Franchise et clause compromissoire – TC Paris, 19 juin 2012, RG n°2010/074377

La décision commentée fait application du principe « compétence-compétence », qui conduit à une interprétation restrictive des cas d’inapplicabilité manifeste de la clause compromissoire.

La décision commentée fait application du principe « compétence-compétence », qui conduit à une interprétation restrictive des cas d’inapplicabilité manifeste de la clause compromissoire.

I. LE PRINCIPE COMPETENCE-COMPETENCE

Le Décret n°2011-48 du 13 janvier 2011 portant réforme de l’arbitrage modifie le Livre IV du code de procédure civile consacré à l’arbitrage. Les dispositions transitoires de ce Décret prévoient son entrée en vigueur le 1er mai 2011, sous réserve de dispositions spéciales réservant l’application de certains articles aux conventions d’arbitrage conclues postérieurement, aux situations dans lesquelles le Tribunal arbitral n’a pas encore été constitué à cette date ou les sentences arbitrales qui n’ont pas encore été rendues.

L’article 1458 du code de procédure civile, visé dans les premières conclusions d’incident des défenderesses, contenant le principe « compétence-compétence » dont il doit être fait application en l’espèce, est devenu l’article 1448 désormais applicable. La rédaction du nouvel article 1448 du code de procédure civile ne modifie pas les choses et le principe compétence-compétence demeure depuis l’adoption du Décret n°2011-48 du 13 janvier 2011 ; la doctrine l’a confirmé si besoin était (C. NOURISSAT, Procédures n°3, mars 2011, Etude 3 : §7 : « Le chapitre III s’intéresse à l’instance arbitrale et donne l’occasion de réaffirmer l’effet positif du principe « compétence-compétence » qui signifie que seul le tribunal arbitral a compétence pour statuer sur son propre pouvoir juridictionnel » ; B. LE BARS – JCP 2011 – Aperçu 67 : « L’effet dit négatif du principe de « compétence-compétence » est réaffirmé puisque les juridictions étatiques ne peuvent connaître du litige relevant de la convention d’arbitrage »).

L’article 1448 du code de procédure civile donne compétence prioritaire à l’arbitre pour se prononcer sur sa propre compétence : le juge doit se déclarer incompétent lorsqu’un litige relève d’une convention d’arbitrage sauf si celle-ci est manifestement nulle ou inapplicable. Le principe dit de « compétence-compétence » pose donc la règle selon laquelle il appartient à l’arbitre, et à lui seul, de statuer prioritairement sur la validité ou les limites de sa propre compétence.

La jurisprudence rappelle fermement et régulièrement ce principe essentiel, par exemple encore récemment :

–    Cass.1èreciv., 6 octobre 2010 : pourvoi n° 09-68731 rendu au visa suivant : « Vu le principe compétence-compétence selon lequel il appartient à l’arbitre de statuer, par priorité, sur sa propre compétence sauf nullité ou inapplicabilité manifeste de la clause d’arbitrage » ;
–    Cass.1èreciv., 3 février 2010 : pourvoi n° 09-12669 rendu au visa suivant : « Vu le principe compétence-compétence selon lequel il appartient à l’arbitre de statuer, par priorité, sur sa propre compétence sauf nullité ou inapplicabilité manifeste de la clause d’arbitrage » ;
–    Cass.1ère civ., 12 novembre 2009 : pourvoi n°09-10575 rendu au visa suivant : « Vu le principe compétence-compétence. Attendu qu’il  appartient à l’arbitre de statuer par priorité, sur sa propre compétence sauf nullité ou inapplicabilité manifeste de la clause d’arbitrage ».

La règle dont il doit être fait application en l’espèce est simple : en présence d’une clause d’arbitrage, l’arbitre est seul compétent pour se prononcer sur sa propre compétence et le tribunal étatique (tribunal de commerce ou autre) doit nécessairement se déclarer incompétent pour tout ce qui est en relation causale ou connexe avec l’objet de ladite clause. Ce n’est que si la clause compromissoire est « manifestement nulle » ou « manifestement inapplicable » que le tribunal de commerce est compétent.

