Loi n°2018-827 du 20 avril 2018 ratifiant l’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations
Répondant à de vives inquiétudes doctrinales concernant les conséquences en droit des sociétés de certaines dispositions issues de l’ordonnance n°2016-131 réformant le droit des contrats, le Parlement en a modifié la rédaction lors de l’adoption de la loi de ratification.
Ce qu’il faut retenir : Répondant à de vives inquiétudes doctrinales concernant les conséquences en droit des sociétés de certaines dispositions issues de l’ordonnance n°2016-131 réformant le droit des contrats, le Parlement en a modifié la rédaction lors de l’adoption de la loi de ratification. Ces changements seront applicables à tous les actes juridiques conclus ou établis à compter du 1er octobre 2018.
Pour approfondir :
- La clarification des conditions de mise en œuvre de la réticence dolosive (article 1137 du Code civil)
La réticence dolosive, construction prétorienne, a été consacrée lors de la réforme à l’article 1137 du Code civil. Toutefois, certains auteurs relevaient que, à la différence d’autres textes codifiant des solutions jurisprudentielles, cette disposition n’excluait pas la réticence sur la valeur des biens ou des prestations objet du contrat, alors que ce principe est reconnu depuis le célèbre arrêt Baldus. Par opposition, l’article 1112-1 du Code civil disposait que l’obligation d’information qui pèse sur les parties dans le cadre des négociations ne concerne pas « l’estimation de la valeur de la prestation ».
Dès lors, certains auteurs ont pu considérer que la dissimulation volontaire d’informations relatives à la valorisation des droits sociaux dont la cession est projetée (notamment effectuée à la suite d’audits internes) pouvait conduire à l’annulation de celle-ci. La loi de ratification a répondu en partie à ce problème d’articulation avec l’article 1112-1 du Code civil en ajoutant un 3ème alinéa à l’article 1137 du Code civil, qui dispose désormais : « Néanmoins, ne constitue pas un dol le fait pour une partie de ne pas révéler à son cocontractant son estimation de la valeur de la prestation ».
Il faut toutefois relever que cette nouvelle rédaction ne vise que l’estimation propre à chaque partie. Dès lors, la question subsiste de savoir si une estimation de la valeur de droits sociaux réalisée par un tiers (dans le cadre d’un rapport d’audit par exemple) qui ne serait pas transmise au cocontractant ne pourrait pas fonder une annulation de la cession au titre de la réticence dolosive.
- La modification des règles relatives à la capacité des personnes morales (article 1145 du Code civil)
La capacité des personnes morales à contracter ne faisait pas l’objet de définition dans le Code civil. Seuls certains auteurs avaient limité leur capacité par le principe de « spécialité », selon lequel la personne morale ne peut accomplir que les actes qui entrent dans son objet statutaire.
L’ordonnance du 10 février 2016 avait pallié cette lacune en limitant la capacité des personnes morales « aux actes utiles à la réalisation de leur objet » ainsi qu’à leurs accessoires (art. 1145, al. 2 du Code civil).
La référence à son utilité, et son éventuel lien avec la notion de l’intérêt social, soulevait autant d’interrogations que l’articulation avec les règles relatives à la représentation des personnes morales par leurs dirigeants.
L’article 6 de la loi du 20 avril 2018 vient modifier l’alinéa 2 de l’article 1145 du Code civil, qui disposera désormais que « la capacité des personnes morales est limitée par les règles applicables à chacune d’entre elles », ce qui semble concerner, en droit des sociétés, les types de sociétés à objet restreint par la loi (SCI, SEL, GAEC…).
- La multi-représentation de personnes morales (article 1161 du Code civil)
L’article 1161 du Code civil permettait de demander la nullité (relative) des contrats auxquels deux parties étaient représentées par une même personne, à moins que celles-ci ne l’aient autorisé ou ratifié.
Cet article avait, semble-t-il, pour objectif d’instaurer une certaine moralisation des relations économiques, afin de prévenir les conflits d’intérêts potentiels, notamment dans le domaine immobilier.
Cette règle est d’ailleurs connue de certains droits étrangers ou de la lex mercatoria.
Concernant le champ d’application de ce texte, la plus forte incertitude a vu surgir deux courants d’interprétation.
On peut estimer que ce dispositif, issu du régime général applicable aux contrats, ne s’appliquait pas dès lors que la personne morale cocontractant était déjà soumise à un régime de contrôle de ces conventions (tels que les règles relatives aux conventions réglementées, interdites et libres pour les sociétés par actions).
Mais on peut également estimer que lorsque les règles spéciales ne s’appliquaient pas à la convention concernée ou ne prévoyaient pas d’autorisation ou de ratification, le droit général de l’article 1161 du Code civil trouvait à s’appliquer.
En tout état de cause, si les sociétés par actions et les SARL semblaient ne pas être concernées, on pouvait nourrir des doutes concernant, notamment, les collectivités locales, associations, sociétés civiles et SNC.
Toutefois, la nullité du contrat demandée sur le fondement de l’article 1161 du Code civil étant relative, les hypothèses de mise en œuvre de cet article paraissaient, de manière générale, conditionnées par un changement préalable de dirigeant.
Néanmoins, d’un point de vue pratique, cet article entraînait un alourdissement des formalités à prévoir pour la conclusion de contrats, notamment dans le cadre d’opérations intra-groupe.
Les personnes morales sont désormais écartées des dispositions de cet article par la loi de ratification, l’article 1161 disposant désormais qu’« en matière de représentation des personnes physiques, un représentant ne peut agir pour le compte de plusieurs parties au contrat en opposition d’intérêts ».
- Date d’entrée en vigueur
Les modifications de ces articles seront applicables aux actes conclus à partir du 1er octobre 2018. Les doutes concernant la rédaction de ces dispositions, telles qu’elles étaient issues de l’ordonnance de 2016, subsisteront donc pour tous les contrats conclus entre le 1er octobre 2016 (date d’entrée en vigueur de la réforme) et le 1er octobre 2018.
Il appartiendra à la jurisprudence de trancher les éventuels litiges en fonction de la rédaction initiale de ces articles, ou à la lumière de la loi du 20 avril 2018.
A rapprocher : Ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016