CA Paris, Pôle 1, chambre 3, 10 février 2015, n°14/02110
Le juge des référés est compétent, même en présence d’une contestation sérieuse, pour contraindre un franchisé à exécuter son contrat de franchise jusqu’à son terme lorsque l’existence d’un « trouble manifestement illicite » au sens de l’article 873 du CPC est caractérisée.
Ce qu’il faut retenir : Le juge des référés est compétent, même en présence d’une contestation sérieuse, pour contraindre un franchisé à exécuter son contrat de franchise jusqu’à son terme lorsque l’existence d’un « trouble manifestement illicite » au sens de l’article 873 du CPC est caractérisée.
Pour approfondir : Rares sont les plaideurs osant saisir le juge des référés d’une demande tendant à forcer l’exécution d’un contrat jusqu’à son terme, sans doute par crainte de voir une telle demande rejetée par le juge de l’évidence. C’est pourtant la solution qui se dégage en jurisprudence : le juge des référés est bien compétent, même en présence d’une contestation sérieuse, pour contraindre un franchisé à exécuter son contrat de franchise jusqu’à son terme lorsque l’existence d’un « trouble manifestement illicite » au sens de l’article 873 du CPC est caractérisée : « Le président peut, dans les mêmes limites, et même en présence d’une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite. Dans les cas où l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable, il peut accorder une provision au créancier, ou ordonner l’exécution de l’obligation même s’il s’agit d’une obligation de faire ».
Le juge des référés est bien compétent, même en présence d’une contestation sérieuse, pour contraindre un franchisé à exécuter son contrat de franchise jusqu’à son terme. Une telle solution :
- s’explique par l’impulsion donnée par la Cour de cassation, qui énonce que le juge des référés doit, au besoin, trancher toute contestation, y compris une contestation sérieuse impliquant d’examiner la réalité de la résiliation, dès lors qu’il s’agit de faire cesser un trouble manifestement illicite (Cass. Com. , 7 juin 2006, pourvoi n°05-19.633 : « Attendu, selon ce texte, que le juge peut, même en présence d’une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent pour faire cesser un trouble manifestement illicite ; (…) qu’en écartant l’existence d’un trouble manifestement illicite en considération d’un simple doute sur la résiliation du contrat dont la violation était dénoncée, alors qu’il lui incombait de trancher en référé la contestation, même sérieuse, en examinant la réalité de cette résiliation, la cour d’appel a méconnu l’étendue de ses pouvoirs et ainsi violé le texte susvisé » ;
- a été admise, en dehors du domaine de la franchise, les rares fois où elle a été sollicitée, en présence d’un contrat d’approvisionnement (CA Caen, 10 oct. 2013, Juris-Data n°2013-023545) ou d’un contrat de télésurveillance (CA Paris, 21 janvier 2009, RG n°08/15864 : La jugeant dans une affaire où la dénonciation du contrat n’avait pas respecté les formes contractuelles qu’ « il y a lieu, non d’ordonner la reprise du contrat liant les parties, mais de constater qu’il n’a pas été régulièrement rompu et se poursuit, par conséquent ; cette constatation n’a pas à être définie dans le temps ; le contrat liant les parties ne sera interrompu que par une dénonciation régulière, non encore intervenue, ou par une décision de justice ».
En matière de franchise, la jurisprudence est plus récente. Trois affaires retiennent l’attention.
En premier lieu, un franchisé avait notifié au franchiseur sa décision unilatérale de mettre un terme anticipé au contrat de franchise conclu pour une durée déterminée et s’apprêtait en conséquence à descendre l’enseigne ; cette notification n’avait été précédée d’aucune mise en demeure et ne renfermait aucun grief. Le franchiseur avait saisi le juge au moyen d’un référé d’heure à heure en vue d’ordonner immédiatement la poursuite du contrat, au motif que cette rupture anticipée constituait un trouble manifestement illicite ; le franchiseur ajoutait en outre que, même en présence d’une contestation sérieuse, le juge des référés était tenu de se prononcer sur l’existence (ou non) d’un tel trouble (v. déjà en ce sens, Cass. com., 7 juin 2006, pourvoi n°05-19.633). Le Président du Tribunal de Commerce de Montpellier (Trib. Com. Montpellier, 18 juillet 2014, RG n°2014010500) constate que les lettres de résiliation sont irrégulières et constituent un trouble manifestement illicite qui implique de prendre des mesures de remise en état, à savoir la poursuite des contrats de franchise : : « Ces résiliations entrainent la disparition brutale des enseignes (…) ainsi qu’une perte financière due au manque à gagner de redevances de franchise et de publicité, ce qui constitue un trouble manifestement illicite qui doit cesser, et le Tribunal ordonnera des mesures de remises en l’état, à savoir la poursuite desdits contrats de franchise et déboutera les sociétés (franchisés) de toutes leurs demandes »
En deuxième lieu, en présence d’un franchisé ayant écrit à son franchiseur « je vous confirme que vos enseignes seront désinstallées dans les tout prochains jours », le Président du Tribunal de Commerce de Pontoise (Trib. Com. Pontoise, 30 octobre 2014, RG n°2014R00258) va plus loin et retient « que les sociétés (franchisées) étaient pourtant tenues de se conformer au principe selon lequel le contrat conclu doit être exécuté par chacune des parties tant qu’il n’en a pas été statué sur la validité par les juges du fond compétents et que nul ne peut se faire justice à soi-même ; Que nous sommes en présence d’une violation caractérisée du contrat de franchise par l’une des parties constitutive d’un trouble manifestement illicite ».
