CA Rennes, 9 décembre 2016, n°12-05738
L’obligation de mise en garde de la banque dispensatrice de crédit est subordonnée à deux conditions cumulatives : la qualité d’emprunteur (ou de caution) non averti(e) et l’existence d’un risque d’endettement.
Ce qu’il faut retenir : L’obligation de mise en garde de la banque dispensatrice de crédit est subordonnée à deux conditions cumulatives : la qualité d’emprunteur (ou de caution) non averti(e) et l’existence d’un risque d’endettement.
Pour approfondir : Dans cette affaire, les faits étaient classiques, ce qui donne à l’arrêt commenté une portée indéniable.
Une banque, ayant consenti deux prêts dont les échéances ne lui étaient plus remboursées, avait assigné l’emprunteur en paiement. Les prétentions respectives des parties et la motivation de l’arrêt commenté permettent de rappeler les quelques évidences suivantes.
En premier lieu, un tel prêt ne peut être soumis aux dispositions des articles L.311-1 et suivants du code de la consommation, dès lors que le seuil de 21.500 €, fixé par l’article D. 311-1 dudit code dans sa version applicable à la cause, avait été dépassé.
En second lieu et surtout, la Cour d’appel de Rennes rappelle fort logiquement que « s’il est exact que la banque dispensatrice de crédit est tenue d’un devoir de mise en garde sur les risques d’un endettement excessif au regard des capacités de remboursement de l’emprunteur et de la caution, c’est à la condition que l’emprunteur ou la caution ne soit pas avertis ».
A ce titre, il convient de rappeler quatre observations : 1°) les contours du « devoir de mise en garde » ne sont pas précisément définis, ni par la loi, ni par la jurisprudence, la cour de cassation laissant ce soin aux juridictions du fond, sans doute car l’intensité même de ce devoir relève de la casuistique ; en substance, le devoir de mise en garde imposerait à l’établissement d’alerter l’emprunteur (ou la caution) sur le caractère excessif du prêt qu’il sollicite (ou qu’il cautionne) ; autrement dit, il s’agirait pour le banquier d’insister sur les risques ou les conséquences négatives de l’octroi du prêt. 2°) l’obligation de mise en garde est subordonnée à deux conditions cumulatives, la qualité d’emprunteur (ou de caution) non averti(e) et l’existence d’un risque d’endettement. 3°) lorsque ces deux conditions cumulatives sont vérifiées et que la Banque se trouve alors tenue par ce devoir de mise en garde, il appartient à cette dernière de rapporter la preuve de ce qu’elle y a satisfait. 4°) la sanction d’un manquement du banquier dispensateur de crédit à son obligation de mise en garde réside dans la réparation de la perte de chance pour la caution de ne pas contracter pouvant, le cas échéant, donner lieu à l’octroi de dommages-intérêts ; il ne prive pas cependant le banquier de la possibilité de se prévaloir du cautionnement, pas plus qu’il n’entraîne la décharge de la caution.
En l’espèce, ainsi que la Banque le faisait observer, il ressortait des renseignements fournis par l’emprunteur lors de sa demande de prêt de 2005 qu’il exerçait depuis dix ans la profession de directeur commercial d’un société filiale du groupe Carrefour.
Il avait en outre déclaré lors de la régularisation du contrat de franchise, conclu en 2006 avec le franchiseur pour exercer les activités de conseil en gestion de patrimoine et, à terme, de conseil en investissements financiers, que son parcours professionnel et son expérience justifiaient de ses compétences pour exercer ces activités.
Ainsi, pour considérer au cas d’espèce que la Banque n’était débitrice d’aucun devoir de mise en garde, la Cour de Rennes retient que celui-ci « était, tant lors de l’octroi des deux prêts consentis en 2005 que du concours consenti à sa société en 2006, un emprunteur et une caution avertis » et que « rien ne démontre que la Banque aurait eu, sur ses capacités de remboursement ou les chances de succès de son entreprise, des informations que lui-même aurait ignorées ».
A rapprocher : F.-L. Simon, Comptes prévisionnels irréalistes et devoir de mise en garde de la Banque (à propos de CA Versailles, 5 novembre 2015, n°13/06537) ; v. aussi, Cass. ch. mixte, 29 juin 2007 (deux arrêts) : Juris-Data n° 2007-039908 et 2007-039909 ; RTD civ. 2007, p. 779, note P. Jourdain ; JCP G 2007, II, 10146, note A. Gourio ; D. 2007, p. 2081, note S. Piedelièvre