Interview de François-Luc Simon (La Tribune du manager - 27 mars 2008)
Pourquoi est-il nécessaire de s’assurer de la bonne santé du fournisseur avant de s’engager avec lui ? Pourquoi faut-il être attentif aux CGV ? Pourquoi faut-il prévoir des clauses spécifiques en cas de non livraison ou de produits non conformes ? Pourquoi faut-il bien définir à qui revient la propriété intellectuelle du produit en cas de codéveloppement ?
Interview la Tribune du Manager 27 mars 2008 : Comment réduire les coûts tout en sécurisant les approvisionnements ?
TDM : Pourquoi est-il nécessaire de s’assurer de la bonne santé du fournisseur avant de s’engager avec lui, notamment par un contrat d’approvisionnement?
FLS : La question est souvent abordée sous l’angle de l’acheteur, la mauvaise santé financière du client impactant sur l’exécution de ses obligations, en particulier sur l’obligation de payer le prix. Néanmoins, il faut relever également que la mauvaise santé du fournisseur est susceptible d’avoir des effets négatifs non négligeables sur le contrat de fourniture et donc sur l’acheteur, notamment en cas de procédures collectives. A la différence du consommateur commandant à distance, l’acheteur professionnel ne paye en pratique ses fournitures qu’après la livraison des produits commandés, de sorte qu’il s’expose pas au risque de n’être jamais livré de produits pourtant réglés, et de devoir rejoindre, pour se faire rembourser, les rangs des créanciers chirographaires dans le cadre de la liquidation judiciaire du fournisseur. En signant un contrat avec son fournisseur, l’acheteur obtient, en principe, la certitude d’être approvisionné régulièrement et dans une certaine quantité, et organise son activité en fonction de cet approvisionnement. Or, dans la grande majorité des hypothèses, le fournisseur dépend lui-même de fournisseurs pour obtenir la livraison, selon le cas, des produits finis ou des pièces détachées ou matières premières lui permettant de fabriquer ces produits. Si le fournisseur perd la confiance de ses propres fournisseurs en raison de sa mauvaise santé financière, il n’est plus en mesure d’approvisionner l’acheteur, dont l’activité se trouve, de ce fait, désorganisée.
Cette désorganisation est bien entendu plus forte lorsque le fournisseur subissant des difficultés est l’un des principaux fournisseurs de l’acheteur. Le risque est encore aggravé lorsque l’acheteur a lui-même l’obligation d’approvisionner des tiers. C’est notamment le cas des centrales d’achats qui ont l’obligation d’approvisionner leurs affiliés. N’étant plus en mesure de respecter leurs engagements, ils risquent de voir leur responsabilité engagée par leurs clients, et ne pourront que difficilement se retourner contre leur fournisseur, si une procédure collective est ouverte à l’encontre de ce dernier.
TDM : Pourquoi est il important d’être attentif aux conditions générales de vente ?
FLS : Si la loi ne fait pas obligation aux vendeurs professionnels d’établir des CGV (elle ne fait obligation au vendeur que de communiquer ses CGV à tout acheteur qui en ferait la demande – art. L.441-6 al 9 C. com.), en pratique tous les fournisseurs ont des CGV.
Il est usuel de prévoir dans les CGV qu’elles prévalent sur les conditions générales de l’Acheteur ou que ces dernières sont exclues. Si les parties le souhaitent, il peut être défini, en sus des CGV, des conditions particulières de vente (CPV). Rédigées par le fournisseur, les CGV lui sont naturellement très favorables. Certaines clauses peuvent créer un déséquilibre important entre les droits et obligations des parties, qui était difficile sanctionnable avant la LME (le droit de la consommation ne s’applique pas, notamment la législation protectrice sur les clauses abusives). Depuis la LME, est sanctionnable le fait de « soumettre ou de tenter de soumettre un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties » (L.442-6, 2° code de commerce).
La signature du contrat de fourniture fait en principe présumer la connaissance du contenu des CGV lorsque le contrat y fait référence. En conséquence :
- un acheteur qui n’a exprimé aucune réserve lorsqu’il a consenti à la vente, ne peut ensuite se soustraire à l’application d’un document contractuel qu’il a signé, au motif qu’il ne l’aurait ni lu ni approuvé ;
- lorsqu’un document signé fait références à des conditions générales, ces dernières sont opposables à l’acceptant signataire qui est présumé en avoir pris connaissance (= présomption simple : un document peut être déclaré inopposable au signataire en raison de sa présentation matérielle : clauses peu apparentes (JP pas applicable entre pro), illisibles, incompréhensibles).
Les CGV sont le plus souvent incluses dans des documents non revêtus de la signature des parties. Leur application est en principe subordonnée à une double connaissance : l’acheteur doit savoir qu’elles font partie de la vente et il doit avoir été mis à même d’en prendre effectivement connaissance, ce qui implique leur accessibilité. Toutefois dans les rapports entre professionnels, la JP va parfois jusqu’à présumer la connaissance des conditions générales, en se fondant exclusivement sur la qualité de professionnel de l’acceptant.
