Preuve de la paternité des prévisionnels – CA Paris, 12 novembre 2014, RG n°12/15178

La responsabilité du franchiseur ne peut être engagée à raison de l’existence de comptes prévisionnels si le franchisé ne rapporte pas la preuve que le franchiseur en est bien l’auteur.

Ce qu’il faut retenir : La responsabilité du franchiseur ne peut être engagée à raison de l’existence de comptes prévisionnels si le franchisé ne rapporte pas la preuve que le franchiseur en est bien l’auteur.

Pour approfondir : Les articles L.330-3 et R.330-1 du Code de commerce relatifs à l’information précontractuelle n’imposent pas au franchiseur de remettre un compte d’exploitation prévisionnel au franchisé ; le DIP doit en revanche mentionner « la nature et le montant des dépenses et investissements spécifiques à l’enseigne ou la marque » à partir desquels le franchisé pourra élaborer ses prévisionnels.

La société X…, à la tête d’un réseau d’agences immobilières, signe un contrat de franchise avec Monsieur Y…, le 27 juin 2007, après avoir remis un DIP, le 4 juin 2007. En avril 2008, le contrat est transféré par Monsieur Y… à la société Z… Cette dernière rencontre des difficultés financières, ne paie plus les redevances dues à la société X… (franchiseur) en exécution du contrat de franchise, et assigne la tête de réseau en nullité du contrat de franchise pour vice de consentement.

La société franchisée fait notamment valoir le fait que la signature du contrat de franchise n’aurait pas été précédée de la remise du DIP, que le délai de réflexion de vingt jours minimum entre la remise du DIP et la signature n’aurait en conséquence pas été respecté et remet en cause la sincérité du budget prévisionnel communiqué par le franchiseur.

S’agissant de la remise du DIP, les juges du fond relèvent qu’il résulte de l’accusé de réception du DIP signé par Monsieur Y… que le DIP lui a été remis le 4 juin 2007 ; la société X… prétend que cet accusé de réception aurait été antidaté mais ne rapporte cependant aucun élément permettant de l’établir. Ainsi, les juges du fond considèrent que le franchisé a reçu le DIP dans le délai et a donc bénéficié d’un délai de réflexion suffisant pour être parfaitement éclairé.

S’agissant des prévisionnels, la société franchisée produit d’abord un document intitulé « résultats prévisionnels HT cabinet type » faisant état de chiffres d’affaires qui ne se seraient pas réalisés, puis un autre document, comparable au premier, qui aurait été remis à un autre franchisé et faisant état de chiffres d’affaires différents et, selon la société franchisée, de telles différences entre les deux budgets prévisionnels démontreraient le caractère fantaisiste des documents en cause.

Les juges du fond relèvent tout d’abord que le document produit par la société franchisée n’était pas inséré dans le DIP, mais se présentait de manière isolée : il n’était donc pas démontré qu’il avait été communiqué au franchisé lors de la remise du DIP et, en conséquence, rien ne permettait d’affirmer que ce document ait pu influer sur la décision du franchisé de conclure le contrat de franchise.

Les juges du fond relèvent également le fait que le contrat prévoit, d’une part, un chiffre d’affaires minimum annuel que le franchisé devait réaliser (dont les chiffres étaient proches de ceux effectivement réalisés par le franchisé durant les premiers mois de son activité) et, précisait d’autre part, qu’il appartenait au franchisé, aux vues des éléments communiqués par le franchiseur et des éléments auxquels le franchisé avait accès, d’établir ses propres prévisionnels.

Les juges du fond ont donc rejeté l’action en nullité du contrat pour vice du consentement, les conditions nécessaires au succès d’une telle action n’étant pas remplies.

Quels sont, de manière plus générale, les enseignements à tirer de la jurisprudence sur la question de la paternité des comptes prévisionnels ?

En premier lieu, les comptes prévisionnels doivent avoir été établis par le franchiseur, ce qui exclut toute responsabilité lorsqu’il n’en est pas l’auteur. Il appartient au franchisé d’établir la preuve que les comptes litigieux ont bien été établis par le franchiseur ; à défaut, ce dernier ne peut se voir attribuer la paternité d’un tel document. A ce titre, la responsabilité du franchiseur ne saurait être mise en cause, les comptes prévisionnels fussent-ils erronés, lorsque celui-ci s’est simplement engagé, au titre de l’assistance, à aider le franchisé dans l’établissement de ses comptes prévisionnels, et à établir en collaboration avec lui une étude de marché, le franchisé restant alors tenu, en sa qualité de commerçant indépendant, d’établir ses propres comptes d’exploitation prévisionnels.

En second lieu, la preuve de ce que telle ou telle partie a elle-même réalisé les comptes prévisionnels peut être contractualisée. Ainsi, par exemple, le contrat de franchise pourra utilement préciser que le franchisé reconnaît avoir réalisé ses propres comptes prévisionnels avec l’aide de son expert-comptable. Il pourra également prévoir que le franchisé reconnaît avoir réalisé ses propres comptes prévisionnels et s’être appuyé sur les bilans positifs et négatifs qu’il s’est procuré de différents magasins franchisés.

Le contrat de franchise pourra encore ajouter, le cas échéant, que le franchisé reconnaît avoir réalisé ses propres comptes prévisionnels au moyen notamment du support fourni par le franchiseur ne comportant que les différents postes vierges et un plan type vierge du compte prévisionnel. Les formules abondent et quantité de variantes sont bien sûr envisageables : celles-ci dépendent notamment de la taille du réseau et du degré d’implication voulu par le franchiseur dans la relation qu’il entretient avec ses franchisés au stade précontractuel.

A rapprocher : CA Paris, 1er février 2006, Juris-Data n°309721

 

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