A propos de la directive 93/13 du Conseil relative aux clauses abusives

CJUE, 6 juill. 2017, aff. C 290/16

A défaut d’exclusion prévue par la Directive 93/13 du Conseil relative aux clauses abusives, la protection des consommateurs prime sur les dispositions relatives à la liberté de fixation des prix, notamment en matière de transport aérien. Ainsi, si les transporteurs aériens disposent d’une liberté de fixation des tarifs des passagers, cette liberté ne peut faire échec aux dispositions relatives à la protection des consommateurs à l’encontre des clauses abusives.

Ce qu’il faut retenir : A défaut d’exclusion prévue par la Directive 93/13 du Conseil relative aux clauses abusives, la protection des consommateurs prime sur les dispositions relatives à la liberté de fixation des prix, notamment en matière de transport aérien. Ainsi, si les transporteurs aériens disposent d’une liberté de fixation des tarifs des passagers, cette liberté ne peut faire échec aux dispositions relatives à la protection des consommateurs à l’encontre des clauses abusives.

Pour approfondir : Le Bundesverband, association allemande de protection des consommateurs, a procédé les 26 avril et 20 juin 2010, sur le site Internet d’Air Berlin, à différentes simulations de prix pour des vols en aller simple et en aller-retour en provenance et à destination d’aéroports Allemands.

Les prix indiqués lors de ces deux simulations faisaient apparaître, pour la première, un montant de 3 euros au titre des « Taxes et redevances » et, pour la seconde, un montant de 1 euro au titre de ces mêmes « Taxes et redevances ».

Le Bundesverband a constaté que le montant des taxes et des redevances tels qu’indiqué sur le site Internet d’Air Berlin est « très inférieurs à ceux effectivement dus par la compagnie aérienne » et « de nature à induire le consommateur en erreur ».

Le Bundesverband a considéré que cet affichage est contraire à l’article 23, paragraphe 1, troisième phrase du règlement n°1008/2008 et a saisi le Landgericht Berlin (tribunal régional de Berlin) d’une action en cessation de cette pratique.

Par ailleurs, le Bundesverband a également contesté, dans le cadre de cette même action, la validité du point 5.2 des conditions générales d’Air Berlin au titre duquel Air Berlin prélèvera la somme forfaitaire de 25 euros à titre de frais de traitement par réservation et par passager sur la somme devant être remboursée à ce dernier, lorsque le passager ne s’est pas présenté à un vol ou lorsqu’il a annulé sa réservation. Le Bundesverband considéré en effet que cette clause est contraire à l’article 307 du BGB (code civil allemand), Air Berlin ne pouvant exiger « le paiement de frais distincts pour l’exécution d’une obligation légale ».

Le Landgericht Berlin a accueilli la demande du Bundesverband et a ordonné à Air Berlin de :

  • « cesser de faire figurer, sous le titre « Taxes et redevances », lors de l’affichage des prix pour des vols sur son site Internet, des montants ne correspondant pas à ceux que cette compagnie aérienne doit effectivement verser et, d’autre part,
  • de supprimer le point 5.2 de ses conditions générales de vente ».

Air Berlin a interjeté appel de cette décision devant le Kammergericht Berlin (tribunal régional supérieur de Berlin). Le Kammergericht Berlin a rejeté l’appel d’Air Berlin qui a alors introduit un pourvoi en révision devant le Bundesgerichtshof (Cour fédéral de justice).

Le Bundesgerichtshof a saisi la CJUE des questions préjudicielles suivantes :

  • L’article 23, paragraphe 1, troisième phrase, du Règlement n° 1008/2008 doit-il être interprété en ce sens que, lors de la publication de leurs tarifs, les transporteurs aériens doivent préciser, de manière séparée, les montants dus par les clients au titre des taxes, redevances aéroportuaires et autres redevances, suppléments et droits mentionnés sous les b) à d) de l’article et ne peuvent donc pas inclure pour partie ces derniers dans leurs tarifs des passagers, visés au point a) de cette disposition ?
  • L’article 22, paragraphe 1, du règlement n° 1008/2008 doit–il être interprété en ce sens que la liberté de tarification reconnue aux transporteurs aériens par ledit Règlement s’oppose à ce qu’une réglementation nationale, transposant le droit de l’Union en matière de protection des consommateurs, s’applique ?

Sur la 1ère question posée

Aux termes de l’article 23, paragraphe 1, troisième phrase, du règlement n° 1008/2008

« Les tarifs des passagers et les tarifs de fret offerts au public mentionnent les conditions applicables lorsqu’ils sont proposés ou publiés sous quelque forme que ce soit, y compris sur internet, pour les services aériens au départ d’un aéroport situé sur le territoire d’un État membre auquel le traité s’applique. Le prix définitif à payer est précisé à tout moment et inclut le tarif des passagers ou le tarif de fret applicable ainsi que l’ensemble des taxes, des redevances, des suppléments et des droits applicables inévitables et prévisibles à la date de publication. Outre l’indication du prix définitif, les éléments suivants au moins sont précisés: a) tarif des passagers ou tarif de fret; b) taxes; c) redevances aéroportuaires; et d) autres redevances, suppléments ou droits, tels que ceux liés à la sûreté ou au carburant; lorsque les éléments énumérés aux points b), c) et d) ont été ajoutés au tarif des passagers ou au tarif de fret. Les suppléments de prix optionnels sont communiqués de façon claire, transparente et non équivoque au début de toute procédure de réservation et leur acceptation par le client résulte d’une démarche explicite. »

La Cour de Justice de l’Union Européenne considère dans son paragraphe 24 qu’« un transporteur aérien qui se bornerait à mentionner le prix définitif ne satisferait pas aux prescriptions de l’article 23, paragraphe 1, troisième phrase, de ce règlement, dès lors que celles-ci imposent d’indiquer les montants des différents éléments composant ce prix ».

