Compétence exclusive des juridictions spécialisées en matière de pratiques restrictives de concurrence

Analyse comparée de décisions

Les dispositions de l’article L.442-6 du code de commerce conférant une compétence dérogatoire et exclusive à certaines juridictions spécialisées en matière de pratiques restrictives de concurrence sont d’ordre public ; leur non-respect constitue une fin de non-recevoir devant être relevée d’office. La compétence dérogatoire s’applique également au bénéfice de la Cour d’appel de Paris en matière de contredit de compétence. Seul le recours à la clause compromissoire peut permettre de contourner cette compétence exclusive, sous réserve que le litige entre dans le champ d’application de la clause.

Analyse comparée des décisions suivantes : Cass. com., 31 mars 2015, n°14-10.016 ; Cass. com., 20 octobre 2015, n°14-15.851 ; Cass. civ. 1ère, 21 octobre 2015, n°14-25.080

Ce qu’il faut retenir :

Les dispositions de l’article L.442-6 du code de commerce conférant une compétence dérogatoire et exclusive à certaines juridictions spécialisées en matière de pratiques restrictives de concurrence sont d’ordre public ; leur non-respect constitue une fin de non-recevoir devant être relevée d’office. La compétence dérogatoire s’applique également au bénéfice de la Cour d’appel de Paris en matière de contredit de compétence. Seul le recours à la clause compromissoire peut permettre de contourner cette compétence exclusive, sous réserve que le litige entre dans le champ d’application de la clause.

Pour approfondir :

En matière de pratiques restrictives de concurrence, la loi prévoit une règle de compétence dérogatoire au droit commun. Ainsi, l’article L.442-6, III §5 du code de commerce dispose que « les litiges relatifs à l’application du présent article sont attribués aux juridictions dont le siège et le ressort sont fixés par décret » ; l’article D.442-3 du code de commerce, dans sa rédaction issue du décret du 11 novembre 2009 (entré en vigueur depuis le 1er décembre 2009), vient préciser que : « Pour l’application de l’article L.442-6, le siège et le ressort des juridictions commerciales compétentes en métropole et dans les départements d’outre-mer sont fixés conformément au tableau de l’annexe 4-2-1 du présent livre ».

En conséquence, dès lors que l’application de l’article L.442-6 du code de commerce est invoquée par l’une des parties, la juridiction spécialisée, en application de l’annexe 4-2-1 telle qu’évoquée ci-dessus, est seule compétente pour connaître de l’entier litige.

En outre, l’article D.442-3 susvisé ajoute que « la cour d’appel compétente pour connaître des décisions rendues par ces juridictions est celle de Paris ». En conséquence, seule la Cour d’appel de Paris est compétente pour connaître des recours à l’encontre des jugements rendus sur le fondement de l’article L.442-6 du code de commerce.

Les dispositions susvisées sont d’ordre public, ce que la jurisprudence ne manque pas de rappeler à chaque opportunité qui lui est présentée. C’est ainsi que par trois arrêts rendus cette année, la Cour de cassation est venue réaffirmer le caractère impératif de la règle de compétence posée par l’article L.442-6 du code de commerce et ses textes d’application, et préciser à cette occasion la mise en œuvre et l’articulation de ces textes.

La spécialisation de juridiction : une règle procédurale impérative

Dans le premier arrêt, la Cour de cassation est saisie d’un pourvoi à l’encontre d’un arrêt rendu, sur le fondement de l’article L.442-6, I, 5° du code de commerce par une Cour d’appel autre que celle de Paris. De manière limpide, la Cour de cassation censure les juges du fond au motif qu’ils auraient dû « relever la fin de non-recevoir tirée de l’inobservation de la règle d’ordre public investissant la cour d’appel de Paris du pouvoir juridictionnel exclusif de statuer sur les appels formés contre les décisions rendues dans les litiges relatifs à l’application de l’article L.442-6 du code de commerce » et, ceci, d’office puisqu’elle vise l’article 125 du code de procédure civile, lequel dispose en son premier alinéa que « les fins de non-recevoir doivent être relevées d’office lorsqu’elles ont un caractère d’ordre public ». Ainsi, lorsqu’une Cour d’appel non spécialisée est saisie d’un recours à l’encontre d’un jugement rendu dans un litige relatif à l’application de l’article L.442-6 du code de commerce, elle doit relever d’office la fin de non-recevoir tirée de l’inobservation de la règle de compétence exclusive instaurée au bénéfice de la Cour d’appel de Paris.

