Droit communautaire et droit interne
Les clauses obligeant l’une des parties à ne pas exercer une activité concurrente de celle de son cocontractant pendant la durée du contrat de distribution ne prêtent généralement pas à discussion. Leur valadité est par principe incontestable. Voici une analyse de ces clauses au regard des règles issues du droit communautaire et du droit interne.
1. Les clauses obligeant l’une des parties à ne pas exercer une activité concurrente de celle de son cocontractant pendant la durée du contrat ne prêtent généralement pas à discussion. Ces clauses sont le plus souvent valables, de sorte que, d’une part, les plaideurs n’en invoquent jamais – ou presque – la nullité et que, d’autre part, les décisions rendues en la matière n’évoquent que rarement la question de leur validité (CA Caen, 6 mars 2008, RG n° 06/2994 (répertorié Légifrance) : ne faisant aucune critique quant à la validité d’une clause de non-concurrence s’imposant à un affilié pendant toute la durée de son contrat). La portée de cette question est importante puisqu’elle concerne indistinctement tous les contrats de distribution, tels que notamment le contrat de franchise, de commission-affiliation, d’affiliation, de partenariat, de licence de marque, etc. Pour plus de clarté, il convient de distinguer les règles issues du droit communautaire (A) et celles du droit interne (B).
A. Droit communautaire
1. Applicabilité
2. A l’appui de sa demande de nullité de la clause de non-concurrence, le franchisé invoque parfois, selon la date des faits objets du litige, le règlement communautaire CEE n°4087/88 du 30 novembre 1988 relatif à l’application de l’article 85-3 du traité à des catégories d’accords de franchise (JOCE législation n° L.359, pp. 46-52 du 28 déc. 1988) et/ou le règlement CE) nº2790/1999 de la Commission, du 22 déc. 1999, concernant l’application de l’article 81, paragraphe 3, du traité à des catégories d’accords verticaux et de pratiques concertées (JOCE législation n°L.336 du 29 déc. 1999, pp. 21–25).
Ces textes constituent des règlements d’exemption à l’interdiction des ententes anticoncurrentielles prévue par l’article 81 du Traité CE. Leur applicabilité implique donc que l’entente litigieuse entre dans le champ d’application de l’article 81 du Traité, c’est-à-dire qu’elle soit « susceptible (…) d’affecter le commerce entre Etats membres » et ait « pour objet ou pour effet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l’intérieur du marché commun ».
3. De jurisprudence constante, c’est à la partie qui invoque ce texte de démontrer qu’il s’applique, c’est-à-dire de prouver que la clause considérée est susceptible d’affecter le commerce entre Etats membres ou qu’elle a pour objet (ou pour effet) d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l’intérieur du marché commun.
2. Mécanisme
4. L’exemption des clauses de non-concurrence post-contractuelles ne peut être interprétée a contrario, c’est-à-dire comme valant interdiction des engagements de non-concurrence applicables pendant l’exécution du contrat.
En effet, en application du règlement d’exemption de 1999, le principe est précisément l’exemption des clauses des accords verticaux, catégorie d’accords à laquelle appartient le contrat de franchise, de l’interdiction des pratiques anticoncurrentielles imposée par l’article 81 du Traité CE. Dans les contrats visés par le règlement, les clauses non exemptées constituent l’exception. Ainsi, les clauses de non-concurrence post-contractuelles ne sont pas exemptées, à moins de respecter certaines conditions ; si elles respectent ces conditions, elles sortent du domaine de l’exception et se voient donc appliquer le principe de l’exemption.
5. Le règlement distingue les clauses de non-concurrence post-contractuelles des clauses de non-concurrence applicables pendant la période contractuelle. La validité des premières est soumise à des conditions strictes tenant notamment à leur limitation dans le temps et dans l’espace. Ces conditions ne sont pas exigées s’agissant des clauses de non-concurrence applicables pendant la durée du contrat.
Par ailleurs, les Lignes directrices sur les restrictions verticales, texte de la Commission servant de guide pour l’application du règlement de 1999, énoncent expressément que « l’obligation pour le franchisé de ne pas exercer, directement ou indirectement, une activité commerciale similaire » est « généralement considérée(…) comme nécessaire(…) à la protection des [droits de propriété intellectuelle] du franchiseur et (…) également couverte(…) par le règlement d’exemption par catégorie ». Les clauses interdisant les activités commerciales similaires et applicables pendant la durée du contrat de franchise sont donc présumées valables au regard du droit communautaire, alors même qu’elles ont une durée supérieure à cinq ans.