Air Berlin fait alors valoir que « l’indication des montants réels des éléments visés à l’article 23, paragraphe 1, troisième phrase, sous c) et d), du règlement n° 1008/2008 serait impossible, dans la mesure où ces montants seraient inconnus au moment de la réservation du vol. ».

La CJUE ne suit pas l’argument d’Air Berlin dans la mesure où lors de l’achat de son billet d’avion le consommateur paye un prix définitif et non pas un prix provisoire susceptible d’être modifié une fois que les montants exacts des redevances aéroportuaires et des autres redevances sont définitivement connus.

Par conséquent, et même si certains montants, comme le prix du carburant, ne peuvent être connus qu’une fois le vol effectué, « les montants des taxes, des redevances aéroportuaires et des autres redevances, suppléments et droits, mentionnés à l’article 23, paragraphe 1, troisième phrase, sous b) à d), du règlement n° 1008/2008, devant être acquittés par le client correspondent à l’estimation faite par le transporteur aérien au moment de la réservation du vol. »

Par conséquent, la CJUE a considéré que « lors de la publication de leurs tarifs des passagers, les transporteurs aériens doivent préciser, de manière séparée, les montants dus par les clients au titre des taxes, des redevances aéroportuaires ainsi que des autres redevances, suppléments et droits, visés à l’article 23, paragraphe 1, troisième phrase, sous b à d), de ce règlement, et ne peuvent, en conséquence, inclure, même pour partie, ces éléments dans le tarif des passagers, visé à l’article 23, paragraphe 1, troisième phrase, sous a), dudit règlement. »

Chaque montant de chaque catégorie de taxe ou redevance doit donc être précisé et cela afin de permettre au consommateur d’appréhender de manière optimale et intégrale les différentes composantes du prix qu’il devra régler.

Sur la 2nde question posée

Les juridictions allemandes ont considéré que la clause figurant au point 5.2 des conditions générales de vente d’Air Berlin prévoyant des frais de traitement de 25 euros en cas d’annulation d’une réservation de vol ou de non-présentation désavantage « de façon indue les clients d’Air Berlin » et est par conséquent « de nul effet », conformément aux dispositions du droit allemand qui transposent la directive 93/13 du Conseil relatives aux clauses abusives.

La question qui se pose ici est celle de l’application concomitante :

  • des dispositions transposant la Directive 93/13 du Conseil relative aux clauses abusives et qui qualifie d’abusive le point 5.2 des conditions générales de vente d’Air Berlin et
  • de l’article 22, paragraphe 1, du règlement n°1008/2008 permettant aux transporteurs aériens de fixer les tarifs des passagers librement.

La Cour de Justice de l’Union Européenne rappelle que la Directive 93/13 du Conseil relative aux clauses abusives dans les contrats conclus entre professionnels et consommateur a vocation à s’appliquer dans tous les secteurs d’activité, à moins que la Directive n’exclue elle-même et de façon spécifique certains secteurs d’activité.

La Directive 93/13 du Conseil relative aux clauses abusives a donc vocation à s’appliquer aux contrats de transport aérien, ce secteur d’activité n’étant pas explicitement exclu du champ d’application de la Directive.

La CJUE a rappelé les dispositions de l’arrêt du 18 septembre 2014 Vueling Airlines dans lequel la Cour a pu considérer que « l’article 22, paragraphe 1, du règlement n° 1008/2008 s’oppose à une réglementation, telle que celle en cause dans cette affaire, ayant pour but d’obliger, en toutes circonstances, les transporteurs aériens à transporter les bagages enregistrés de leurs passagers sans pouvoir exiger de supplément de prix pour ce transport. En revanche, la Cour n’a aucunement énoncé que la liberté de tarification s’oppose, de façon générale, à l’application de toute règle de protection des consommateurs. Bien au contraire, la Cour a indiqué que, sans préjudice de l’application, notamment, des règles édictées en matière de protection des consommateurs, le droit de l’Union ne s’oppose pas à ce que les États membres réglementent des aspects relatifs au contrat de transport aérien, en particulier aux fins de protéger les consommateurs contre des pratiques abusives, sous réserve de ne pas remettre en cause les dispositions tarifaires du règlement n° 1008/2008 ».

Ainsi, la Cour a considéré que, si la liberté de fixation des prix n’empêche pas les compagnies aériennes de pouvoir exiger des suppléments de prix pour le transport des bagages, cette liberté ne permet pas pour autant de s’opposer à l’application de dispositions nationales transposant une directive du droit de l’Union Européenne en matière de protection des consommateurs et de clauses abusives.

Ainsi, à défaut d’exclusion précisée au sein de la directive 93/13, la protection des consommateurs contre les clauses prévues aux seins des contrats, prime sur les dispositions relatives à la liberté de fixation des prix, notamment en matière de transport aérien.

A rapprocher : CJUE 18 septembre 2014, Vueling Airlines, C‑487/12, EU:C:2014:2232

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