CA Paris, 3 mai 2017, n°15/24950
N’est pas constitutive d’une rupture brutale des relations commerciales établies susceptible d’engager la responsabilité de son auteur la diminution puis la cessation des commandes passées par une société auprès d’un prestataire justifiée par le contexte économique du secteur dans lequel interviennent les deux sociétés et la nécessité vitale pour l’auteur de revoir sa stratégie commerciale afin de s’y adapter.
Ce qu’il faut retenir : N’est pas constitutive d’une rupture brutale des relations commerciales établies susceptible d’engager la responsabilité de son auteur la diminution puis la cessation des commandes passées par une société auprès d’un prestataire justifiée par le contexte économique du secteur dans lequel interviennent les deux sociétés et la nécessité vitale pour l’auteur de revoir sa stratégie commerciale afin de s’y adapter.
Pour approfondir : Dans cette affaire, une société mère a conclu avec un prestataire exerçant une activité de production de reportages photographiques et audiovisuels, un contrat de référencement, encadrant les relations entre ce dernier et les filiales de la société mère. Ainsi la société prestataire réalisait, depuis juin 2002, avec l’une des sociétés filles, spécialisée dans la vente d’articles de textiles à distance, des reportages photographiques nécessaires à la constitution des catalogues de vente à distance de cette dernière et des prestations d’agent de photographes pour la réalisation des reportages. Par courrier recommandé avec avis de réception du 28 octobre 2013, la société fille a informé le prestataire de sa nouvelle stratégie commerciale et lui a indiqué la réduction du nombre de pages catalogues à compter du mois de mars 2014. Début 2014, la société fille a passé deux commandes, puis à compter du 15 avril 2014, elle a cessé toute commande. S’estimant victime d’une rupture brutale de relations commerciales établies, le prestataire a assigné tant la société fille que la société mère devant le Tribunal de commerce de Lille sur le fondement de l’article L.442-6, I, 5° du Code de commerce. Confirmant en cela le jugement du Tribunal de commerce de Lille, la Cour d’appel de Paris a rejeté l’ensemble des demandes formulées par le prestataire à la fois à l’encontre de la société mère, mais également à l’encontre de la société fille :
- Concernant la société mère, la Cour d’appel, pour rejeter la demande d’indemnisation pour rupture brutale des relations commerciales établies, relève que le contrat de référencement n’a jamais été rompu.
- Concernant la société fille, le raisonnement de la Cour d’appel de PARIS est intéressant en ce qu’il fait droit à l’argument invoqué par la société fille relatif à l’existence du contexte économique difficile dans le secteur de la vente à distance par catalogue pour justifier la rupture.
La Cour relève tout d’abord à juste titre que la société fille a, dans son courrier du 28 octobre 2013, informé le prestataire que, eu égard au contexte économique actuel difficile pour l’ensemble du secteur de la distribution, elle était amenée à revoir sa stratégie et en conséquence à décider de diminuer le nombre de pages catalogues pour les prochaines saisons de sorte qu’elle lui indiquait dès à présent que son niveau de commandes était susceptible d’être réduit à partir de mars 2014.
La société fille a ainsi notifié la rupture partielle (diminution des commandes) de leurs relations avec un préavis de 5 mois, lequel apparaît suffisant, selon la Cour, eu égard à la nature de l’activité, à son caractère saisonnier, à l’ancienneté des relations commerciales et à l’absence de lien d’exclusivité. Par la suite, à compter du 15 avril 2014, la société fille a cessé toutes commandes et a rompu ainsi totalement les relations commerciales. Pourtant, la Cour d’appel de PARIS ne considère pas que cette rupture soit brutale ; elle retient au contraire que la société fille « qui ne s’était engagée sur aucun volume de commandes, il n’apparaît pas que cette rupture soit brutale, en ce qu’elle était prévisible pour [le prestataire] et par suite, ni soudaine, ni violente ».
La Cour s’appuie expressément sur le contexte économique du secteur dans lequel les deux sociétés en conflit intervenaient et retient que :
« (…) à compter de 2008-2009, les sociétés de vente par correspondance ont commencé à connaître de grandes difficultés du fait du basculement de la vente sur support papier vers le commerce électronique, la chute brutale de la vente par catalogues au profit de l’e-commerce devenant alors inéluctable. »
Or, la Cour d’appel souligne que :
« [Le prestataire] ne pouvait ignorer cette évolution qu’au demeurant, elle ne conteste pas, et ce d’autant que la diminution significative de son chiffre d’affaires réalisé avec la société [fille] entre 2012 et 2013 en était un signe annonciateur de sorte qu’elle ne pouvait alors raisonnablement anticiper une continuité de la relation commerciale pour l’avenir. »
Poursuivant ainsi son raisonnement, la Cour d’appel ajoute que :
« La nouvelle stratégie mise en place par la société [fille] consistant à reporter son activité commerciale de vente par correspondance vers le commerce numérique constituait une nécessité vitale pour celle-ci. Il ne ressort d’aucun élément et au demeurant, il n’est pas allégué que la société [fille] ait abusé de la confiance [du prestataire] et la baisse importante des commandes par catalogues explique la diminution puis la cessation de ses relations commerciales avec cette dernière qui s’en sont suivies de sorte qu’elles ne résultent pas d’une volonté de la société [fille] de rompre les relations commerciales. »
En conséquence, elle déboute le prestataire de ses demandes d’indemnisation pour rupture brutale des relations commerciales établies.
Cette décision s’inscrit dans la lignée de la tendance actuelle de la jurisprudence tendant à prendre en compte le contexte économique dans lequel s’inscrit l’activité de la personne auteure de la rupture.
Ainsi, des juridictions considèrent que la rupture brutale des relations ne saurait être retenue lorsque l’auteur de la rupture se trouve dans un contexte économique difficile et que la rupture ne procède pas d’un comportement déloyal (CA Paris, 7 janvier 2016, n° 14/08432), ou quand la baisse, même importante, de commandes passées ne résulte pas d’une stratégie volontaire, dès lors que l’auteur de la rupture a lui-même subi une baisse importante de son activité du fait de la crise économique affectant son secteur (CA Paris, 13 octobre 2016, n° 15/03037).
Ainsi, sous réserve de pouvoir en justifier, la diminution très marquée de commandes peut être expliquée par un ralentissement de l’activité dans le secteur en cause (CA Paris, 13 avril 2016, n° 13/05840) ; de même, ne saurait engager la responsabilité de son auteur, la baisse du volume du chiffre d’affaires des commandes passées à un partenaire, laquelle ne présente aucun caractère fautif, dès lors qu’elle résulte de la conjoncture économique subie par la société auteure de la rupture qui l’a amenée à se réorganiser elle-même.
La rupture brutale ne saurait encore être constituée du fait de la répercussion par un industriel sur son sous-traitant de la baisse de ses propres commandes dès lors que cette rupture n’apparait pas délibérée (CA Paris, 14 janvier 2016, n° 14/16799) ou bien lorsque cette baisse était « justifiée, (…), par les conditions climatiques affectant deux saisons » ou encore quand l’intimé démontrait n’être à l’origine d’aucune rupture brutale puisqu’il démontrait une réelle baisse des commandes de ses clients sur ce secteur (fournisseur de chauffage) et une baisse consécutive de l’ensemble du marché (CA Paris, 18 février 2016, n° 15/14989).
A rapprocher : CA Paris, 13 octobre 2016, n°15/03037