II. INTERPRETATION RESTRICTIVE DES CAS D’INAPPLICABILITE MANIFESTE DE LA CLAUSE COMPROMISSOIRE

En droit, force est de constater que la jurisprudence interprète très restrictivement les cas d’inapplicabilité manifeste de la clause compromissoire. La Cour de cassation et la doctrine rappellent constamment que le caractère manifestement nul ou inapplicable des clauses compromissoires doit être interprété de manière très restrictive.  Ainsi, un auteur indique que : « L’inapplicabilité manifeste se constate prima facie. Elle ne suscite aucun doute tellement elle est évidente. Pour cette raison, la Cour de cassation interdit aux juges du fond de procéder à un examen substantiel et approfondi de la convention d’arbitrage (Cass.1e civ., 7 juin 2006 : Rev.arb.2006, p.945) » (E. Loquin, Juris-Classeur Procédure civile, Fasc. 1020. Arbitrage, §. 67). Un éminent auteur (Th. CLAY, note sous Cass.1èreciv., 6 octobre 2010, D.2010, p.2441: pourvoi n° 09-68731), a récemment relevé qu’en raison de cette approche restrictive, seules six décisions ont estimé que des clauses d’arbitrage étaient manifestement nulles ou inapplicables. Aussi, ainsi que l’a récemment rappelé la Cour de cassation, lorsqu’une interprétation est nécessaire, l’inapplicabilité de la clause n’est pas manifeste (Cass. 1e civ., 30 sept. 2009, pourvoi n°08-15.708 : « …l’argumentation développée par les défenderesses au contredit démontrait par elle-même qu’une interprétation de la situation juridique des différents intervenants était nécessaire, écartant ainsi le moyen retenu par le tribunal, la cour d’appel a pu en déduire que l’inapplicabilité de la clause compromissoire n’était pas manifeste »). De même, lorsqu’une action est engagée sur le fondement délictuel notamment pour rupture abusive  des relations commerciales, l’inapplicabilité de la clause n’est pas manifeste (Cass. 1ère civ. 8 juill. 2010, pourvoi n° 09-67013), pareillement pour une action en nullité d’un contrat de franchise et donc relative à la période pré-contractuelle (Cass.com., 4 juill. 2006, pourvoi n°05-17460) ou l’action en responsabilité engagée par l’ancien franchisé, le liquidateur, le dirigeant et la société holding de la société franchisée, contre le franchiseur en nullité du contrat  (Cass. 1ère civ., 3 fév. 2010, pourvoi n°09-12669).

La jurisprudence rappelle également que le fait qu’une société n’ait pas été signataire d’un contrat n’exclut aucunement que la clause compromissoire soit appliquée. En effet, il est acquis que le principe compétence-compétence s’applique notamment en cas de:

–    cession de contrat (CA Paris, 28 janv.1988, Juris-Data n°1988-020359 – Cass.1ère civ., 12 nov. 2009 : pourvoi n°09-10575, même si la cession n’est pas signifiée) ;
–    subrogation personnelle (Cass.1ère civ., 2 mai 1990, pourvoi n° 87-17.678 – Cass.com., 16 mars 2004, pourvoi n°01-12.493 ) ;
–    stipulation pour autrui (Cass.1ère civ., 11 juill. 2006, pourvoi n° 03-11.983 – Cass.1e civ., 25 juin 1991, pourvoi n°90-11.485 ) ;
–    cession Dailly (Cass.1e civ., 5 janv. 1999, pourvoi n°96-20202) ;
–    appel en garantie (Cass.1e civ., 23 janv.2007, pourvoi n°06-11.157 – Cass.1e civ., 9 juin 2010, pourvoi n°08-21377).

La jurisprudence retient, de manière générale, que le principe compétence-compétence et la clause compromissoire sont opposables à une des parties au litige quand bien même ne serait-elle pas signataire du contrat :

–    aussi, dans une espèce où il s’agissait de substitution de contractant, la Cour de cassation a affirmé que la clause compromissoire s’impose à toute partie venant aux droits de l’un des contractants   (Cass.1ère civ., 8 fév.2000, pourvoi n° 95-14.330) ; comme le relève E. LOQUIN dans son commentaire (RTD com., 2000, p.596), la cour pose ainsi le principe de l’effet de la clause d’arbitrage à toutes les parties venant aux droits de l’un des contractants.

–    par la suite, la jurisprudence a également considéré que la clause d’arbitrage n’était pas manifestement inapplicable dans une affaire où toutes les parties au litige n’étaient pas signataires du contrat. La solution a été rappelée par la Cour de cassation (Cass.com.., 11 juillet 2006, pourvoi n°03-11768). Comme le relève l’annotateur (D.2006.2052) : « lorsqu’une partie se greffe sur une relation contractuelle originaire, dont les parties sont expressément liées par une clause compromissoire, ce tiers doit être attrait en cas de litige devant le juge non pas étatique mais arbitral ». Cette solution n’est pas nouvelle et avait déjà été posée par la haute juridiction (– Cass.1e civ., 30 mars 2004, pourvoi n° 01.14311).

Cette solution se justifie notamment par la participation des parties à l’opération organisée contractuellement et comportant ladite clause compromissoire, ce que la Cour de cassation affirme dans son arrêt du 27 mars 2007 (Cass. civ., 27 mars 2007, pourvoi n°04-20.842 : « Mais attendu que l’effet de la clause d’arbitrage international s’étend aux parties directement impliquées dans l’exécution du contrat et les litiges qui peuvent en résulter »).

–    de même, la jurisprudence considère qu’en raison de la connaissance de la clause, elle est opposable à la partie qui ne l’a pas souscrite formellement. Ainsi, un arrêt (CA Versailles, 15 sept. 2005, inédit)  pose cette solution en termes parfaitement clairs : « Considérant que la clause d’arbitrage en question est opposable à la société FSV dès lors qu’elle appartenait au même groupe de sociétés que la société signataire et cédante ;  qu’en outre, une telle clause peut être invoquée à l’encontre de toutes les parties directement impliquées dans la conclusion et l’exécution du contrat, leur situation et leurs activités faisant présumer qu’elles ont eu connaissance de son existence et de sa portée bien que non signataires du contrat la stipulant […] ».

Le jugement du tribunal de commerce de PARIS du 19 juin 2012 fait application du principe compétence-compétence alors même que la société franchisé n’avait pas signé le contrat de franchise comportant la clause compromissoire.

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