projeté d’insérer annonce un nouvel article L.340-1, dont le I° est relatif à la notion de la « convention d’affiliation », qui constitue un instrument juridique totalement nouveau puisqu’aucune définition juridique n’en était jusqu’à présent donnée, du moins par le législateur.
En l’état, compte tenu d’un amendement (n°485) adopté le 5 juillet 2011, l’article L.340-1-I du code de commerce est désormais rédigé comme suit :
« Est considérée comme une convention d’affiliation un contrat, conclu entre une personne physique ou morale de droit privé réunissant des commerçants, autre que celles mentionnées aux chapitres V et VI du titre II du livre Ier, ou mettant à disposition des services mentionnés au premier alinéa de l’article L. 330-3, et toute personne exploitant pour son compte ou pour le compte d’un tiers au moins un magasin de commerce de détail à dominante alimentaire. Conclue en sus de tout autre contrat pouvant exister par ailleurs entre les parties, la convention d’affiliation comprend les informations relatives aux engagements des parties susceptibles de limiter la liberté d’exercice par cet exploitant de son activité de commerçant. » (Nous soulignons).
Trois remarques s’imposent.
En premier lieu, cette définition est très générale. Elle vise toute forme de relation contractuelle, toute forme de réseau, sans distinction. Sa vocation est donc générale.
En deuxième lieu, comme le soulignent l’exposé sommaire d’un amendement du rapporteur (n°485) et les discussions ayant précédé son adoption, la convention d’affiliation ne se substitue ni aux contrats pouvant être par ailleurs conclus (contrat d’approvisionnement, contrat d’enseigne, etc.), ni aux liens d’autre nature éventuellement noués au sein du groupe (sous forme de contrat, de coopérative, d’association, ou même de société civile ou commerciale, etc.). L’amendement du rapporteur est utile, dès lors que la lecture du projet de loi d’origine pouvait donner le sentiment contraire.
En troisième lieu, la notion de « commerce de détail à dominante alimentaire » est précisée à l’article L.340-2 du code de commerce, commenté dans notre point II ci-après.
II. Caractère « obligatoire » de la convention d’affiliation
En l’état, à peine modifié par amendement (n°485) adopté le 5 juillet 2011, l’article L. 340-2 du code de commerce rend « obligatoire » la convention d’affiliation telle que définie ci-dessus, lorsque deux conditions sont réunies :
– « l’exploitant gère au moins un magasin de commerce de détail, tel que visé à l’article L. 430-2, en libre-service » (nous soulignons) ;
– le chiffre d’affaires hors taxes, hors carburant, de ce magasin de commerce de détail « provient pour plus du tiers de la vente de produits alimentaires » (nous soulignons).
Il est précisé en outre qu’« un décret, pris après avis de l’Autorité de la concurrence, définit, en tant que de besoin, les secteurs d’activité pour lesquels et les seuils de surface et de chiffre d’affaires en deçà desquels il pourra être dérogé à cette obligation » (nous soulignons). Si le texte d’origine a été très peu modifié sur ce point, trois remarques s’imposent également.
