Absence de rupture brutale de relations commerciales établies sur un marché en crise

Cass. com., 8 novembre 2017, n°16-15.285, Publié au Bulletin

Ne sont pas constitutives d’une rupture brutale des relations commerciales établies susceptibles d’engager la responsabilité de son auteur la baisse puis la cessation des commandes passées par un distributeur de textile auprès d’un intermédiaire lorsqu’elles résultent de « la crise du secteur d’activité ».

Ce qu’il faut retenir : Ne sont pas constitutives d’une rupture brutale des relations commerciales établies susceptibles d’engager la responsabilité de son auteur la baisse puis la cessation des commandes passées par un distributeur de textile auprès d’un intermédiaire lorsqu’elles résultent de « la crise du secteur d’activité ».

Pour approfondir : Une société qui commercialise des chemises a confié, à partir de 2000, à un intermédiaire, la maîtrise d’œuvre de chemises fabriquées au Bangladesh moyennant le règlement de commissions calculées en fonction du volume des commandes.

A compter d’octobre 2008, il apparaît que le distributeur a diminué le volume de ses commandes auprès de l’intermédiaire, n’a passé aucune commande pendant 7 mois, puis a repris les commandes mais dans des volumes moins importants que précédemment.

En janvier 2010, l’intermédiaire a notifié au distributeur une augmentation du coût unitaire des chemises en expliquant que la baisse des commandes entraînait une augmentation de ses coûts de production. En réponse, le distributeur a indiqué à l’intermédiaire qu’il ne lui était plus possible de lui commander des chemises du fait de cette augmentation.

Par la suite, l’intermédiaire a assigné le distributeur aux fins notamment d’obtenir le paiement de dommages-intérêts pour rupture brutale d’une relation commerciale établie devant le Tribunal de commerce de Marseille.

Par jugement du 11 juillet 2014, le Tribunal de commerce de Marseille a débouté l’intermédiaire de toutes ses demandes, fins et conclusions.

Ensuite, par arrêt en date du 11 février 2016, la Cour d’appel de Paris (seule juridiction de second degré compétente pour connaître de l’application de l’article L.442-6 du code de commerce), a confirmé en tous points le jugement de première instance. Saisie de cette affaire, la Chambre commerciale de la Cour de cassation, dans un arrêt ayant eu les honneurs de la publication au Bulletin, confirme l’arrêt rendu par la Cour d’appel et rejette le pourvoi formé par l’intermédiaire.

Si la Cour de cassation ne développe pas ce point, il mérite d’être souligné que la relation entre le distributeur et l’intermédiaire, ici, est belle et bien « établie ». En effet, s’il faut nécessairement pour être établie que la relation soit directe entre les partenaires (voir Cass. com., 8 juin 2017, n°16-15.372 qui écarte l’application de L.442-6, I, 5° à la relation indirecte entre le sous-distributeur et le distributeur exclusif de la marque), le fait que la relation ne soit fondée que sur des contrats ponctuels est suffisant à la rendre « établie » et justifie l’application desdites dispositions (Cass. com., 15 sept. 2009, n°08-19.200).

La relation étant établie, et entrant donc dans le champ d’application de l’article L.442-6, I, 5° du code de commerce, la Haute Juridiction poursuit son raisonnement et intervient en deux temps : (1) tout d’abord, sur l’absence de responsabilité du fait de la baisse des commandes à compter de 2008 ; (2) ensuite, sur l’absence de responsabilité du fait de l’arrêt des commandes notifié par le distributeur le 6 janvier 2010.

Sur le premier point (la baisse des commandes à compter de 2008), la Cour conclut que « la Cour d’appel a pu retenir que la baisse des commandes [du distributeur], inhérente à un marché en crise, n’engageait pas sa responsabilité » en prenant en considération les éléments suivants, dans l’ordre :

  • le distributeur « n’avait pris aucun engagement de volume envers son partenaire » (ce qui ne suffit d’ailleurs pas à faire obstacle au caractère établi de la relation dès lors qu’elle a duré un certain nombre d’années : CA Paris, 8 mars 2017, n°14/13430),
  • le distributeur « a souffert d’une baisse de chiffre d’affaires d’un peu plus de 15 % du fait de la situation conjoncturelle affectant le marché du textile, baisse qu’il n’a pu que répercuter sur ses commandes dans la mesure où un donneur d’ordre ne peut être contraint de maintenir un niveau d’activité auprès de son sous-traitant lorsque le marché lui-même diminue »,

  • le distributeur « a proposé une aide financière à [l’intermédiaire] pour faire face à la baisse de ses commissions, démontrant sa volonté de poursuivre leur relation commerciale »,
  • « nonobstant le fait que [le distributeur] ait momentanément cessé de passer des commandes au cours de l’année 2009, [l’intermédiaire] a reçu des commissions au cours des douze mois de l’année 2009 ».

La rupture partielle des relations commerciales établies, caractérisée par la baisse effective et significative du volume des commandes ou du chiffre d’affaires sans préavis écrit, peut entrainer l’application des dispositions de l’article L.442-6, I, 5° du code de commerce (Cass. com., 11 sept. 2012, n°11-14.620). Toutefois, en l’espèce, la baisse de 15% de l’activité n’est pas suffisante à la caractériser.

