Conseil d’Etat, 10 février 2016, M. et Mme C. et autres, n° 387507
Afin de justifier de son intérêt donnant qualité pour agir, le requérant exerçant un recours à l’encontre d’une autorisation d’urbanisme ne doit pas se borner à se prévaloir de sa qualité de « propriétaire voisin » mais doit préciser l’atteinte qu’il invoque.
Ce qu’il faut retenir : Afin de justifier de son intérêt donnant qualité pour agir, le requérant exerçant un recours à l’encontre d’une autorisation d’urbanisme ne doit pas se borner à se prévaloir de sa qualité de « propriétaire voisin » mais doit préciser l’atteinte qu’il invoque.
Pour approfondir : L’ordonnance n°2013-638 du 18 juillet 2013 relative au contentieux de l’urbanisme, entrée en vigueur le 19 août suivant, a introduit un nouvel article L. 600-1-2 dans le Livre VI du Code de l’urbanisme qui dispose : «Une personne autre que l’Etat, les collectivités territoriales ou leurs groupements ou une association n’est recevable à former un recours pour excès de pouvoir contre un permis de construire, de démolir ou d’aménager que si la construction, l’aménagement ou les travaux sont de nature à affecter directement les conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance du bien qu’elle détient ou occupe régulièrement ou pour lequel elle bénéficie d’une promesse de vente, de bail, ou d’un contrat préliminaire mentionné à l’article L.261-15 du Code de la construction et de l’habitation ».
Ces dispositions ont été mises en place afin de « prévenir les contestations dilatoires ou abusives, notamment en encadrant les conditions dans lesquelles le juge peut être saisi d’un recours en annulation, ou d’une demande de suspension, en particulier en exigeant des requérants un intérêt suffisamment direct à agir (…) » (Extrait du rapport au Président de la République relatif à ladite ordonnance).
Par un arrêt rendu le 10 juin 2015, le Conseil d’état était venu préciser les conditions d’application de ce nouvel article en soulignant « qu’il appartient, en particulier, à tout requérant qui saisit le juge administratif d’un recours pour excès de pouvoir tendant à l’annulation d’un permis de construire, de démolir ou d’aménager, de préciser l’atteinte qu’il invoque pour justifier d’un intérêt lui donnant qualité pour agir, en faisant état de tous éléments suffisamment précis et étayés de nature à établir que cette atteinte est susceptible d’affecter directement les conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance de son bien » (Conseil d’Etat, 10 juin 2015, Brodelle et Gino, n° 386121).
Dans l’arrêt ici commenté, le Conseil d’Etat apporte de nouveaux éléments permettant de définir ce qu’il entendait par la nécessité pour le requérant de « préciser l’atteinte qu’il invoque pour justifier d’un intérêt lui donnant qualité pour agir ».
En l’espèce, les propriétaires de biens situés à proximité immédiate du projet contesté avaient cru bon d’introduire un recours en excès de pouvoir contre le permis de construire octroyé à une société pour la réalisation d’un immeuble de dix-huit logements.
Pour rejeter le pourvoi des requérants, le Conseil d’Etat fait application des principes dégagés dans l’arrêt du 10 juin 2015 et souligne que les requérants n’ont pas apporté suffisamment d’éléments permettant de justifier une atteinte aux conditions d’utilisation ou de jouissance de leur bien.
Ainsi, sur le fondement de l’article L. 600-1-2 du Code de l’urbanisme précité, la Haute Juridiction a considéré « qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, pour justifier de leur intérêt à agir, les requérants se sont bornés à se prévaloir de leur qualité de « propriétaires de biens immobiliers voisins directs à la parcelle destinée à recevoir les constructions litigieuses » ; que, par ailleurs, les pièces qu’ils ont fournies à l’appui de leur demande établissent seulement que leurs parcelles sont mitoyennes pour l’une et en co-visibilité pour l’autre du projet litigieux ; que, le plan de situation sommaire des parcelles qu’ils ont produit ne comportait que la mention : « façade sud fortement vitrée qui créera des vues » ; qu’invités par le greffe du tribunal administratif, par une lettre du 28 août 2014, à apporter les précisions nécessaires à l’appréciation de l’atteinte directe portée par le projet litigieux à leurs conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance de leur bien, ils se sont bornés à produire, le 5 septembre suivant, la copie de leurs attestations de propriété ainsi que le plan de situation cadastral déjà fourni ».
En résumé, le simple fait d’être voisin direct de la parcelle objet de la construction ne suffit pas, en soi, à constituer un intérêt légitime donnant qualité pour agir. Il convient d’expliciter en quoi la construction litigieuse porte atteinte à ses intérêts.
En tout état de cause et comme précisé dans l’arrêt du 10 juin 2015, la charge de la preuve, visant à établir que les atteintes alléguées sont dépourvues de réalité, pèse toujours sur le défendeur (l’autorité administrative compétente ou le pétitionnaire) lorsque celui-ci souhaite contester l’intérêt donnant qualité pour agir du requérant.
A rapprocher : Conseil d’Etat, 10 juin 2015, déc. n°386121