CA Paris, 15 juin 2016, RG n°13/16638
Le manquement à l’obligation d’information précontractuelle par la tête de réseau ne saurait constituer un dol par réticence susceptible d’entraîner la nullité du contrat de franchise qu’à condition de démontrer le caractère intentionnel du manquement, le caractère déterminant de ce dernier et le vice du consentement du cocontractant en ayant découlé.
Ce qu’il faut retenir : Le manquement à l’obligation d’information précontractuelle par la tête de réseau ne saurait constituer un dol par réticence susceptible d’entraîner la nullité du contrat de franchise qu’à condition de démontrer le caractère intentionnel du manquement, le caractère déterminant de ce dernier et le vice du consentement du cocontractant en ayant découlé.
Pour approfondir : Une tête de réseau a conclu, deux contrats de franchise avec deux sociétés distinctes, créées et gérées par la même personne physique, respectivement en 2004 et en 2006. Le 19 juin 2009, chacun des deux contrats de franchise ont ensuite été renouvelés entre les parties.
Dans cette affaire, les deux sociétés franchisées et leur dirigeant commun ont demandé la nullité des contrats de franchise de 2006 et 2009, estimant que leur consentement avait été vicié en raison de prétendus manquements du franchiseur à son obligation d’information précontractuelle prévue à l’article L.330-3 du Code de commerce.
Au terme d’une analyse circonstanciée, la Cour d’appel déboute les franchisés de toutes leurs demandes relatives à la nullité des contrats de franchise ; plus précisément, la Cour a considéré :
1/ Concernant le contrat de 2006 : la Cour d’appel rappelle, d’une part, que le dol par rétention d’information ne peut être constitué que si un manquement à une obligation précontractuelle d’information présente un caractère intentionnel, et a été déterminant dans le consentement de la partie qui soutient avoir été victime de dol et, d’autre part, que le manquement à l’obligation d’information précontractuelle n’entraîne la nullité du contrat de franchise que s’il a eu pour effet de vicier le consentement du franchisé. En l’espèce, pour débouter les franchisés de leur demande de nullité, la Cour retient que :
- l’échec du précédent master-franchisé n’a pas été dissimulé puisqu’il est expliqué par le DIP ;
- la jeunesse de la société franchiseur en France lors de la signature du contrat de franchise y était aussi précisée ;
- le gérant de la société franchisée bénéficiait d’une longue expérience comme directeur de société puis comme gérant franchisé d’une autre enseigne, qui lui permettait d’apprécier parfaitement les risques pris et les perspectives offertes au moment de la signature du contrat de franchise ;
- le franchiseur étant concessionnaire en France des franchises de l’enseigne et autorisé à accorder des franchises en France et en Europe, de sorte que les pertes de l’une de ses filiales – qui ne disposait pas du pouvoir de conclure des franchises – ne concernaient pas la société franchisée, avec laquelle elle n’était pas en relation ;
- les comptes des exercices 2004 et 2005 de la société franchiseur précédant la signature du contrat de franchise en 2006 étaient joints au DIP, conformément à l’article R.330-1 du code de commerce ;
- la liste des franchisés jointe au DIP permettait à la société franchisée et à son gérant de prendre leur attache, et de se renseigner sur le fonctionnement de la franchise ;
- le fait que la société franchiseur n’était plus « master-franchisé » en décembre 2006 lors de la signature du contrat de franchise mais « sous-master franchisé » n’était pas de nature à inquiéter la société franchisée sur l’orientation du réseau, alors que son gérant en faisait déjà partie depuis 2004 ;
- l’absence de l’étude de potentiel, qui devait être réalisée par un prestataire extérieur, ne saurait caractériser le dol pour défaut d’information, la société franchisée ne pouvant soutenir avoir été trompée par ce manquement alors que son gérant était franchisé du réseau depuis 2004, la Cour relevant de surcroit la grande proximité géographique entre les deux points de vente ;
- le franchisé est un commerçant indépendant sur lequel repose le devoir de se renseigner et de procéder lui-même aux vérifications, notamment en interrogeant les autres points de vente ;
- lors de la signature du contrat en 2006, il revenait à son gérant – qui était déjà franchisé depuis 2004 – d’établir des comptes de prévision en intégrant les informations qu’il devait, en professionnel avisé et au vu de sa connaissance de la franchise, recueillir afin d’analyser la fiabilité et la rentabilité économique de son projet ;
- le DIP fourni à la seconde société en 2006 contenait des développements relatifs au montant des dépenses et investissements spécifiques à réaliser avant le début de l’exploitation.
Au regard de ce qui précède, la Cour a conclu que le franchisé « n’a pas démontré une absence de sincérité ou une tromperie intentionnelle de la part de la société [franchiseur], commise afin de provoquer une erreur de [la société franchisée] déterminante de son consentement, révélatrice d’un dol dans le cadre de l’information précontractuelle transmise avant la conclusion du contrat du 16 décembre 2006 ».
En outre, s’agissant du grief de l’erreur, le franchisé soutient que son consentement a été donné par erreur, ou avoir commis une erreur sur les qualités substantielles du contrat de franchise et avoir été trompé sur l’espérance de gain liée à la conclusion du contrat de franchise. La Cour rejette également la demande de nullité du franchisé fondée sur l’erreur, aux motifs que :
- le gérant de la société franchisée était déjà franchisé du réseau depuis 2004 et bénéficiait, lors de la signature du contrat de 2006, d’une importante expérience antérieure de franchisé ;
- il avait donc la connaissance du réseau de franchise, de son fonctionnement et notamment des marges effectuées par le franchiseur sur les matières premières ;
- la réalisation des résultats escomptés est dépendante de facteurs inhérents à l’exploitation et à la gestion de la société par son dirigeant, qui est responsable du fonctionnement de la société ainsi que des décisions dont dépend la réalisation du chiffre d’affaires et des bénéfices.
En l’espèce, la Cour a relevé que le rapport d’intervention réalisé dans les locaux exploité sous l’enseigne relève notamment un défaut de visibilité du commerce, des problèmes d’hygiène et de propreté, ainsi que des problèmes relevant de la gestion du personnel (retards, absences), un repreneur potentiel ayant également témoigné de ce manque de tenue.
2/ Concernant les contrats de 2009 : la Cour d’appel de Paris a considéré que le dol ne peut être déduit du seul constat de la non-remise par le franchiseur d’un DIP préalablement à la conclusion des contrats de franchise renouvelés ; il incombe au franchisé de démontrer que ce défaut d’information a eu pour effet de vicier son comportement.
En l’espèce, pour conclure que la non-transmission du DIP lors du renouvellement des contrats de franchise n’est pas de nature à avoir vicié le consentement des franchisés, la Cour relève que :
- les sociétés cocontractantes étaient déjà franchisées lors de la conclusion des contrats de renouvellement, depuis respectivement 5 ans et 2 ans et demi ;
- elles connaissaient donc la franchise, son réseau et son mode de fonctionnement, ainsi que le marché local ;
- leur gérant depuis l’origine bénéficiait aussi d’une grande expérience préalable de franchisé et de dirigeant de société, de sorte qu’il avait une connaissance certaine de l’enseigne, de la logique même de fonctionnement d’une franchise et de la gestion d’une société franchisée.
A rapprocher : article L.330-3 du Code de commerce