Cass. com., 17 mars 2015, pourvoi n°13-24.853
Le franchiseur n’est pas tenu de fournir au candidat à la franchise un chiffre d’affaires prévisionnel ; si le franchiseur communique néanmoins des comptes prévisionnels au franchisé, il doit être vigilant dans leur établissement, les juridictions étant toujours plus exigeantes et sévères vis-à-vis du franchiseur lorsqu’elles constatent l’échec du franchisé dans le projet de franchise.
La décision commentée donne l’occasion de revenir sur les conditions dans lesquelles la responsabilité d’un franchiseur peut être condamnée à raison de la transmission de comptes prévisionnels (voir sur la question, F.-L. Simon, Théorie et Pratique du droit de la Franchise, §§.183-191).
Dans cette affaire, un franchisé est placé en liquidation judiciaire peu de temps après la conclusion du contrat de franchise. Le liquidateur judiciaire, agissant ès qualités, demande la nullité du contrat de franchise et la condamnation solidaire du franchiseur et du fournisseur au paiement de dommages et intérêts, en invoquant, notamment, l’insuffisance de l’information précontractuelle fournie au franchisé.
Condamné en appel, c’est en vain que le franchiseur fait grief à l’arrêt d’annuler le contrat de franchise pour vice du consentement et de le condamner à payer des dommages-intérêts au liquidateur judiciaire, ès qualités.
Après avoir relevé que la Cour d’appel avait violé les articles 1110 et 1382 du Code civil en concluant à la nullité du contrat de franchise pour manquement du franchiseur à son obligation d’information précontractuelle en matière de prévisionnels, la Cour de cassation rejette pourtant le pourvoi.
Cette décision est pour le moins paradoxale et en tous les cas, extrêmement sévère envers les franchiseurs.
En effet la Cour de cassation relève tout d’abord que le franchiseur avait remis au franchisé des observations sur l’environnement du projet de franchise en cause et avait émis des réserves auprès de ce dernier, l’invitant notamment à prendre en compte la concurrence des enseignes – spécialisées ou non – sur sa zone, de renforcer la signalétique autour du magasin pour pallier son manque de visibilité, de tenir compte du risque représenté par la création d’une zone commerciale voisine (en Belgique).
Elle reconnait ensuite que le franchiseur n’est pas tenu de fournir au candidat à la franchise un chiffre d’affaires prévisionnel, et que s’il lui communique néanmoins, il ne lui appartient pas de déterminer l’ensemble des charges que le franchisé serait susceptible d’assumer (niveau de la masse salariale et des investissements en l’espèce). La Haute juridiction ajoute que le franchiseur n’est pas non plus tenu de fournir un chiffre d’affaires prévisionnel pour le cas où le franchisé débuterait l’exploitation à une autre date que celle initialement prévue.
La Haute juridiction souligne également que le franchiseur n’est pas tenu de retracer l’historique de ses franchisés et les conditions dans lesquelles ils ont rejoint le réseau et exploitent leur commerce.
La Cour de cassation confirme pourtant la décision de la Cour d’appel en ce qu’elle a annulé le contrat de franchise en raison du vice du consentement provoqué par les manquements du franchiseur à son obligation d’information précontractuelle.
Elle estime que le franchiseur, en l’espèce chargé d’une étude portant sur la viabilité et la rentabilité du projet de franchise, avait réalisé une étude dépourvue de caractère sérieux et fourni au futur franchisé des éléments trompeurs lui laissant escompter des résultats bénéficiaires. Elle relève que la société franchisée, contre laquelle aucune faute de gestion n’était démontrée, avait été contrainte de déposer son bilan quelques mois seulement après le démarrage de son activité, son chiffre d’affaires n’ayant jamais dépassé 30 % du chiffre d’affaires prévisionnel.
Selon les juges, le franchiseur s’est gravement trompé lors de l’établissement des comptes prévisionnels et énumèrent à cet effet les différents points ayant fondé leur décision au cas d’espèce :
- le franchiseur n’aurait pas dû prendre pour base les chiffres d’affaires des autres magasins franchisés existants. Leurs données ne sont pas comparables dans la mesure où le franchisé ne disposait pas de l’expérience personnelle dans ce type d’activité et qui, contrairement aux entités existantes du réseau, ne reprenait pas un fonds de commerce ayant eu une activité similaire mais créait un nouveau fonds et s’installait dans une galerie marchande, elle-même en cours de création ;
- le déficit d’analyse pertinente du chiffre d’affaires a été aggravé par un manque de rigueur du franchiseur dans l’analyse des charges prévisibles auxquelles le franchisé allait devoir faire face (niveau de la masse salariale et des investissements, retard dans l’ouverture du magasin, versement d’une somme au profit du bailleur du centre commercial etc.) ;
- les circonstances invoquées par le franchiseur pour expliquer le déficit de la société franchisée, tels le retard dans l’ouverture du magasin ou le paiement d’un droit d’entrée au profit du bailleur du centre commercial, sont des éléments qui auraient dû être pris en compte dans un prévisionnel sérieux.
En raison de l’erreur d’analyse initiale du franchiseur, le franchisé s’est déterminé sur la base d’informations erronées et trompeuses et d’un prévisionnel non sérieux. Son consentement a été vicié, justifiant ainsi pour la Cour de cassation l’annulation du contrat de franchise.