Obligation de remise d’un DIP et notion d’exclusivité

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SIMON François-Luc

Avocat Associé-Gérant - Docteur en droit

CA Paris, 5 juillet 2017, n°15/05450

La notion d’exclusivité au sens de l’article L. 330-3 du Code de commerce doit être appréciée au seul regard de l’activité exercée au titre du contrat, et non pas de l’activité globale du candidat.

Ce qu’il faut retenir : La notion d’exclusivité au sens de l’article L. 330-3 du Code de commerce doit être appréciée au seul regard de l’activité exercée au titre du contrat, et non pas de l’activité globale du candidat.

Pour approfondir : On ne reprendra pas ici le détail de l’ensemble des faits relatifs à cette affaire. Tout au plus, aborderons nous l’une des questions centrales posées : le franchiseur pouvait-il raisonnablement faire valoir au cas d’espèce ne pas être débiteur de l’obligation d’avoir à remettre au franchisé un DIP ? Autrement dit, quels sont les critères en considération desquels un DIP doit-il être (ou non) remis au franchisé (il s’agissait ici d’un contrat de master concession mais la solution eût été la même s’il s’était agi d’un contrat de franchise ou, plus généralement, d’un contrat de distribution) ?

Au cas présent, le master concessionnaire faisait valoir :

  • que le master concédant était tenu à une obligation de fourniture du DIP,
  • qu’il ne lui avait pas remis ce document,
  • que des informations déterminantes de son consentement (sur l’état du réseau, les pertes cumulées de l’ensemble des filiales du master franchiseur, les fermetures de magasins, l’état des comptes, la politique de développement de la marque…) lui avaient donc été cachées,
  • que s’il en avait eu connaissance, il n’aurait pas contracté, ce d’autant que celles fournies (prévisionnels de croissance totalement faux) étaient trompeuses sur la dégradation de la situation financière et l’état du réseau.

En réplique, le master concédant soutenait ne pas avoir à fournir un DIP, dès lors que « le contrat de master concession n’imposa(i)t [au master concessionnaire] aucune obligation d’exclusivité ou de quasi-exclusivité d’exercer son activité, celle-ci reconnaissant d’ailleurs exploiter des magasins sous (une) marque concurrente (…) », alors que le master concédant « lui concédait en exclusivité l’exploitation ».

Sur ce, la Cour d’appel de Paris retient :

« Toutefois, la notion d’exclusivité au sens de l’article L. 330-3 du Code de commerce doit être appréciée au regard de l’activité exercée au titre du contrat de master concession et non pas de l’activité globale du candidat à la concession. Si, en l’espèce, le [master franchisé] disposait de la faculté d’exploiter d’autres activités concurrentes et notamment de distribuer d’autres marques de prêt-à-porter concurrentes, elle était tenue pour les produits T… couverts par le contrat de master concession à une exclusivité. La société [master concédant] avait donc l’obligation de lui remettre un DIP, ce qu’elle n’a pas fait »

La solution selon laquelle la notion d’exclusivité au sens de l’article L. 330-3 du Code de commerce doit être appréciée au regard de l’activité exercée au titre du contrat, et non pas de l’activité globale du candidat, est à la fois logique et conforme au droit positif.

Logique, car la remise du DIP a pour objectif de permettre au candidat d’apprécier, en toute connaissance de cause, l’opportunité de rejoindre ou non un réseau, donc de signer ou non le contrat annexé au DIP. A cet égard, rien ne justifie donc que des éléments factuels extérieurs au contrat considéré puissent entrer en ligne de compte. La solution est parfaitement logique.

Conforme au droit positif, car selon la jurisprudence (dont le détail sera précisé ci-après), la notion d’exclusivité ou de quasi exclusivité au sens de l’article L. 330-3 du Code de commerce désigne essentiellement l’approvisionnement ou l’activité. Autrement dit, chaque fois qu’un contrat prévoit une exclusivité ou quasi-exclusivité qui, relative à l’approvisionnement ou à l’activité, a pour créancier la personne mettant à disposition un nom commercial, une marque ou une enseigne, alors cette dernière doit nécessairement remettre à son cocontractant un document d’information précontractuelle (DIP).

L’exclusivité ou quasi-exclusivité d’approvisionnement suffit par elle-même à imposer la remise préalable d’un DIP, sans qu’il soit besoin de constater par ailleurs une exclusivité ou quasi exclusivité d’activité ; l’inverse est également vrai : l’exclusivité ou quasi-exclusivité d’activité suffit par elle-même à imposer la remise préalable d’un DIP, sans qu’il soit besoin de constater par ailleurs une exclusivité ou quasi exclusivité d’approvisionnement. Or, au cas d’espèce, le contrat litigieux fait peser sur le master concessionnaire ces deux types d’exclusivité ou quasi-exclusivité : la première d’approvisionnement ; la seconde d’activité.

