TC Paris, 14 novembre 2017, n°16/045132
Le juge privilégie une interprétation finaliste du contrat de distribution.
Ce qu’il faut retenir : Le juge privilégie une interprétation finaliste du contrat de distribution.
Pour approfondir : En l’espèce, une tête de réseau avait résilié les contrats d’enseigne la liant à certains de ses distributeurs aux motifs – notamment – que :
- d’une part, la société mère de ces distributeurs avait fait l’objet d’un changement de contrôle, au profit d’une société concurrente de la tête de réseau, sans même qu’elle en soit préalablement avertie ;
- d’autre part, des informations confidentielles étaient parvenues à la connaissance de ce concurrent, postérieurement au changement de contrôle, l’un des dirigeants de la société concurrente de la tête de réseau étant devenu représentant légal des distributeurs.
Pour ce qui concerne le grief tiré du changement de contrôle affectant leur société mère, les distributeurs contestaient avoir violé le contrat d’enseigne aux motifs :
- d’une part, qu’ils étaient totalement étrangers à la décision de changement d’actionnariat de leur société mère ;
- d’autre part, que le contrat d’enseigne stipulait une obligation d’information de la tête de réseau en cas de cession des parts des sociétés partenaires, et non des actions de la société mère de celles-ci.
Pour ce qui concerne le grief touchant à la divulgation d’informations confidentielles, les distributeurs faisaient valoir :
- d’une part, que l’argumentaire soulevé par la tête de réseau était incohérent dès lors que leur société mère avait fait l’objet d’un précédent changement de contrôle au profit d’un concurrent, sans que la tête de réseau n’exprime alors le moindre grief,
- d’autre part, qu’aucune information confidentielle n’avait été divulguée,
- enfin, que la tête de réseau n’invoquait pas même le moindre acte de concurrence déloyale.
La société tête de réseau soulignait par ailleurs que les relations qui liaient les parties étaient empreintes d’un fort intuitu personae et qu’en l’espèce tant l’actionnariat que la direction des distributeurs avaient été modifiés. A ce titre, la société tête de réseau relevait que l’article 7 du contrat d’enseigne énonçait que « l’Affilié s’engage à ne pas consentir, que ce soit directement ou indirectement, par personne physique ou morale interposée, quelque droit que ce soit à des tiers sur le concept et l’enseigne (…). Puis que l’article 8 de ce même contrat précisait que « (…) le présent contrat étant conclu intuitu personae, l’Affilié s’engage, en cas de projet de cession de parts, d’actions de société, d’actifs, de droit au bail, de fonds de commerce en tout ou partie, ou en cas de modification de sa structure juridique ou de la structure de son capital, y compris en cas d’apport fusion (…) etc. (…) à en informer immédiatement le Concédant par courrier RAR, (…) cette information ouvrira au profit du Concédant un délai d’option de trois mois (…) ».
Pour dire et juger la résiliation du contrat d’enseigne justifiée et condamner les distributeurs au paiement de diverses sommes, le jugement commenté retient – à juste titre selon nous – une interprétation finaliste des stipulations susvisées du contrat d’enseigne.
En effet, le jugement commenté retient successivement que :
- la société mère des distributeurs est un concurrent direct de la tête de réseau,
- l’article 7 du contrat d’enseigne interdit de manière générale tout transfert, toute information sur le concept et l’enseigne qui pourrait être divulguée à des tiers directement ou indirectement,
- l’article 8 du contrat d’enseigne précise que la convention est conclu intuitu personae,
- l’un des dirigeants de la société concurrente de la tête de réseau étaient devenu représentant légal des distributeurs,
- il résulte de cette situation un changement de direction des demandeurs significatif, l’accès par ce biais d’une structure concurrente à des informations concernant les modes de fonctionnement de la tête de réseau,
- la confidentialité des informations divulguée est expressément visée par les contrats qui les liaient, la rédaction de l’article 7 du contrat d’enseigne visant les informations « qui pouvaient être divulguées à des tiers (…) indirectement »,
- « ainsi que la Cour de cassation a pu l’interpréter, il convient de s’attacher non à l’expression textuelle de l’obligation mais à sa finalité réelle et qu’en l’espèce les dispositions des clauses 7 et 8 des conventions visaient à protéger l’intuitu personae qui présidait aux rapports [entre les parties], en prévoyant une information de tout changement significatif au niveau de la structure agrée, et à protéger [la tête de réseau] de tout accès non approuvé à ses méthodes et savoirs faire tant de façon directe qu’indirecte »,
- outre que conformément à l’article 1134 du code civil, les conventions s’exécutent de bonne foi,
- et qu’en agissant comme ils l’ont fait, les distributeurs ont commis une faute grave au regard de leurs obligations contractuelles justifiant la résiliation des contrats d’enseigne à leurs torts.
