Cass. com., 6 octobre 2015, pourvoi n°14-19.499
En cas de rupture des relations commerciales entre deux entités d’un même groupe et un même fournisseur, la durée du préavis ne prend en compte le chiffre d’affaires global généré par les deux sociétés auprès du fournisseur que dans l’hypothèse où ces dernières ont agi de concert.
Ce qu’il faut retenir : En cas de rupture des relations commerciales entre deux entités d’un même groupe et un même fournisseur, la durée du préavis ne prend en compte le chiffre d’affaires global généré par les deux sociétés auprès du fournisseur que dans l’hypothèse où ces dernières ont agi de concert.
Pour approfondir : Dans cette affaire, deux sociétés produisant des équipements industriels et appartenant toutes deux au même groupe se sont approvisionnées auprès d’une même société pour l’acquisition d’un même composant de leurs produits, respectivement à compter de septembre 2004 et juin 2004.
Les deux filiales ayant mis fin à leurs relations commerciales avec le fournisseur courant 2009, ce dernier les a assignées en réparation de son préjudice sur le fondement de l’article L.442-6, I, 5°, du Code de commerce pour rupture brutale d’une relation commerciale établie.
Le fournisseur a obtenu gain de cause devant les juges du fond. La Cour d’appel a en effet estimé que le fournisseur aurait dû bénéficier d’un préavis d’une durée d’un an de la part des deux sociétés. A l’appui de cette décision, la Cour a relevé :
- que les « deux sociétés ont, de façon concomitante, noué des relations commerciales avec [le fournisseur], qu’elles y ont mis fin dans des conditions identiques, respectivement en octobre et juin 2009, sans aucun préavis et qu’elles justifient de leur rupture par des motifs similaires » ;
- que « les conséquences de ces ruptures pour [le fournisseur] ont nécessairement été amplifiées dans la mesure où elles se sont cumulées et qu’il convient, pour apprécier la durée du préavis, de prendre en compte le chiffre d’affaires global généré par les [deux] sociétés, dans la mesure où elles ont entretenu une relation commerciale avec [le fournisseur], sur une même période et sur des produits identiques, avec des exigences similaires en termes quantitatifs » ;
- que « ce chiffre d’affaires ayant augmenté de manière importante au cours des années 2007 et 2008 pour atteindre 10,20 % en 2007 et 9,75 % en 2008, il en résulte qu’en termes de réorganisation, [le fournisseur] a dû, au cours d’une même période, pallier la perte de deux clients avec lesquels elle avait un chiffre d’affaires conséquent ».
Les deux sociétés faisant partie du même groupe et ayant noué des relations commerciales identiques avec le même fournisseur, la Cour a ainsi considéré qu’elles devaient être appréhendées comme une entité économique unique. En conséquence, les juges du fond ont estimé que l’appréciation de la durée du préavis doit prendre en compte non seulement la durée des relations commerciales nouées mais également le chiffre d’affaires global – c’est-à-dire généré par les deux sociétés – auprès du fournisseur. En effet, la double perte concomitante des deux filiales accroit la difficulté pour le fournisseur subissant la rupture de trouver des clients de substitution, ce qui justifie selon la Cour l’allongement de la durée du préavis dû au fournisseur.
La Cour de cassation censure cependant l’arrêt de la Cour d’appel au visa de l’article L.442-6, I, 5° du Code de commerce.
La Haute juridiction considère en effet que bien qu’appartenant à un même groupe et ayant la même activité, les deux sociétés n’en demeurent pas moins deux entités autonomes et ont entretenu avec le fournisseur des relations commerciales distinctes ; dès lors, les chiffres d’affaires qu’elles génèrent auprès d’un même fournisseur doivent s’apprécier séparément.
La Cour de cassation précise qu’il n’en aurait été autrement que si les deux filiales avaient coordonné leur comportement et avaient, selon la terminologie employée par la Haute juridiction, « agi de concert ».
L’expression employée par la Cour de cassation peut surprendre dans un litige relatif aux pratiques restrictives de concurrence ; elle n’est toutefois pas anodine.
La référence à l’action de concert renvoie directement au droit des sociétés cotées et en particulier aux dispositions de l’article L.233-10 du Code de commerce.
En la matière, lorsque des personnes sont reconnues comme agissant de concert, les fractions de capital ou de droit de vote qu’ils détiennent chacun sont appréciées globalement pour déterminer le franchissement des seuils de participation déclenchant l’obligation de déclaration à l’AMF prévue articles L.233-7 et L.233-7-1.
A rapprocher : CA Douai, 6 juillet 2009, RG n°09/00519