En premier lieu, il faut revenir sur la notion même de « libre-service ». Observons tout d’abord, à la lumière des discussions ayant eu lieu les 5 et 6 juillet 2011 au sein de la Commission des affaires économiques de l’Assemblée Nationale, qu’un amendement (n°317) tendait à élargir la portée du texte en supprimant le terme « libre-service », afin que la convention d’affiliation s’applique à tous les types de commerce ; cet amendement a été rejeté, à juste titre selon nous, au motif que le projet de loi s’inscrit résolument dans le cadre du périmètre tracée par le rapport de l’ADLC, visant essentiellement la grande distribution (v. Rapport de l’ADLC, spéc. §§. 15 et suiv.). Un autre amendement (n°288) tendait au contraire à en limiter la portée, en excluant de son champ d’application les exploitations du secteur de la « distribution alimentaire spécialisée », de manière à exclure toute une série de commerces de détail, tels que « la distribution de chocolats, de produits surgelés, de plats à emporter » devant a priori en être exclus pour n’avoir pas été visés dans l’exposé des motifs du texte. S’il a été retiré en raison (notamment) de l’absence de toute notion juridique de « distribution alimentaire spécialisée », cet amendement a néanmoins permis d’instaurer une discussion de nature à clarifier davantage le champ d’application du texte ; il ressort en effet des observations formulées en séance par Monsieur le Secrétaire d’Etat que l’emploi, par le projet de loi, des termes « en libre-service » permet d’exclure du champ d’application du texte « les commerces de bouche tels que boucheries, boulangeries, confiseries, chocolateries, etc. ». De même, l’on notera que, par suite d’un amendement (n°289) rectifié et adopté, le Titre IV du Livre III du code de commerce dans lequel s’inséreront les nouveaux articles issus de cette réforme devrait s’intituler « Des réseaux de distribution alimentaire », et non plus « Des réseaux de distribution », comme le proposait le texte d’origine, qui pouvait ainsi donner à penser que tous les secteurs d’activité étaient susceptibles d’entrer dans le champ d’application du texte.
En deuxième lieu, il faut revenir sur la notion de « produits alimentaires » et le seuil du « tiers » à laquelle cette notion est associée. Ainsi que Monsieur le rapporteur Fasquelle l’a rappelé en séance, la définition des commerces alimentaires est issue des travaux de l’INSEE ; c’est la définition de l’INSEE qui sert de référence pour distinguer ce qui est alimentaire de ce qui ne l’est pas.
En troisième lieu, le renvoi au décret, destiné à définir « les secteurs d’activité pour lesquels et les seuils de surface et de chiffre d’affaires en deçà desquels il pourra être dérogé à cette obligation », suscite plusieurs observations. Pour les uns, le renvoi au décret n’est pas acceptable ; pour d’autres, tel que Monsieur le Secrétaire d’Etat, « le renvoi au décret permet de préciser les secteurs d’activité concernés afin d’éviter une application trop extensive ». Quoiqu’il en soit, du point de vue des praticiens, il importe de savoir clairement quels secteurs d’activité entreront finalement dans le champ d’application du texte rendant la convention d’affiliation « obligatoire » ; il faut bien le dire, sur ce point précis – mais fondamental –, le texte est loin d’être stabilisé à ce stade. De ce fait, il augure de vives discussions à la rentrée.
Lorsque cette convention est obligatoire, la convention d’affiliation doit obéir à des règles de forme et de fond.
Les dispositions de ce projet de loi inspireront début 2015 le projet de loi Macron.
III. Règles de forme
Dans sa version initiale, le projet de loi avait envisagé de formaliser la convention d’affiliation par un « document unique », formulation semblant laisser entendre que ce document se substituait aux contrats que les opérateurs pouvaient avoir conclus par ailleurs, ou aux liens d’autres nature éventuellement noués au sein du groupe. Tel n’est plus le cas. Désormais, la convention d’affiliation doit être formalisée par un « document » (art. L.340-1) ; il s’agit là d’une condition de validité de l’acte qui, « naît de la signature de ce document par les deux parties ». Ce document doit :
– récapituler les stipulations applicables du fait de l’affiliation, regroupées selon des rubriques définies par un décret, pris après avis de l’ADLC, en fixant notamment :
1° Les conditions de l’affiliation et de la participation au groupement ;
2° Les conditions d’utilisation des services commerciaux apportés à l’exploitant, en particulier d’approvisionnement et d’usage des marques et enseignes ;
3° Le fonctionnement du réseau ;
4° Les conditions de renouvellement, cession et réalisation des contrats régissant les relations commerciales découlant de l’affiliation ;
5° Les obligations applicables après rupture des relations d’affiliation ».
– préciser expressément le terme de la convention d’affiliation.