Dans le deuxième arrêt, la Cour de cassation vient préciser que la règle d’ordre public instituant une compétence exclusive au profit de la Cour d’appel de Paris s’applique également en matière de contredit. En l’espèce, une partie assigne son partenaire sur le fondement de l’article L.442-6, I, 5° du code de commerce devant le Tribunal de commerce de Lille ; la partie adverse conteste la compétence de cette juridiction en raison de l’existence d’une clause attributive de compétence dans le contrat liant les parties ; le Tribunal de commerce de Lille s’est déclaré compétent pour connaître du litige ; la partie adverse a donc formé un contredit devant la Cour d’appel de Douai.

La Cour d’appel de Douai rejette le contredit, retenant que « la seule invocation de l’article L.442-6, I, 5° du code de commerce, fût-ce à titre subsidiaire, commande l’application des règles d’ordre public dérogatoires de compétence territoriale des juridictions spécialisées désignant le tribunal de commerce de Lille métropole ». Le raisonnement retenu par la Cour d’appel semble juste, la juridiction rappelant le caractère d’ordre public des règles de compétence posées par le texte.

Pourtant, la Haute juridiction censure tout de même les juges du fond. En effet, la Cour d’appel de Douai aurait dû « relever la fin de non-recevoir tirée de l’inobservation de la règle d’ordre public investissant la cour d’appel de Paris du pouvoir juridictionnel exclusif de statuer sur les contredits formés contre les décisions rendues dans les litiges relatifs à l’application de l’article L.442-6 du code de commerce ».

Ainsi la Cour de cassation affirme que la règle de compétence exclusive de la Cour d’appel de Paris prévue par les textes susmentionnés s’applique également en matière de contredit de compétence.

Une solution alternative : le recours à l’arbitrage

Le dernier arrêt apporte un éclairage intéressant sur l’articulation entre la compétence dérogatoire exclusive conférée à certaines juridictions en matière de pratiques restrictives de concurrence et l’existence d’une clause compromissoire stipulée par les parties dans le contrat les liant.

Dans cet arrêt, les parties ont introduit une procédure d’arbitrage conformément à la clause compromissoire stipulée au contrat conclu entre elles ; la partie ayant succombé dans cette procédure a alors formé un recours en annulation à l’encontre de la sentence qui l’a condamnée ; la Cour d’appel a rejeté le recours.

La Cour de cassation rejette le pourvoi et énonce dans son attendu de principe qu’« après avoir rappelé que les articles L.442-6 et D.442-3 du code de commerce ont pour objet d’adapter les compétences et les procédures judiciaires à la technicité du contentieux des pratiques restrictives de concurrence, et que la circonstance que le premier de ces textes confie au ministre chargé de l’économie et au ministère public une action autonome aux fins de protection du marché et de la concurrence n’a pas pour effet d’exclure le recours à l’arbitrage pour trancher les litiges nés, entre opérateurs économiques de l’application de l’article L.442-6, la cour d’appel en a justement déduit que l’action aux fins d’indemnisation du préjudice prétendument résulté de la rupture de relations commerciales n’était pas de celles dont la connaissance est réservée aux juridictions étatiques ». La Haute juridiction ajoute qu’« ayant relevé que la généralité des termes de la clause compromissoire traduisait la volonté des parties de soumettre à l’arbitrage tous les litiges découlant du contrat sans s’arrêter à la qualification contractuelle ou délictuelle de l’action engagée, la cour d’appel en a souverainement déduit que le tribunal arbitral était compétent ».

Ainsi, la compétence dérogatoire exclusive posée par les textes au bénéfice de certaines juridictions spécialisées n’exclut pas d’office le recours à l’arbitrage en matière de pratiques restrictives de concurrence. Les parties pourront mettre en œuvre la clause compromissoire et recourir à la procédure arbitrale qu’elle prévoit, sous réserve que le litige découlant du contrat entre dans le champ d’application de la clause.

A rapprocher : Cass. com., 7 octobre 2014, n°13-21.086 ; Cass. com., 4 novembre 2014, n°13-16.755 ; Cass. civ. 1ère, 28 juillet 2010, n°09-67.013


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