Les deux décisions commentées illustrent les conditions de mise en oeuvre de la responsabilité d’un établissement bancaire, à raison de son devoir de « mise en garde » auprès d’une société franchisée et de son dirigeant caution, notamment lorsque ceux-ci indiquent avoir décidé de faire financer leur projet sur la base de comptes prévisionnels irréalistes.
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Souvent, le franchisé dispose du DIP, puis des comptes prévisionnels, et sollicite ensuite sa banque afin d’obtenir un prêt, dont l’octroi implique parfois qu’il se porte caution solidaire. Lorsque les difficultés financières apparaissent, surgit avec elles la question de la mise en œuvre de la responsabilité du banquier à l’égard du souscripteur et de la caution. Cette question a fait l’objet d’une divergence d’appréciation entre les différentes chambres de la Cour de cassation, à laquelle la chambre mixte a mis un terme, par arrêt du 29 juin 2007 remarqué (Bull. ch. mixte n°7 et 8). Les choses sont désormais fixées : à l’égard de l’emprunteur profane, la banque est tenu par un devoir de mise en garde et supporte seul la charge de la preuve de la bonne exécution de celle-ci.
Les deux espèces commentées sont l’occasion d’illustrer les conditions de mise en jeu de la responsabilité du banquier à l’occasion de l’octroi d’un prêt au franchisé et, dans ce contexte, de son devoir de mise en garde.
Dans la première affaire, les faits étaient classiques. Suite à la mise en liquidation judiciaire du franchisé, la banque avait assigné les cautions, lesquelles avaient mis en cause la responsabilité du franchiseur et de la banque. Le pourvoi reprochait à la cour d’appel d’avoir rejeté cette demande au motif que le banquier, dans l’exécution de son devoir de mise en garde, doit vérifier le sérieux de l’étude prévisionnelle qui lui est soumise. Or, le pourvoi soutenait que, d’une part, le chiffre d’affaires prévisionnel était irréaliste au regard du CA réalisé pendant l’exploitation et que, d’autre part, en retenant le CA réalisé par le franchiseur après la mise en liquidation judiciaire du franchisé, ainsi que le CA réalisé par d’autres franchisés dans la même région sans préciser les conditions d’exploitation comparées à celles du franchisé considéré, la cour d’appel avait violé l’article 1147 du code civil. La Cour de cassation rejette le pourvoi, au motif que, dans l’exercice de son pouvoir souverain d’appréciation, la cour d’appel a pu estimer que le CA porté au compte d’exploitation prévisionnel n’était pas irréaliste.
Dans la seconde affaire, les faits étaient comparables : après sa mise en redressement judiciaire, le franchisé avait assigné la banque à raison de fautes prétendument commises lors de l’octroi de prêts. La Cour d’appel avait écarté la demande, puis la Cour de cassation avait rejeté le pourvoi, en reprenant l’argument selon lequel la banque ne doit mettre en garde l’emprunteur profane que s’il apparaît que le prêt excède les facultés de remboursement de ce dernier. En l’espèce, l’emprunteur avait choisi de souscrire un emprunt plutôt que d’utiliser les fonds placés et ne démontrait pas que ses difficultés résultaient du caractère excessif des frais financiers, ni que les crédits auraient été disproportionnés au regard de sa capacité de remboursement.
Ces solutions s’inscrivent dans le sillage de décisions connues qui, depuis l’arrêt précité du 29 juin 2007, distinguent la responsabilité du banquier selon que l’on est en présence d’un client averti ou profane. Dans le premier cas, le banquier n’est débiteur que d’une obligation d’information, sauf s’il dispose d’informations sur la situation du franchisé emprunteur, ignoré par ce dernier, ce qui est rare en pratique ; dans le second cas, le banquier est tenu d’une obligation de mise en garde. Dans les deux espèces commentées, c’est sur ce terrain que la demande était formulée, fondement parfaitement envisageable dans la mesure où, l’emprunteur ayant agi à titre professionnel n’est pas considéré, de ce fait même, comme un emprunteur averti. Il convient d’ajouter que, pour déterminer l’éventuel manquement du banquier à son obligation de mise en garde, la jurisprudence a recours à plusieurs éléments lui permettant d’apprécier le caractère disproportionné (ou non) du crédit consenti par rapport aux facultés de remboursement de l’emprunteur.
Parmi ces éléments, on relève le CA prévisionnel, parfois communiqué par le franchiseur au franchisé préalablement à la signature du contrat de franchise, et que la banque apprécie pour examiner les possibilités de remboursement du franchisé.
Dans le premier arrêt, la Cour de cassation renvoie au pouvoir souverain d’appréciation des juges du fond qui, en l’espèce, avaient retenu que les chiffres prévisionnels n’étaient pas irréalistes et que, dès lors, la responsabilité du banquier ne pouvait être engagée pour ne pas avoir mis en garde le souscripteur du crédit. Le second arrêt illustre la prise en considération du rôle du franchisé dans la survenance des difficultés financières ; en l’espèce, le franchisé avait emprunté alors qu’il disposait de fonds propres suffisants. Dans ces conditions, le banquier ne peut voir sa responsabilité engagée dès lors que le franchisé ne démontre pas que ses difficultés résultent des frais financiers ou que le montant des crédits serait supérieur aux facultés de remboursement.