Selon un amendement (n°486) du rapporteur, qui a son importance, cette convention d’affiliation s’applique « sous réserve des règles statutaires et décisions collectives adoptées conformément aux lois sur les associations, les sociétés civiles, commerciales ou coopératives. »
De plus et surtout, ce document « doit, à peine de nullité de la convention d’affiliation, être remis à l’exploitant au moins deux mois avant sa signature » (C.com., art. L. 340-3) ; un amendement (n°488) du rapporteur, introduit ce délai de deux mois, se substituant ainsi au renvoi (indésirable il est vrai) à un décret que le texte du projet de loi d’origine prévoyait. Toutefois, ce délai de deux mois est-il notablement plus long que celui de 20 jours par ailleurs visé à l’article L. 330-3 du code de commerce. L’explication avancée en séance a consisté à indiquer que la convention d’affiliation est « un engagement lourd de conséquences ». S’il est sain que le pouvoir législatif fixe un tel délai, il n’en demeure pas moins que la solution issue du projet de loi modifié ne nous semble pas satisfaisante. D’une part, le secteur de la distribution alimentaire est loin d’être le seul à emporter des engagements conséquents pour ses opérateurs et, de ce seul fait, il nous semble bien que l’argument avancé en séance ne suffise pas à justifier la modification apportée. D’autre part, le texte créé en définitive « deux poids deux mesures », en imposant un délai de deux mois pour les opérateurs du secteur de la distribution alimentaire et de 20 jours pour tous les autres, ce que rien ne justifie (outre le fait que la distinction entre ces deux catégories n’est pas encore totalement tranchée, cf. notre point II ci-dessus). A notre avis, le législateur y gagnerait à retenir la solution simple et dénuée de toute confusion possible consistant, comme le suggérait d’ailleurs un amendement (n°287), à retenir que le délai applicable pour la remise de la convention d’affiliation soit le même que celui qui est prévu pour la remise des documents d’information précontractuels.
IV. Règles de fond
Lorsque la convention d’affiliation est obligatoire, elle doit par ailleurs obéir à des règles de fond.
En premier lieu, le projet de loi tend à limiter la durée des contrats d’affiliation pour « faciliter la sortie du réseau ». De ce fait, la durée de ces conventions est encadrée par plusieurs règles, relatives à leur durée maximale, à leur renouvellement, et au préavis qui précède la rupture de la relation contractuelle.
Selon l’article L.340-4 du code de commerce issu du projet de loi, la durée maximale des conventions d’affiliation est appelée à être précisée par décret pris après avis de l’ADLC, sans pouvoir en toute hypothèse être supérieure à dix ans. Tel est le cas général. A cet égard, l’on rappellera que l’ADLC, dans son « Avis », préconisait, entre autres, de limiter les contrats d’affiliation de la distribution alimentaire à une durée de 5 ans (à juste titre jugée trop courte par de nombreux opérateurs). L’on peut toutefois regretter que la durée maximale de la convention d’affiliation soit abandonnée au pouvoir réglementaire, qui pourrait parfaitement, en l’état du texte actuel, retenir une durée maximale de cinq ans. A ce cas général, s’ajoute un cas particulier : lorsque cette convention d’affiliation comporte une obligation d’approvisionnement de l’affilié à concurrence de plus de 80% de ses achats, elle ne peut être conclue pour une durée supérieure à 5 ans, précision apportée par deux amendements identiques adoptés (n°95 et n°314).
Pour ce qui concerne le renouvellement des conventions d’affiliation, un amendement du rapporteur (n°488) leur permet d’être renouvelées aussi bien explicitement que tacitement, alors que cette dernière possibilité était exclue dans la rédaction originelle du projet de loi. Cette modification ne peut être qu’approuvée, tant il est vrai qu’interdire un renouvellement tacite aurait constitué une entrave invraisemblable à la liberté contractuelle, d’autant plus injustifiée qu’elle n’aurait pas pour autant répondu aux objectifs de la réforme.
Quant à la question du préavis, le projet de loi modifié prévoit qu’ « un décret, pris après avis de l’Autorité de la concurrence, précise le délai de préavis à respecter pour informer l’autre partie de sa volonté de ne pas renouveler la convention d’affiliation à durée déterminée, au terme de celle-ci. » (Nous soulignons). Un mécanisme similaire est également prévu en cas de tacite reconduction de la convention d’affiliation. Il est toutefois envisagé d’inscrire ce délai dans la loi elle-même, après consultation de l’ADLC, ce qui est préférable.