Pour ce qui concerne l’obligation d’exclusivité ou de quasi-exclusivité au sens de l’article L. 330-3 du Code de commerce se rapportant à l’ « approvisionnement », la Cour de cassation (Cass. com., 11 mars 2003, pourvoi n°97-14.366) a ainsi pu juger qu’une obligation d’approvisionnement auprès du franchiseur ou de maisons agréées ou faisant partie du groupe du franchiseur avait pour conséquence de créer un engagement d’exclusivité ou de quasi-exclusivité rendant applicable l’article L. 330-3 du Code de commerce : « les époux X… se sont engagés à n’avoir que la société P…. comme franchiseur et s’approvisionnaient en grande partie auprès d’elle et pour le solde auprès de maisons agréées ou faisant partie du groupe P…. ; que la Cour d’appel, qui a retenu que l’article 1er de la loi du 31 décembre 1989 était applicable, a légalement justifié sa décision ». Dans le même sens, il a pu être jugé que dès lors que « la mise à disposition de la marque LP… et de l’enseigne PC… avait pour contrepartie l’engagement de Monsieur H… de se fournir exclusivement en pâtes surgelées auprès du fournisseur du réseau, sous peine de cessation « de plein droit » de la concession des signes distinctifs, le contrat, conclu dans l’intérêt commun des deux parties, entre dans le champ d’application de l’article L. 330-3 du Code de commerce. » (CA, Grenoble, 20 déc. 2006, n°05/02449). La Cour de cassation (Cass. com., 19 janv. 2010, n°09-10.980) a également retenu que « s’il existe pour les adhérents au réseau Expert une possibilité d’exploiter des activités non concurrentes, ils sont, pour les produits couverts par la convention, tenus à une quasi-exclusivité, c’est à bon droit que la Cour d’appel a retenu que l’obligation d’information précontractuelle prévue par l’article L. 330-3 du Code de commerce s’imposait aux sociétés Expert » imposant dès lors la remise d’un DIP concernant les produits couverts par la convention conclue entre l’adhérent et le réseau.

Pour ce qui concerne l’obligation d’exclusivité ou de quasi-exclusivité au sens de l’article L. 330-3 du Code de commerce se rapportant à l’ « activité », la Cour de cassation (Cass. com., 11 mars 2003, n°97-14.366) a pu juger qu’une obligation de distribution quasi-exclusive de produits du franchiseur et de distributeurs agréés par le franchiseur avait pour conséquence l’application des dispositions de l’article L. 330-3 du Code de commerce : « l’activité des époux X… consistait quasi-exclusivement à distribuer des marchandises de P… et des fournisseurs agréés par elle ; que la Cour d’appel, qui a pu en déduire que les dispositions de l’article 1er de la loi du 31 décembre 1989 étaient applicables, a ainsi légalement justifié sa décision ». La jurisprudence a ainsi pu définir la quasi-exclusivité comme étant la « majeure partie » de l’activité du distributeur : la Cour d’appel de Chambéry (CA Chambéry, 29 oct. 2013, n°12/01762) a pu juger que le distributeur « ne peut se prévaloir d’un non-respect de l’obligation informative imposée par l’article L. 330-3 du Code de commerce, inapplicable au contrat dont il s’agit, la vente de bière ne constituant pas la majeure partie de son activité de bar, restaurant, journaux et tabacs ». De même, l’exclusivité issu d’un contrat peut également découler de l’engagement pris par un licencié qui « s’interdit de créer ou d’exploiter directement ou indirectement aucun support similaire à celui [du fournisseur], c’est-à-dire sous forme de chéquier, de magazine, de revue, ou de journal comportant des offres de réductions et tout document publicitaire comportant des coupons de réductions » (CA Douai, 27 mai 2014, n°13/02982 ; v. aussi, CA Poitiers, 18 janv. 2000, n°98/01262).

Voici donc que l’arrêt commenté ajoute sa pierre à l’édifice jurisprudentiel qui, décision après décision, afine progressivement la notion d’exclusivité au sens de l’article L.330-3 du code de commerce. Signalons d’ailleurs que cette notion vient tout juste de faire l’objet d’un regain d’intérêt depuis l’entrée en vigueur, le 7 mai 2017, du décret n°2017-773 du 4 mai 2017 relatif à l’instance de dialogue social mise en place dans les réseaux d’exploitants d’au moins trois cents salariés en France liés par un contrat de franchise. Selon l’article 64 de la loi Travail, l’instance de dialogue social s’applique aux contrats de franchise mentionnés à l’article L.330-3 du code de commerce ; cette précision laisse supposer que seuls les contrats de franchise faisant l’objet d’une exclusivité ou d’une quasi-exclusivité au sens de l’article L.330-3 précité entreront dans le champ d’application du dispositif relatif à l’instance de dialogue social (v. sur l’ensemble de la question, F.-L. Simon, L’instance de dialogue social dans les réseaux de franchise, Petites Affiches – 11 et 12 juillet 2017 : Cliquez ICI).

La Cour d’appel de Paris souligne enfin qu’il appartenait encore au master concessionnaire de rapporter la preuve de ce que, par l’absence de remise d’un tel DIP, son consentement avait été vicié. En l’espèce, la Cour d’appel de Paris considère que cette preuve n’est pas rapportée et déboute en conséquence le master concessionnaire de ces demandes. 

 

A rapprocher : Cass. com., 11 mars 2003, n°97-14.366

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