CA Versailles, 28 novembre 2017, RG n°16/04524
La gravité du comportement d’une partie à un contrat peut justifier que l’autre partie y mette fin de façon unilatérale à ses risques et périls, indépendamment du contenu même de la clause résolutoire prévue au contrat.
Ce qu’il faut retenir : La gravité du comportement d’une partie à un contrat peut justifier que l’autre partie y mette fin de façon unilatérale à ses risques et périls, indépendamment du contenu même de la clause résolutoire prévue au contrat. Cette gravité peut parfois justifier l’absence de mise en demeure préalable et être exclusive d’un délai de préavis.
Pour approfondir : Dans le cadre d’un contrat de franchise conclu dans le domaine de l’optique, une société franchiseur a procédé à la résiliation unilatérale aux torts du franchisé du contrat avant son terme, au motif que ce dernier avait un comportement gravement fautif, rendant impossible la poursuite de leurs relations contractuelles (v. plus généralement, sur la résiliation du contrat de franchise, F.L. SIMON, Théorie et Pratique du droit de la Franchise, éd. JOLY 2009, spéc. §.497 et suivants).
Le franchiseur a ensuite assigné le franchisé devant le Tribunal de commerce de Versailles aux fins de voir constaté le bien-fondé de la résiliation du contrat et d’obtenir réparation du préjudice subi du fait de la résiliation anticipée du contrat de franchise ; cette résiliation étant intervenue malgré la présence dans le contrat d’une clause résolutoire.
Par jugement en date du 8 juin 2016, les juges ont fait droit à sa demande. Le franchisé a par conséquent interjeté appel de la décision. Ainsi, la Cour d’appel de Versailles a dû se prononcer sur le bien-fondé de la résiliation unilatérale réalisée sans pour autant mettre en œuvre la clause résolutoire (1), cela en vérifiant chacun des griefs invoqués par le franchiseur (2) nous offrant une nouvelle illustration des manquements d’une gravité pouvant justifier d’une résiliation unilatérale ou d’une résolution judiciaire (3).
1. – La résiliation unilatérale du contrat nonobstant l’existence d’une clause résolutoire.
L’arrêt commenté permet de rappeler les mécanismes de résiliation unilatérale des contrats. Les juges ont tout d’abord rappelé que la « clause résolutoire est toujours sous-entendue dans les contrats synallagmatiques pour le cas où l’une des parties ne satisfera point à son engagement » comme cela résulte de l’ancien article 1184 du Code civil (actuel article 1224).
Ils ont indiqué ensuite que « la gravité du comportement d’une partie à un contrat peut justifier que l’autre partie y mette fin de façon unilatérale à ses risques et périls ». En effet, la faculté de résilier immédiatement et de façon unilatérale le contrat est offerte à une partie lorsque son cocontractant commet des manquements graves.
L’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016 du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations codifie ce principe dans le nouvel article 1226 du code civil disposant que « le créancier peut, à ses risques et périls, résoudre le contrat par voie de notification […] et doit alors prouver la gravité de l’inexécution ». Cet article consacre l’état du droit positif initié par l’arrêt de principe TOCQUEVILLE rendu par la Cour de cassation le 13 octobre 1998 (pourvoi n°96-21.485) relative à la résiliation unilatérale.
Toutefois, si le cocontractant a résilié unilatéralement le contrat et qu’il ne justifie pas des manquements graves de l’autre partie, puisqu’il aura résilié à ses risques et périls, il devra dédommager le cocontractant lésé de cette résiliation.
Enfin, il est important de souligner que la Cour d’appel de Versailles confirme la décision des juges du fonds ayant constaté le bien-fondé de la résiliation du contrat aux risques et périls nonobstant la non mise en œuvre de la clause résolutoire prévue au contrat. En effet, les juges ne sanctionnent pas le franchiseur sur le fait de ne pas avoir respecté les modalités de résiliations prévues contractuellement entre les parties dès lors que le manquement est suffisamment grave pour justifier une résiliation unilatérale de la part du franchiseur.
Cette décision s’inscrit dans la position de la Cour de cassation selon laquelle l’existence d’une clause résolutoire ne ferme pas au créancier la voie de la résolution unilatérale, une telle rupture pouvant être mise en œuvre « peu important les modalités formelles de la résiliation contractuelle » (Cass. com., 10 févr. 2009, n° 08-12.415 : Juris-Data n° 2009-047014 ; Cass. com., 1er oct. 2013, n° 12-20.830, inédit).
2. – Les manquements justifiant la résiliation unilatérale
La cour indique qu’il « convient dès lors de rechercher si les conditions d’une résiliation unilatérale pour manquement grave de la société (franchiseur) à ses obligations sont réunies ».
La Cour d’appel de Versailles a donc repris un à un les manquements du franchisé soulevés par le franchiseur pour décider si la résiliation était justifiée ou non.
- Le premier grief était relatif au fait que le franchisé procédait à des remboursements en espèces inexpliqués qui généraient ainsi des sorties de caisse et en conséquence, une minoration du chiffre d’affaires du magasin.