Pour ce qui concerne les clauses restreignant ou écartant la garantie contre les vices cachés : elles sont nulles à moins que le vendeur soit un professionnel et que l’acheteur soit de la même spécialité que le vendeur. Pour ce qui concerne les clauses aménageant la garantie (la garantie contractuelle) : Fréquente dans les CGV, le fournisseur limite sa garantie aux modalités de remise en état ou de remplacement de la chose (défaut de conformité, avarie) et fixe le délai durant lequel il est possible à l’acheteur de le demander. Pour ce qui concerne les clauses limitatives ou élusives de responsabilité du vendeur, elles sont en principe valables entre professionnels, sauf faute lourde ou dolosive du vendeur. Pour ce qui concerne les clauses relatives aux conditions financières, le fournisseur dispose d’une marge de manœuvre limitée depuis la loi LME du 4 août 2008 (la LME a fixé un plafond légal : 45 jours fin de mois ou 60 jours à compter de la date d’émission de la facture ; Délai supplétif : 30 jours suivant date de réception des marchandises ou d’exécution de la prestation de services ; Conclusion d’accord dérogatoire interprofessionnel possible mais sous certaines conditions). Pour ce qui concerne les clauses relatives aux sanctions des incidents de paiement, les sanctions habituellement prévues sont les suivantes : le vendeur se réserve le droit de suspendre tout ou partie des commandes en cours et/ou de refuser toute nouvelle commande ; exigibilité de toutes les créances contractuelles du Vendeur à l’égard de l’acheteur (déchéance du terme) ; paiement de pénalités de retard : les parties ne peuvent fixer un taux inférieur à 3 fois le taux de l’intérêt légal (contre 1,5 fois avant Loi LME) ; la loi prévoit (art. L.441-6 du C. com) que les pénalités de retard sont exigibles sans qu’un rappel soit nécessaire ; nature juridique des pénalités : sanctions légales ou pénalités contractuelles ? La Cour de cassation vient de se prononcer (Cass. com., 3 mars 2009, pourvoi n° 07-16.517) : « les pénalités de retard pour non paiement des factures sont dues de plein droit, sans rappel et sans avoir à être indiquées dans les CGV »).
TDM : Pourquoi faut-il prévoir des clauses spécifiques en cas de non livraison ou de produits non conformes telle une clause de force majeure ? Quelles sont les autres clauses envisageables ?
FLS : En premier lieu, en cas de défaut de livraison, l’acheteur peut subir des préjudices importants.
Or, le contrat peut prévoir :
- ainsi que vous l’évoquez, une clause écartant la responsabilité du vendeur et lui permet d’annuler la commande en cas de force majeure : or, si c’est le droit commun qui s’applique, lorsque le cas de force majeure est temporaire, le contrat est suspendu pendant toute la durée du cas de FM mais son exécution doit reprendre une fois le cas de force majeure disparue ;
- une clause écartant la responsabilité du vendeur et lui permet d’annuler la commande en cas de retard prévisible dans la livraison des matières premières ou tout autre motif empêchant la livraison ;
- une clause écartant ou limitant la responsabilité du vendeur, sans condition : l’acheteur ne sera donc pas indemnisé ou pas intégralement indemnisé de ses préjudices, ainsi qu’on l’a précédemment évoqué.
En second lieu, lorsque les produits livrés ne sont pas conformes à ceux commandés, il faut veiller aux aménagements contractuels éventuels auxquels le vendeur aura procédé. Souvent le vendeur aménage sa garantie :
- il peut être prévu que la réception sans réserve des produits le délie de toute responsabilité en cas de vices apparents, défaut de conformité et manquants;
- une procédure peut fixer les délais dans lesquels l’acheteur doit faire sa réclamation (souvent délais très courts à compter de la réception des marchandises).
TDM : Pourquoi faut-il bien définir à qui revient la propriété intellectuelle du produit en cas de codéveloppement ?
FLS :Précisons tout d’abord qu’il existe différents types de droits de propriété intellectuelle susceptibles de naître du fait de la création d’un produit : brevet, droit auteur, dessins et modèles, marques, tout dépend du produit concerné ; ces droits ne sont pas forcément exclusifs les uns des autres et peuvent concerner un même produit lequel par exemple en raison des innovations qu’il comporte pourra être breveté, en raison de sa forme pourra faire l’objet d’un modèle, d’une marque tridimensionelle, etc. Cet enchevêtrement de droits sur un même produit se rencontre fréquemment. La valeur immatérielle attachée à un produit est, bien souvent, supérieure à sa valeur matérielle, aussi la question de la propriété intellectuelle est essentielle au regard des enjeux financiers qu’elle draine. Chaque DPI renferme des prérogatives particulières mais ils ont pour point commun de conférer un monopole d’exploitation ce qui justifie l’attention particulière qu’il faut porter à ces questions surtout lorsque le produit est porteur d’innovations car sont alors en jeu des questions telles que : la marge de liberté pour la commercialisation, la fabrication et l’accomplissement des autres actes ayant motivé l’achat, la prévention contre l’usurpation par l’un des droits de l’autre.
Le degré de collaboration entre l’acheteur et son fournisseur peut être plus ou moins élevé :
- l’intervention du fournisseur peut être cantonnée à la reproduction et la fabrication du produit sur les instructions du client, ie l’acheteur, qui a mis au point le produit et pourra avoir déposé un brevet ; dans ce cas il est bon d’indiquer expressément qu’aucune transmission au bénéfice du fournisseur n’a été autorisée au risque sinon, de voir ce dernier reproduire le produit et le vendre à des tiers;
- l’intervention du fournisseur peut être plus poussée c’est l’hypothèse dans laquelle le fournisseur va, en collaboration avec l’acheteur, développer un produit nouveau ou perfectionner un produit existant.
Les conséquences de cette synergie d’action sur la question des DPI doit être prévue notamment :
- la question du dépôt de brevet, modèle, marque, conjointement ou uniquement par l’une des parties;
- la cession des droits nés au profit du fournisseur du fait de son intervention au bénéfice de l’acheteur et la rémunération à ce titre ;
- les conditions d’utilisation et la liberté pour l’acheteur de reproduire, fabriquer et commercialiser ce produit ;
- la question des perfectionnements apportés à l’invention pourra également être traitée lorsqu’il s’agit d’un brevet.