En dernier lieu, en présence d’un franchisé qui, ayant signé un contrat de franchise lui imposant de s’approvisionner de façon exclusive auprès du franchiseur et/ou de ses fournisseurs agréés et de respecter la politique tarifaire en utilisant un logiciel informatique préconisé par le franchiseur, avait successivement :
- le 29 janvier 2013, notifié au franchiseur que l’intégralité des parts sociales des anciens dirigeants du franchisé avaient été cédées à un concurrent du franchiseur, et lui faisait sommation interpellative d’indiquer si elle agréait le nouveau dirigeant,
- le 10 décembre 2013, mis en demeure le franchiseur d’avoir à pallier le problème de ce logiciel sous quinzaine sous peine d’application de la clause résolutoire stipulée au contrat qui les liait
- (iii) le 27 décembre 2013, revendiqué le bénéfice de la clause résolutoire et annoncé au franchiseur que le contrat était aussitôt résilié à ses torts exclusifs et qu’il procédait donc au retrait de l’enseigne.
Le franchiseur saisissait d’heure à heure le juge des référés, invoquant un trouble manifestement illicite et un dommage imminent, subsidiairement une rupture abusive des relations commerciales, aux fins de voir ordonner sous astreinte la reprise et le maintien des relations contractuelles jusqu’à ce qu’une décision intervienne au fond sur le caractère licite ou non de la résiliation contractuelle, subsidiairement le respect d’un préavis.
Par la décision commentée, la Cour d’appel de Paris (CA Paris, Pôle 1, chambre 3, 10 février 2015, n°14/02110) :
- confirme l’ordonnance du juge des référés (Trib. com., 21 janvier 2014, n° RG 2014R31) ayant (i) donné acte au franchiseur de ce qu’il saisirait le juge du fond dans le délai d’un mois, (ii) constaté que le franchiseur avait proposé dans les délais de substituer un nouveau logiciel, et jugé qu’il s’était ainsi acquitté de ses obligations contractuelles au regard des griefs soulevés par le franchisé dans son courrier du 10 décembre 2013, (iii) dit brutale et abusive et constitutive d’un « trouble manifestement illicite » la résiliation du contrat de franchise intervenue à l’initiative du franchisé et constaté que cette résiliation constituait un « dommage imminent » pour le franchiseur, (iv) ordonné au franchisé la reprise et le maintien de ses relations contractuelles avec le franchiseur telles qu’elles résultent du contrat de franchise, et ce jusqu’à ce qu’une décision au fond intervienne s’agissant de la rupture du dit contrat, sous astreinte de 10.000 € par jour de retard et par infraction constatée à compter de la signification de l’ordonnance, (v) décidé de se réserver la liquidation de l’astreinte ;
- et retient que « les mesures ordonnées, qui sont la poursuite de l’exécution du contrat de franchise jusqu’à ce qu’une décision au fond intervienne sur la rupture du contrat sous astreinte, sont de nature à faire cesser le trouble manifestement illicite ainsi constaté ».
Cette décision s’inscrit dans la lignée des décisions précitées. Elle est aussi intéressante sur certains des aspects de la motivation retenue :
- Tout d’abord, la Cour s’attache, suivant un raisonnement logique, à définir les notions de dommage imminent et de trouble manifestement illicites de l’article 873 du CPC ; selon la Cour en effet : « Considérant que le dommage imminent s’entend du « dommage qui n’est pas encore réalisé, mais qui se produira sûrement si la situation présente doit se perpétuer » et le trouble manifestement illicite résulte de « toute perturbation résultant d’un fait qui directement ou indirectement constitue une violation évidente de la règle de droit » ;
- Ensuite, la Cour tranche la contestation sérieuse sur la question du logiciel qui était au cœur du débat, suivant en cela les préconisations de la Cour de cassation (Cass. Com. , 7 juin 2006, pourvoi n°05-19.633, préc.), en soulignant notamment : « Que les prétendues insuffisances du logiciel dénoncées dans la lettre de mise en demeure ne reposent donc que sur les seules allégations (de la société franchisée), celle-ci ne pouvant sérieusement prétendre tirer argument de la proposition qui lui a été faite en réponse à sa mise en demeure par le franchiseur d’installer un nouveau logiciel pour y trouver un aveu des anomalies invoquées, alors que celui-ci précise au contraire clairement dans son courrier du 16 décembre 2013 que cette offre ne vaut aucunement reconnaissance des griefs allégués ; Considérant encore qu’il est acquis que (le franchiseur) a envoyé plusieurs collaborateurs au siège (du franchisé) le 17 décembre 2013 à réception de la mise en demeure » ; « Considérant (le franchisé) échoue à démontrer avec l’évidence requise en référé d’une part que (le franchiseur) a manqué à ses obligations en fournissant à son franchisé un logiciel défaillant ; (…) Que par conséquent à défaut d’évidence de la mise en œuvre de bonne foi de la clause résolutoire, qui a été suivie d’un dépôt immédiat de l’enseigne, (le franchisé) a causé au (franchiseur) un trouble manifestement illicite qui autorisait la juridiction des référés à prendre les mesures nécessaires à le faire cesser dans l’attente d’une décision sur le fond sur le litige, et par conséquent exclut un sursis à statuer dans l’attente d’une telle décision » ; il faut préciser par ailleurs que, au cas d’espèce, le tribunal de commerce de Lyon avait, par un jugement du 24 juin 2014, assorti de l’exécution provisoire et objet d’un appel, dit que la clause résolutoire du contrat de franchise n’avait pas été mise en œuvre de bonne foi par le franchisé, et ordonné la poursuite de l’exécution du contrat sous astreinte, encourageant en cela la solution dégagée par la Cour d’appel de Paris.
A rapprocher : Cass. com., 7 juin 2006, pourvoi n°05-19.633