RUPTURE BRUTALE : Appréciation de la durée du préavis au sein d’un groupe de sociétés

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SIMON François-Luc

Avocat Associé-Gérant - Docteur en droit

Cass. com., 6 octobre 2015, n°14-19.499

Lorsque deux entités appartenant à un même groupe mettent chacune fin aux relations commerciales qu’elles entretenaient avec un même fournisseur, la durée du préavis à respecter ne prend en compte le chiffre d’affaires global généré par les deux sociétés auprès du fournisseur que dans l’hypothèse où ces dernières ont agi de concert.

Ce qu’il faut retenir :

Lorsque deux entités appartenant à un même groupe mettent chacune fin aux relations commerciales qu’elles entretenaient avec un même fournisseur, la durée du préavis à respecter ne prend en compte le chiffre d’affaires global généré par les deux sociétés auprès du fournisseur que dans l’hypothèse où ces dernières ont agi de concert.

Pour approfondir :

Dans cette affaire, la Cour de cassation a eu à apprécier la durée du préavis non plus au regard de l’ancienneté de la relation commerciale nouée entre les parties, mais en fonction de l’intensité de la relation, c’est-à-dire au regard du volume de chiffre d’affaires généré entre les partenaires.

En l’espèce, deux sociétés produisant des équipements industriels et appartenant toutes deux au même groupe se sont approvisionnées auprès d’une même société pour l’acquisition d’un composant de leurs produits, respectivement à compter de septembre 2004 et juin 2004.

Les deux filiales ayant mis fin à leurs relations commerciales avec le fournisseur courant 2009, ce dernier les a assignées en réparation de son préjudice sur le fondement de l’article L.442-6, I, 5°, du code de commerce pour rupture brutale d’une relation commerciale établie.

Le fournisseur a obtenu gain de cause devant les juges du fond. La Cour d’appel a en effet estimé que le fournisseur aurait dû bénéficier d’un préavis d’une durée d’un an de la part des deux sociétés. Les deux sociétés faisant partie du même groupe et ayant noué des relations commerciales identiques avec le même fournisseur (naissance concomitante de la relation, sur une même période, produits identiques, fin de la relation dans des conditions identiques), la Cour a ainsi considéré qu’elles devaient être appréhendées comme une entité économique unique. En conséquence, les juges du fond ont estimé que l’appréciation de la durée du préavis devait prendre en compte, non seulement la durée des relations commerciales nouées, mais également le chiffre d’affaires global – c’est-à-dire généré par les deux sociétés – auprès du fournisseur. En effet, la perte concomitante des deux filiales accroît la difficulté pour le fournisseur subissant la rupture de trouver des clients de substitution – et décuple donc son préjudice – ce qui justifie selon les juges du fond l’allongement de la durée du préavis due au fournisseur.

La Cour de cassation censure cependant l’arrêt de la Cour d’appel au visa de l’article L.442-6, I, 5° du code de commerce.

Principe : appréciation individuelle de la durée du préavis pour chacune des relations

La Haute juridiction considère que, bien qu’appartenant à un même groupe et ayant la même activité, les deux sociétés n’en demeurent pas moins deux entités autonomes et ont entretenu avec le fournisseur des relations commerciales distinctes.

Ainsi, les similitudes dans les relations, ou l’appartenance à un même groupe, sont insuffisantes pour justifier la globalisation du chiffre d’affaires réalisé par deux entités d’un même groupe avec un même fournisseur dans la détermination de la durée du préavis.

La Cour de cassation, adoptant ici, contrairement aux juges du fond, un raisonnement plus civiliste qu’économique, réaffirme le principe selon lequel deux sociétés d’un même groupe sont des entités juridiques autonomes. Cette solution n’est pas nouvelle, la jurisprudence ayant jugé dans de précédentes affaires qu’une filiale avait une personnalité morale distincte de celle de la société mère. En outre, le droit des sociétés établit déjà expressément que chaque société n’est responsable que de sa seule faute, peu important que le préjudice de la victime ait été augmenté par l’effet de cumul.

Dès lors, les chiffres d’affaires que les deux sociétés génèrent auprès d’un même fournisseur doivent s’apprécier séparément ; la durée du préavis doit donc être appréciée isolément pour chacune des relations.

Exception : sauf en cas d’action concertée

La Cour de cassation précise qu’il n’en aurait été autrement que si les deux filiales avaient coordonné leur comportement et avaient, selon la terminologie employée par la Haute juridiction, « agi de concert ».

L’expression employée par la Cour de cassation peut surprendre dans un litige relatif aux pratiques restrictives de concurrence ; elle n’est toutefois pas anodine.

La référence à l’action de concert renvoie directement au droit des sociétés cotées et en particulier aux dispositions de l’article L.233-10 du code de commerce.

En la matière, lorsque des personnes sont reconnues comme agissant de concert, les fractions de capital ou de droit de vote qu’elles détiennent chacune sont appréciées globalement pour déterminer le franchissement des seuils de participation déclenchant l’obligation de déclaration à l’AMF prévue par les articles L.233-7 et L.233-7-1 du code de commerce.

A rapprocher : Cass. com., 9 décembre 1997, n°96-17.916 ; voir aussi, Cass. com. 6 octobre 2015, n°14-19.499 (commenté par Me Constance Pierre sous LDR Sept.-oct. 2015)


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