CA Versailles, 16 février 2016, RG n°15/00047
Le dépôt de marque effectué en fraude des droits de tiers est sanctionné.
Ce qu’il faut retenir : Le dépôt de marque effectué en fraude des droits de tiers est sanctionné.
Pour approfondir : En matière de marque, la fraude peut conduire :
- à l’annulation du dépôt de la marque par application de l’adage fraus omnia corrumpit : cette cause de nullité est distincte de l’annulation d’une marque pour indisponibilité prévue à l’article L. 711-4 CPI. En effet, quand bien même aucun droit antérieur prévu par l’article L. 711-4 CPI ne pourrait être invoqué, le seul usage antérieur d’un signe peut, selon les circonstances, être opposé dans le cadre d’une action en annulation pour fraude (v. pr ex., CA Paris, 30 mai 2014, RG n°13/14861) ;
- au transfert de la marque frauduleusement déposée : l’article L. 712-6 CPI envisage expressément l’hypothèse de la fraude et prévoit : « Si un enregistrement a été demandé soit en fraude des droits d’un tiers, soit en violation d’une obligation légale ou conventionnelle, la personne qui estime avoir un droit sur la marque peut revendiquer sa propriété en justice. À moins que le déposant ne soit de mauvaise foi, l’action en revendication se prescrit par cinq ans à compter de la publication de la demande d’enregistrement ». (v. pr ex., Cass. com., 14 fév. 2012, pourvoi n°10-30.872).
La fraude se caractérise par : la connaissance des droits de tiers ou de l’usage qu’ils font déjà du signe en cause, l’intention de nuire consistant le plus souvent à priver autrui d’un signe qu’il exploite.
Cette affaire opposait le célèbre artiste Charles Aznavour au trésorier de l’association qu’il a créé « Aznavour pour l’Arménie » en raison du dépôt par ce dernier d’une marque identique. L’artiste sollicitait la nullité du dépôt de cette marque et l’allocation de dommages-intérêts en faisant grief au déposant d’avoir porté atteinte à ses droits antérieurs sur les marques « Aznavour » et « Charles Aznavour », d’avoir contrefait ces marques et d’avoir procédé au dépôt de la marque « Aznavour pour l’Arménie » en fraude des droits de l’association.
En défense, le déposant faisait valoir l’erreur commise par son mandataire lors du dépôt qui aurait du mentionner en qualité de déposant l’association, que cette erreur a été rapidement rectifiée en procédant au retrait de la marque un mois après et qu’aucune contrefaçon ne pouvait lui être reprochée dans la mesure où la marque n’a pas été enregistrée.
La Cour d’appel va sanctionner le déposant indélicat.
En premier lieu, les juges considèrent que la reprise à l’identique dans le dépôt de la marque du nom patronymique « AZNAVOUR » notoirement connu est de nature à porter atteinte aux droits de la personnalité de l’artiste (article L.711-4 CPI).
En deuxième lieu, les juges vont également retenir l’existence d’une contrefaçon nonobstant la bonne foi alléguée et l’absence d’usage commercial de la marque.
En troisième lieu, visant l’article L.712-6 CPI selon lequel l’enregistrement d’une marque est réputé frauduleux lorsqu’il est demandé en fraude des droits d’un tiers, les juges vont retenir l’existence d’un dépôt frauduleux. A cette fin, ils relèvent que le dépôt de la marque a été effectué plus de 25 ans après la création de l’association à une époque où les parties sont par ailleurs en conflit et qu’un contentieux a été engagé, et qu’en raison des liens étroits et anciens entretenus avec Charles Aznavour il ne pouvait ignorer l’existence de ses droits antérieurs. La fraude est ainsi caractérisée. Le fait que Charles Aznavour n’ait pas procédé au dépôt de la marque « Aznavour pour l’Arménie » et que le retrait de la demande de marque litigieuse ait été effectué suite à la réclamation formulée étant des éléments indifférents à la caractérisation de la fraude.
En conséquence, la Cour condamne le déposant indélicat au paiement de la somme de 50.000 euros à titre de dommages-intérêts.
A rapprocher : Cass. com., 2 février 2016, pourvoi n°14-24.714