En second lieu, le projet de loi tend par ailleurs à encadrer le contenu même de ces conventions d’affiliation. Ainsi, lorsque la convention d’affiliation est obligatoire :
(a) il ne peut y être dérogé par voie contractuelle que par modification de cette même convention,
(b) aucune stipulation, ni aucun contrat conclus dans le cadre ou pour la mise en œuvre de cette convention d’affiliation ne peut faire obstacle à la mise en jeu des stipulations énoncées par cette convention,
(c) lorsqu’elle prévoit le versement de sommes constituant une condition préalable à l’établissement ou au renouvellement de la relation commerciale, le document mentionne la possibilité d’acquitter ces sommes, soit en totalité au moment de la signature du contrat, soit en plusieurs versements, les versements dus au titre de la dernière année ne pouvant excéder 20 % du total de ces sommes. En cas de violation ces dispositions particulières, d’ordre public, les sommes dues à ce titre ne seront exigibles que dans la limite de 10 % par an de leur montant nominal initial, tel qu’il figure dans la convention d’affiliation (C.com., art. L. 340-5),
(d) après l’échéance ou la résiliation d’une telle convention d’affiliation, aucune clause ayant pour effet de restreindre la liberté d’exercice par l’exploitant de son activité commerciale ne peut trouver application si elle n’est pas énoncée dans cette convention. En outre, de telles clauses ne peuvent produire leurs effets plus d’une année après cette résiliation ou cette échéance. Enfin, elles ne peuvent produire leurs effets que relativement aux biens et services objets de la convention d’affiliation et aux terrains et locaux à partir desquels celui qui a souscrit la convention d’affiliation a opéré, pendant la durée de cette convention (C.com., art. L. 340-5).
V. Dispositions transitoires
Le projet de loi envisageait d’insérer dans le code de commerce un article L. 340-7 ainsi rédigé :
« Art. L. 340-7. – I. – Les dispositions du présent titre sont applicables aux contrats conclus à compter du 1er juillet 2012.
« II. – Les contrats de toute nature établissant une relation d’affiliation entrant dans le champ visé au premier alinéa de l’article L. 340-2, qui ont été conclus antérieurement au 1er juillet 2012, devront être remplacés avant le 1er janvier 2014 par une convention d’affiliation, conclue dans les conditions posées par le présent titre.
« III. – À compter du 1er janvier 2014, à défaut de conclusion, dans le respect des règles fixées au présent titre, d’une convention d’affiliation, chaque partie peut mettre fin à une relation d’affiliation entrant dans le champ d’application du I de l’article L. 340-2, sans que lui soient opposables les accords, clauses ou contrats antérieurement conclus. Cette résiliation intervient à l’expiration du délai fixé au II de l’article L. 340-3, compté à partir de la notification à l’autre partie de la nécessité de se mettre en conformité avec les dispositions du présent titre. »
Autrement dit, les dispositions du projet de loi sont prévues pour être applicables aux contrats conclus à compter du 1er juillet 2012 mais les contrats conclus postérieurement au 1er juillet 2012 devront être en conformité avec les présentes dispositions avant le 1er janvier 2014. À défaut « chaque partie peut mettre fin à une relation d’affiliation entrant dans le champ d’application du I de l’article L. 340-2, sans que lui soient opposables les accords, clauses ou contrats antérieurement conclus ». Toutefois, un amendement (n°496) vient modifier les alinéas 26 à 28 du texte d’origine, en leur substituant la rédaction suivante : « II. – Pour les contrats à durée déterminée conclus entre les parties mentionnées à l’article L.340-1, à l’exception des contrats de bail, qui sont en cours de validité à la date de promulgation de la présente loi, les dispositions du présent article s’appliquent au plus tard sept ans à compter de la date de promulgation de la présente loi ».