La solution retenue, qui doit être approuvée, suscite les observations suivantes.
Force est de constater tout d’abord que l’esprit même du contrat tendait, ainsi que le relève le Tribunal de commerce de Paris, à protéger la tête de réseau de toute prise de contrôle (directe ou indirecte) d’un affilié du réseau ; il n’est évidemment pas d’autoriser par avance, par ce biais, la prise de contrôle, directe ou indirecte, des affiliés par un concurrent direct du concédant et du réseau. Dès lors, il paraît justifié de faire prévaloir l’interprétation finaliste du contrat, la plus respectueuse de l’intention commune des parties.
La jurisprudence a par ailleurs déjà retenu cette solution, en affirmant « que passer sous contrôle d’un concurrent du réseau était contraire, quelle que soit la voie adoptée, à la volonté commune exprimée par les parties lors de la signature des contrats ; qu’une convention doit s’exprimer loyalement » (CA Paris, 3 juillet 1998, n° 95/14563, Juris-Data n°1998-022261 : à propos d’une clause de préemption que le tiers pensait (à tort) avoir déjoué par le truchement de deux opérations successives : l’augmentation de capital des sociétés franchisées par un concurrent du franchiseur, suivie d’un remplacement de leurs dirigeants, ayant eu pour conséquence directe la rupture des contrats de franchise car elle donnait à un concurrent accès au savoir-faire du franchiseur et constituait, sous l’artifice d’augmentations de capital frauduleuses par leur motivation, une violation du droit de préemption du franchiseur) :
« Qu’il importe peu en effet que la double prise de contrôle ait été opérée par voie d’augmentations de capital régulières ou non ; que cette voie astucieuse n’avait pas été expressément envisagée par les signataires des conventions ; qu’il n’en est pas proposé de justification autre que l’existence d’une faculté de préemption du franchiseur ; qu’elle aboutissait en revanche au résultat qui était celui contre lequel M. Z… [Dirigeant des sociétés franchisées] et les sociétés X… et Y… [Sociétés franchisées] avaient accepté que la société A… [franchiseur] se protège par les clauses litigieuses de préemption ; Qu’elle eût été nécessairement exclue si les parties avaient connaissance du subterfuge qu’elle offrait ; que la société A… [franchiseur] ne pouvait conclure en effet des contrats de franchise en acceptant que ses franchisés passent sous le contrôle d’un groupe concurrent et lui apportent ses secrets commerciaux ; que les sociétés franchisées ne pouvaient envisager et encore moins exiger que leur franchiseur accepte de limiter son droit de préemption » (Nous soulignons).
La lecture de l’arrêt précité du 3 juillet 1998 montre que :
- le contrat de distribution comportait bien, comme en l’espèce, un droit de préemption ;
- ce droit de préemption était, comme en l’espèce, limité à certaines hypothèses ;
- et, comme en l’espèce, les actes judiciairement contestés n’entraient pas dans le champ d’application de la clause de préemption interprétée littéralement ;
- précisément, dans l’arrêt du 3 juillet 1998, la Cour d’appel de Paris a considéré que cette clause de préemption devait être interprétée comme s’appliquant au-delà des simples hypothèses qu’elle envisageait expressément :
« Qu’il importe peu en effet que la double prise de contrôle ait été opérée par voie d’augmentations de capital régulières ou non ; que cette voie astucieuse n’avait pas été expressément envisagée par les signataires de la convention ; qu’il n’en est pas proposé de justification autre que l’existence d’une faculté de préemption du franchiseur ; qu’elle aboutissait en revanche au résultat qui était celui contre lequel Robert Lavergne et les société Bangor et Fremarc avaient accepté que la société ITM Entreprises se protège par les clauses litigieuses de préemption ; Qu’elle eût été nécessairement exclue si les parties avaient eu conscience du subterfuge qu’elle offrait ; que la société ITM Entreprises ne pouvait conclure en effet des contrats de franchise en acceptant que ses franchisés passent sous le contrôle d’un groupe concurrent et lui apportent ses secrets commerciaux » (CA Paris, 3 juillet 1998, n° 95/14563, Juris-Data n°1998-022261, page 8).
Une telle interprétation finaliste relève de l’appréciation souveraine de la juridiction du fond, ainsi que la Cour de cassation l’a d’ailleurs ultérieurement jugé en rejetant le pourvoi formé contre l’arrêt commenté du 3 juillet 1998 (Cass. com., 19 décembre 2000, n°98-20.515).
A rapprocher : CA Paris, 3 juillet 1998, n° 95/14563, Juris-Data n°1998-022261 et, sur pourvoi, Cass. com., 19 décembre 2000, n°98-20.515 (rejet)