Tribunal de l’Union européenne, 9 sept. 2011, affaire n° T-12-06
Les instances françaises et communautaires de la concurrence ont instauré des procédures de clémence, permettant aux participants à une pratique anticoncurrentielle qui la dénoncent aux autorités de concurrence, de bénéficier d’une immunité totale ou partielle.
Les autorités de concurrence entendent favoriser le recours à ces procédures, avec pour objectif de renforcer le sentiment d’insécurité des participants aux ententes. En effet, les ententes se trouvent fragilisées dès lors que l’un de ses membres peut à tout moment être tenté de s’en ouvrir à l’autorité de la concurrence concernée, afin d’éviter ou de limiter l’amende infligée, laquelle peut parfois porter sur plusieurs dizaines ou centaines de millions d’euros (en particulier s’agissant des ententes d’ampleur communautaire).
Néanmoins, un arrêt rendu par le Tribunal (de l’Union européenne) le 9 septembre dernier pourrait freiner l’ardeur des entreprises désireuses de recourir à la procédure de clémence. En effet, une entreprise ayant été la première à dénoncer un cartel à la Commission européenne en vue d’obtenir une immunité de sanction, s’est pourtant vue refuser cette immunité à l’issue de la procédure, et condamnée à une amende de 30 millions d’euros.
En réalité, cette décision constitue l’occasion pour le Tribunal de rappeler les conditions nécessaires à l’octroi de l’immunité et, en particulier, de souligner le fait que le comportement adopté par l’entreprise dénonciatrice pourra impacter cette demande d’immunité.
En l’espèce, l’entreprise qui avait formulé la demande d’immunité, et à laquelle la Commission avait confirmé qu’elle pourrait en principe en bénéficier, était tenue – en application des accords conclus avec la Commission – de maintenir secrète l’existence de sa demande d’immunité. Le caractère confidentiel de la demande devait ainsi permettre à la Commission européenne de procéder à ses investigations, sans que les autres parties à l’entente soient informées de celles-ci, et ne fassent disparaître les documents et contenus compromettants avant l’arrivée des enquêteurs de la Commission européenne dans les entreprises.
En dépit de cet engagement, l’entreprise, par l’intermédiaire de son dirigeant, avait fait part de l’existence de sa demande d’immunité à d’autres parties à l’entente à l’occasion d’une réunion d’une association professionnelle à laquelle elle participait. Les deux entreprises informées avaient alors immédiatement formulé des demandes de clémence auprès de la Commission européenne.
En raison de la violation des conditions nécessaires à l’octroi de l’immunité, et eu égard au fait que la divulgation de l’existence de la procédure de clémence est intervenue avant la réalisation des opérations de visites et saisies au sein des entreprises informées par l’entreprise en cause, la Commission européenne a informé cette dernière de son intention de ne pas lui accorder l’immunité d’amendes.
En considération de la place prépondérante qu’occupait l’entreprise sur le marché, de la nécessité de prévoir une amende dissuasive pour cette entreprise qui appartenait à puissant groupe multinational, et de la durée importante de l’infraction, le montant de base de l’amende avait été fixé à 60 millions d’euros.
Si le non-respect des conditions nécessaires à l’octroi d’une immunité totale ne permettait pas à l’entreprise en cause d’être exonérée de toute sanction, la Commission européenne a néanmoins pris en compte la coopération dont elle avait fait preuve pour réduire de moitié le montant de l’amende. En effet, la Commission a pris en compte le fait que l’entreprise avait contribué « de façon substantielle » à son enquête, et avait continué pendant toute la procédure, à l’exception des faits justifiant le refus de l’immunité totale.
En substance, le Tribunal confirme la décision de la Commission. Il conteste le caractère inévitable de la divulgation avancé par l’entreprise pour sa défense. Il considère également que l’entreprise a failli à son obligation de coopération totale permanente et rapide en divulguant aux autres parties à l’entente l’existence de sa demande d’immunité. Il relève à cet égard que la Commission européenne n’a pas été informée de ce fait, ni avant la divulgation, ni dans un court délai après cet évènement : ces éléments auraient, semble-t-il, pu permettre de préserver l’immunité de sanction.