La Cour a considéré que ce manquement n’était pas d’une « gravité suffisante pour justifier de la résiliation du contrat » puisqu’une seule des sorties de caisse n’était en fait pas justifiée et que son montant était faible comparé au chiffre d’affaires annuel.
- Sur le deuxième grief, lequel reprochait au franchisé d’utiliser une ordonnance non nominative pour plusieurs dossiers, les juges ont raisonnablement décidé que ce manquement était d’une particulière gravité car il s’agissait d’un « procédé frauduleux de falsification d’ordonnances dans le but de permettre des remboursements de mutuelle qui n’auraient pas dû exister », procédé qualifié par le franchisé lui-même de « manipulation frauduleuse ».
- Enfin, concernant le troisième et dernier grief, le franchiseur reprochait au franchisé d’avoir mis en place une double facturation, par l’utilisation d’un fichier Excel en plus du logiciel relatif à la facturation, permettant ainsi de modifier les factures aux fins d’obtenir des remboursements indus des mutuelles.
Les juges ont retenu que « l’utilisation du fichier Excel […] dans le but de modifier une vingtaine de factures caractérise un manquement grave de la société [franchisée] à ses obligations contractuelles, en ce sens que son comportement risquait de mettre en difficulté le franchiseur, tant à l’égard des mutuelles concernées qu’à l’égard de ses concurrents qui pouvaient agir à son encontre en concurrence déloyale ».
La Cour d’appel conclut en indiquant que « ce manquement grave, ajouté à la falsification d’ordonnances médicales justifie que la société [franchiseur] ait prononcé la résiliation unilatérale du contrat pour manquement grave du franchisé ».
Par conséquent, la Cour confirme la décision des premiers juges et donc condamne le franchisé au paiement d’indemnités pour préjudice économique au franchiseur.
3. – Panorama d’illustration des manquements d’une gravité justifiant une résiliation unilatérale ou une résolution judiciaire
Cette décision récente est l’occasion de s’intéresser plus largement sur ce que la jurisprudence considère comme des manquements suffisamment graves justifiant la résiliation unilatérale ou résolution judiciaire d’un contrat à durée déterminée (tout type de contrat confondu) avant l’arrivée de son terme.
En effet, dans le cadre d’une résolution judiciaire, la partie s’estimant victime du comportement de son cocontractant ne va pas prendre la décision de rompre unilatéralement le contrat mais va solliciter le juge pour qu’il tranche la question et prononce la résolution judiciaire du contrat. Ainsi, le juge examinera les manquements reprochés afin de déterminer s’ils sont suffisamment graves pour prononcer la résolution judiciaire.
En conséquence, que l’on soit en présence d’une résiliation unilatérale ou d’une résolution judiciaire, les manquements étudiés par le juge le seront de manière identique.
Il est intéressant de présenter les jurisprudences où les manquements d’une des parties présentaient une telle gravité que la résiliation unilatérale par l’autre partie n’était pas considérée comme abusive mais, au contraire, justifiée.
Il ressort de ce panel que les juges utilisent leur pouvoir d’appréciation souveraine pour contrôler que les manquements invoqués sont bien suffisamment graves pour que la résiliation n’ait pas été faite aux risques et périls de son auteur.
L’analyse de ce panel révèle que mis à part la gravité du manquement, aucun critère ne peut être dégagé, comme cela peut être le cas par exemple pour la caractérisation du déséquilibre significatif.
Toutefois, existe un point commun entre toutes ces décisions : la gravité de ces manquements est telle qu’il est impossible de continuer la relation.
A rapprocher :
TABLEAU RECAPITULATIF DES DECISIONS JURISPRUDENTIELLES
TYPE DE RUPTURE |
RATIO DECIDENDI |
DECISION |
Résolution judiciaire |
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CA Poitiers, 24 mars 1993, Juris-Data n°1993-050387 |
Résolution judiciaire |
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CA Bordeaux, 11 novembre 1993, n° 92/004977 |
Résolution judiciaire |
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CA Montpellier, 21 janvier 2003, n°01/00119 |
Résolution judiciaire |
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CA Nîmes, 14 septembre 2000, n°99/1495 |
Résiliation unilatérale |
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Cass. civ 1ère, 24 septembre 2009, n°08-14.524 |
Résiliation judiciaire |
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CA Paris, 11 janvier 2012, n°09/10566 |
Résolution judiciaire |
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CA Orléans, 21 mars 2013, n°12/00056 |
Résiliation judiciaire |
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CA Orléans, 16 avril 2015, n°14/01807 |
Résiliation unilatérale |
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CA Nîmes, 7 mai 2015, n°14/01258 |
Résiliation judiciaire |
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CA Bordeaux, 6 août 2015, n°09/05018 |
Résiliation unilatérale |
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CA Paris, 24 février 2016, n°13/19611 |
Résolution judiciaire |
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CA Aix-en-Provence, 2 juin 2016, n°14/03618 |
Résiliation unilatérale |
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CA Versailles, 28 novembre 2017, n°16/04524 |