6. Rappelons enfin que les clauses de non-concurrence d’une durée supérieure à cinq ans échappent par exception à l’exemption et sont donc en principe interdites par le droit communautaire. Ce moyen n’a pas été soulevé par la partie adverse.
B. Droit interne
7. De manière générale, les obligations de non-concurrence doivent être justifiées et proportionnées à l’intérêt légitime de leur créancier. Leur caractère nécessaire et proportionnel est plus ou moins facilement reconnu selon que l’obligation est post-contractuelle ou s’applique pendant la durée du contrat, que ce soit au regard du droit des contrats (1) ou du droit de la concurrence (2).
1. Droit des contrats
8. La validité des clauses de non-concurrence applicables pendant la durée du contrat est présumée s’agissant des contrats de franchise ; par ailleurs, les conditions de limite dans le temps et dans l’espace sont alternatives en droit interne, et non cumulative.
9. Les clauses de non-concurrence applicables pendant la durée du contrat sont généralement considérées comme nécessaires à la protection du savoir-faire (le franchiseur ne pouvant transmettre celui-ci s’il risque de le voir employé hors du réseau) et des intérêts du réseau (une même personne ne pouvant agir dans l’intérêt du réseau et dans celui d’un établissement concurrent). Elles sont donc nécessaires à la protection d’un intérêt légitime.
C’est sur ce raisonnement que repose la présomption de validité des clauses de non-concurrence applicables pendant la durée du contrat ressortant des Lignes directrices sur les restrictions verticales précitées.
Les cours d’appel, saisies d’une demande d’annulation d’une clause de non-concurrence contenue dans un contrat de franchise ou de concession et applicable pendant la période contractuelle, ont considéré que cette clause était justifiée, soit par la nécessité de protéger le savoir-faire et l’image du réseau, soit en raison de l’existence d’une exclusivité territoriale.
Ainsi, s’agissant d’un contrat de franchise :
CA Rennes, 23 oct. 2007, Juris-Data n°367061 : « L’importance [du savoir-faire], et de la réussite de l’entreprise franchisée pour la réputation de l’ensemble du réseau et donc pour le franchiseur, justifie que ce dernier soit en mesure de s’assurer d’une part que le franchisé aura la disponibilité nécessaire pour s’investir entièrement dans le succès de son magasin, et d’autre part qu’il lui restera loyal et ne détournera pas le savoir-faire auquel il aura accès. Dès lors la clause de non-concurrence contestée est, pendant l’exécution du contrat, indispensable à la sauvegarde des intérêts du franchiseur, et proportionnée à cet objectif ».
Ainsi, s’agissant d’un contrat de concession :
CA Versailles, 27 nov. 2003, Juris-Data n°232156 : « considérant (…) que l’essence même du contrat de concession exclusive qui accorde au concessionnaire un monopole de revente sur un secteur géographique déterminé lui permettant, grâce à la marque concédée, d’attraire vers son entreprise une véritable clientèle, et de la conserver lui impose de s’engager réciproquement envers le concédant à ne commercialiser aucun produit concurrent de ceux faisant l’objet de la concession ; considérant, en outre, qu’une clause est nécessaire à la préservation de la clientèle ainsi qu’à la cohérence et au bon fonctionnement du réseau (…) impliquant que chacun des concessionnaires qui dispose d’un secteur géographique d’activité qui lui est réservé par une clause d’exclusivité ne puisse profiter de cette exclusivité aux fins de concurrence d’autres membres du réseau en dehors de son territoire».
CA Paris, 19 mars 1990, Juris-Data n°021205 : « Considérant que [le concédant] rappelle pertinemment que [la clause de non-concurrence] est conforme aux principes majeurs gouvernant la distribution exclusive, savoir : le respect de l’exclusivité de marque et le respect de l’équilibre du contrat par lequel le concessionnaire s’engage à consacrer toute son activité à la marque concédée tandis que [le concédant] s’engage (…) à ne pas nommer un concessionnaire dans le territoire contractuel sans l’accord préalable du concessionnaire dans le territoire contractuel sans l’accord préalable du concessionnaire en place ; que par ailleurs cette clause a pour effet d’éviter que le concessionnaire entre de manière directe ou indirecte en concurrence avec un autre concessionnaire (…) du réseau, ce dont il convient de tenir compte ; qu’ainsi l’article 4-1-1 du contrat lui prescrit-il de s’efforcer « en permanence de renforcer l’organisation commerciale [du réseau] dans son ensemble et d’adopter une attitude loyale à l’égard de ses membres ».
