CA Paris, 7 novembre 2017, n°15/12767
Le dépôt d’une marque sur une dénomination générique dont le déposant sait qu’elle est utilisée par un tiers est frauduleux et le juge peut prononcer sa nullité.
Ce qu’il faut retenir : Le dépôt d’une marque sur une dénomination générique dont le déposant sait qu’elle est utilisée par un tiers est frauduleux et le juge peut prononcer sa nullité.
Pour approfondir : En droit des marques, la fraude peut revêtir des formes variées comme l’illustre l’affaire ayant conduit la Cour d’appel à prononcer la nullité d’un dépôt de marque en raison de son caractère frauduleux.
Une société de conseil en management, communication relation client et négociation, avait engagé une action en contrefaçon de droits d’auteur et de droit de marque à l’encontre de l’un de ses concurrents. Cette société se prévalait des droits d’auteur sur le titre d’un livre ayant pour sujet une théorie proposant une nouvelle approche de la relation de l’entreprise à ses produits et services dont les droits d’auteur lui avait été apportés par l’auteur lors de sa constitution. La société avait par la suite procédé au dépôt de la marque reprenant la dénomination constituant le titre de l’ouvrage.
Elle faisait grief à l’un de ses concurrents d’utiliser cette dénomination, en particulier sur un site internet et un blog. Cette société concurrente se trouvait dans une position un peu similaire puisqu’elle avait été constituée par un expert en marketing et professeur de communication qui exposait avoir également développé une théorie pour décrire une approche innovante de la communication et de l’e-communication dont le titre était devenu le nom commercial et le slogan de sa société.
La Cour d’appel a rejeté l’action en contrefaçon du titre de l’ouvrage, fondée sur les dispositions de l’article L.112-4 du code de la propriété intellectuelle, pour des motifs sur lesquels nous ne reviendrons pas, sauf à préciser que le titre a été jugé comme dépourvu d’originalité.
Ce titre faisait également l’objet d’un dépôt à titre de marque. L’action en contrefaçon fondée sur cette marque ne va pas davantage prospérer puisque la Cour a fait droit à la demande reconventionnelle en nullité de la marque : la société poursuivie considérait que le dépôt de la marque avait été effectué de manière frauduleuse dans le seul dessein de la lui opposer et de tenter ainsi de l’évincer du marché dans lequel ils sont en concurrence directe.
La Cour vise les dispositions de l’article L. 712-6 du code de la propriété intellectuelle selon lequel « Si un enregistrement a été demandé soit en fraude des droits d’un tiers, soit en violation d’une obligation légale ou conventionnelle, la personne qui estime avoir un droit sur la marque peut revendiquer sa propriété en justice. A moins que le déposant ne soit de mauvaise foi, l’action en revendication se prescrit par trois ans à compter de la publication de la demande d’enregistrement » et, « qu’en application du principe fraus omnia corrumpit, un dépôt de marque est frauduleux lorsqu’il est effectué dans l’intention de priver autrui d’un signe nécessaire à son activité présente ou ultérieure ; que la fraude est caractérisée dès lors que le dépôt a été opéré pour détourner le droit des marques de sa finalité, non pour distinguer des produits et services en identifiant leur origine mais pour priver des concurrents du déposant ou tous les opérateurs d’un même secteur d’un signe nécessaire à leur activité ; que le caractère frauduleux du dépôt s’apprécie au jour du dépôt et ne se présume pas, la charge de la preuve de la fraude pesant sur celui qui l’allègue ». Il faut également préciser que le dépôt frauduleux peut être sanctionné par le prononcé de sa nullité.
Ces principes rappelés, la Cour va caractériser la fraude en l’espèce en se fondant sur le courrier adressé à la société poursuivie quatre jours après le dépôt de la marque ce qui, selon les juges du fond, montre que la société avait une parfaite connaissance, à la date du dépôt de sa marque 4 jours seulement avant l’envoi dudit courrier, de l’usage antérieur par M. S. et la société S de l’expression litigieuse et ce, tant à titre de dénomination sur un site internet que dans le cadre de l’activité de conférencier de M. S. Ayant connaissance de la situation, elle a néanmoins procédé au dépôt de la marque et a immédiatement adressé une première lettre de mise en demeure à M. S. et la société S pour faire état de ce dépôt et leur interdire l’usage d’un signe dont elle savait qu’il était nécessaire à leurs activités respectives alors que les parties au litige sont concurrentes.
Ces motifs établissent, selon la Cour, que le dépôt de la marque française a été effectué dans le dessein de s’approprier l’usage d’une expression générique nécessaire à l’activité de M. S. et de la société S et d’en priver ainsi ces concurrents, en s’arrogeant un monopole d’exploitation sur cette expression.
La solution nous semble sévère En effet, les juges ont considéré que le dépôt était animé par une intention de nuire alors qu’il était possible de considérer que le déposant avait voulu conforter ses droits sur une dénomination dont il faisait déjà usage. L’envoi d’une mise en demeure dans les jours suivant le dépôt n’aura pas été neutre dans cette affaire puisqu’il aura conduit les juges à caractériser la connaissance de cet usage avant le dépôt et donc l’intention de s’en prévaloir pour monopoliser une expression jugée générique.
A rapprocher : Article L. 712-6 du code de la propriété intellectuelle