Sur le second point (la rupture totale des relations à compter de janvier 2010), la Cour retient que « la situation observée en 2010 était, elle aussi, une conséquence de la crise du secteur d’activité et de l’économie nouvelle de la relation commerciale qui en était résultée », et par conséquent, que la Cour d’appel a légalement justifié sa décision.

Cet arrêt est particulièrement remarquable en ce qu’il prend en considération la conjoncture économique d’un marché en crise pour dégager l’auteur de la rupture de sa responsabilité tant au titre de la rupture partielle, que de la rupture totale des relations commerciales.

Il poursuit ainsi l’inflexion remarquée de la jurisprudence rendue dans le contentieux de la rupture des relations commerciales établies, qui tend à exonérer l’auteur de la rupture de toute responsabilité dès lors que la rupture ne procédait pas d’un acte déloyal ni d’une stratégie volontaire, mais bien de l’évolution générale – et extérieure – d’un marché donné (voir aussi, Cass. com., 12 févr. 2013, n°12-11.709 ; CA Paris, 7 janvier 2016, n°14/08432 ; CA Paris, 14 janvier 2016, n°14/16799 ; CA Paris, 18 février 2016, n°15/14989 ; CA Paris, 13 octobre 2016, n°15/03037 ; voir aussi, Cass. com., 12 févr. 2013, n°12-11.709 pour la baisse des commandes liée à une baisse simultanée de l’activité du partenaire).

C’est ainsi que la Cour d’appel de Dijon avait déjà rappelé, dans une affaire liée à la crise de 2008, que « la rupture brutale d’une relation commerciale établie ne peut s’entendre que d’un fait volontaire et non de l’évolution de la conjoncture, celle-ci étant indépendante de la volonté des parties » (CA Dijon, 20 sept. 2011, n°10/01577).

En effet, il est aisément admissible qu’une baisse de commandes ne soit pas imputable à son auteur lorsque le marché entier diminue. C’est ce que la Cour de cassation rappelle dans l’arrêt ici commenté : « un donneur d’ordre ne peut être contraint de maintenir un niveau d’activité auprès de son sous-traitant lorsque le marché lui-même diminue ».

Dans ce cas, la baisse de commandes serait une conséquence « mathématique » de la baisse globale du marché.

Dans ce dernier cas, il convient de remonter la chaîne de causalité pour comprendre en quoi la rupture totale est une conséquence directe de la crise économique et n’est, dès lors, pas imputable à son auteur, puisque non-délibérée. C’est à celui qui allègue avoir rompu la relation, partiellement ou totalement, de démontrer que la rupture est bien fondée sur l’évolution du marché (voir CA Paris, 27 avril 2017, n°15/02021, dans laquelle le lien entre les prix et les fluctuations des prix sur le marché n’est pas rapporté).

C’est à cette démonstration que se livre le présent arrêt en relevant que la décision du distributeur de cesser les commandes est justifiée par « l’économie nouvelle de la relation commerciale », et que cette dernière résulte d’un fait extérieur à l’auteur de la rupture, constitué en l’espèce par « la crise du secteur d’activité » du textile.

L’arrêt ici commenté semble aller en fait même au-delà de la jurisprudence susvisée, puisqu’il se contente de se focaliser sur la situation économique des cocontractants, sans rechercher ni s’il existait une situation de dépendance entre les deux partenaires, ni si un préavis écrit a réellement été donné.

Par opposition en effet, les décisions rendues précédemment semblaient souligner que si le contexte économique peut exonérer l’auteur de la rupture de sa responsabilité au titre de l’article L.442-6, I, 5° du code de commerce, un tel contexte ne l’exonère toutefois pas d’octroyer à son partenaire commercial un préavis écrit d’une durée raisonnable (voir notamment CA Paris, 7 mars 2013, n°12/04392 ; CA Versailles, 18 mai 2006, n°04/08829).

A toutes fins utiles, précisons enfin que la crise du textile avait déjà justifié, dans une autre décision, le rejet de la demande du ministre de l’économie à ce que soit prononcée une amende civile à l’encontre de l’auteur de la rupture :

« Considérant que la cessation des relations entre les deux sociétés est intervenue dans un contexte de lourde crise du textile à laquelle la société [V.] a été confrontée comme tous les agents économiques de ce secteur et a répondu comme beaucoup d’entre eux en modifiant ses modalités d’approvisionnement et en transférant sa production à l’extérieur afin d’obtenir des prix plus compétitifs dans un marché hautement concurrentiel ; considérant que cette restructuration relevant de la politique commerciale de la société [V.] qualifiée par le Ministre de l’Economie lui-même de légitime n’est pas interdite en tant que telle ; considérant qu’il suit de là que la rupture sans préavis écrit des relations commerciales par la société [V.] n’a pas généré, en l’espèce, de troubles à l’ordre public économique, de nature à justifier le prononcé d’une amende civile » (CA Versailles, 18 mai 2006, n°04/08829).

A rapprocher : CA Paris, 3 mai 2017, n°15/24950 et notre commentaire

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