10. Ainsi, comme l’ont rappelé les différentes chambres de la Cour de cassation, les conditions de limite dans le temps et dans l’espace sont alternatives en droit interne (sauf dans le cadre d’un contrat de travail). La jurisprudence est fournie en la matière (Cass. civ. 1ère, 25 mai 1987, Bull. civ. I, n°161 ; Juris-Data n°0014278 ; Cass. com., 27 oct. 1981, pourvoi n°79-15.261 ; Bull. civ. IV, n°371 ; Cass. com., 18 déc. 1979, pourvoi n°78-11.393 ; Bull. civ. IV, n°340 : « la clause de non-concurrence ne doit pas, pour être valable, être limitée à la fois dans l’espace et le temps, mais comporter seulement l’une ou l’autre de ces limitations »).
Les cours d’appel ont également déclaré valables des clauses limitées à la durée du contrat et aux activités concurrentes à celles du réseau, alors même qu’elles n’étaient pas limitées dans l’espace. Ces décisions concernent tous les contrats de distribution, et sont donc applicables notamment aux concessionnaires comme aux franchisés.
S’agissant d’une clause ainsi rédigée : « Pendant toute la durée du présent contrat, le concessionnaire s’interdit expressément de commercialiser, directement ou indirectement, comme exploitant d’un fonds de commerce, gérant libre ou salarié, concessionnaire, associé, même comme associé commanditaire, dirigeant de société, directeur gérant ou représentant, etc., toute autre marque ou généralement de participer directement ou indirectement à l’exploitation d’une entreprise commercialisant les mêmes produits et services que ceux que ceux du concédant ou des produits et services concurrents », la Cour d’appel de Versailles (CA Versailles, 27 nov. 2003, Juris-Data n°232156) a ainsi pu décider : « Considérant que la validité d’une obligation de non-concurrence en matière de distribution exclusive est subordonnée à une limitation quant à la nature de l’activité interdite ainsi que quant au temps ou à l’espace et à son caractère proportionné à l’objet du contrat ou aux intérêts légitimes à protéger ; considérant que la clause de non-concurrence en cause répond à toutes ces conditions ; considérant que l’activité interdite est ainsi déterminée avec suffisamment de précision puisqu’elle est circonscrite à celle de la distribution de voyages ; considérant de même, que l’obligation de non-concurrence n’est prescrite que pendant la durée du contrat qui a été elle-même fixée à un an à compter du 02 mars 1998 renouvelable par tacite reconduction par périodes de même durée sauf faculté de résiliation par chacune des parties sous préavis de trois mois précédant chacune des échéances annuelles et ne s’avère pas excessive ».
De même, en matière de franchise, la Cour d’appel de Rennes (CA Rennes, 23 oct. 2007, Juris-Data n°367061) qui a jugé valable la clause suivante : « pendant toute la durée du contrat, le Franchisé, ou l’exploitant du magasin si le Franchisé est une personne morale, ne peut, en quelque lieu que ce soit, exercer aucune activité concurrente, directement ou indirectement ou par personne interposée, de celle exercée par le Franchiseur ou les Franchisés du réseau (…) ».
2. Droit de la concurrence
11. Certains plaideurs invoquent la nullité de la clause au regard du droit interne de la concurrence (art. L. 420-1 et suivants du code de commerce). L’article L. 420-4 du code de commerce permet d’exempter certaines pratiques contraires anticoncurrentielles de l’interdiction qui en est fait, lorsque ces pratiques ont pour effet d’assurer un progrès économique, tout comme, en droit communautaire, les règlements d’exemptions exemptent certains types de contrats de l’interdiction posée par l’article 81 du Traité CE.
Le Conseil de la concurrence s’inspire ouvertement de la politique communautaire pour déterminer les contrats et les clauses devant bénéficier de l’exemption prévue à l’article L. 420-4 du code de commerce. Le Conseil emploie expressément le règlement de 1999 et les Lignes directrices sur les restrictions verticales comme « guide d’analyse » du droit interne de la concurrence (Cons. conc., Rapport annuel 2003, Analyse de la jurisprudence, pp. 256-257). Aussi, en application des Lignes directrices sur les restrictions verticales employées comme guide d’analyse du droit interne, « l’obligation pour le franchisé de ne pas exercer, directement ou indirectement, une activité commerciale similaire » pendant la période contractuelle serait présumée valable par le Conseil de la concurrence.