L’Autorité de la concurrence s’intéresse aux données !

Dans un avis commun rendu public le 10 mai 2016, l’Autorité de concurrence fédérale allemande (« Bundeskartellamt ») et l’Autorité française de la concurrence ont donné une première grille de lecture de l’impact et des comportements anticoncurrentiels liés à la détention de données numériques.

Dans un avis commun rendu public le 10 mai 2016, l’Autorité de concurrence fédérale allemande (« Bundeskartellamt ») et l’Autorité française de la concurrence ont donné une première grille de lecture de l’impact et des comportements anticoncurrentiels liés à la détention de données numériques.

Cet avis tente d’appréhender les nouveau modèle économique issus de la révolution « Big Data », qui a vu naître de nouveaux produits/services fondés en partie sur la collecte massive de données, y compris personnelles.

À sa lecture, l’on comprend que le droit de la concurrence peut constituer une arme pouvant être utilisée par les entreprises pour fonder une demande d’accès à certaines données, si celle-ci confère à leur détenteur un pouvoir de marché.

Retour sur une contribution essentielle au confluent du droit de la concurrence et du droit des nouvelles technologies.

 

1. Les données : une source de pouvoir de marché

La révolution numérique (ou « transformation digitale ») de l’économie créé un lien de proximité, voire de connexité, de plus en plus important entre les marchés.

Cette révolution/transformation fait voler en éclats les frontières entre certains marchés : l’apparition d’objets connectés comme, par exemple, les drones permettant l’acquisition de données/image topographique, les montres et bracelets connectés ainsi que les balise de géolocalisation, concourent tous à faire converger l’univers online (en ligne) et l’univers offline (physique).

La détention de grandes quantités de données permet aux entreprises :

  • de mieux connaître leur écosystème en détectant d’éventuelles nouvelles tendances ;
  • de piloter la stratégie, notamment en réduisant leur zone de risque ;
  • d’optimiser la gestion de la ressource interne et externe, et de bénéficier ainsi d’un véritable avantage sur leurs concurrents ;
  • de se lancer sur un nouveau marché, plus facilement qu’une autre entreprise qui détiendrait moins de données : ainsi, il est facile d’imaginer l’avantage concurrentiel que détiendrait une entreprise comme Google pour se lancer sur le marché de la voiture connectée, avec les immenses quantités de données qu’elle détient (notamment données de géolocalisation), par rapport à un constructeur traditionnel d’automobiles qui ne détiendrait pas de telles données.

En cela, les données confèrent à celui qui les détient un pouvoir de marché de plus en plus évident.

Si cette problématique est classique – et déjà traitée par la pratique décisionnelle – concernant l’analyse de la situation de concurrence sur un même marché, l’approche est encore inédite pour apprécier l’avantage concurrentiel que de telles données peuvent conférer à un opérateur sur un marché connexe au sien.

 

2. Les comportements anticoncurrentiels liés aux données

L’économie du Big Data, amenant de nombreuses entreprises à détenir de grandes quantités de données, peut contribuer à générer des comportements anticoncurrentiels liés aux données.

2.1. Fusion et acquisition

Pour obtenir un meilleur accès aux données, une entreprise peut avoir pour stratégie d’acquérir d’autres entreprises possédant de vastes bases de données. Ainsi, dans l’affaire « Facebook/WhatsApp » (3 octobre 2014, COMP/M.7217), la Commission européenne a autorisé l’opération de rapprochement, en considérant que les données additionnelles auxquelles cette opération donnait accès à Facebook laissait subsister, sur le marché, un grand nombre de données utilisateurs qui ne seront pas sous le contrôle exclusif de Facebook. En revanche, dans l’affaire « Thomson Corporation/Reuters Group » (19 février 2008, M. 4726), la Commission européenne a subordonné son autorisation de l’opération de fusion au respect d’une série d’engagements, parmi lesquels celui, pour les deux entités, de mettre une copie de leur base de données à la disposition des autres opérateurs du marché qui leur en feraient la demande.

2.2. Les pratiques d’éviction

a. Les comportements unilatéraux

Dans une célèbre affaire « Cegedim/Euris » (14-D-06 du 8 juillet 2014), l’Autorité de la concurrence a condamné la société Cegedim à une amende de 5 767 000 €, pour abus de position dominante caractérisé par le refus de vendre sa base de données aux seuls utilisateurs du logiciel commercialisé par la société Euris. Cette décision a été confirmée par la cour d’appel de Paris (24 septembre 2015, RG 2014/175 86).

b. Les pratiques concertées

Dans une décision (13-D-20) du 17 décembre 2013, l’Autorité de la concurrence a condamné EDF à une amende de 13,5 millions d’euros pour avoir favorisé, de manière abusive, sa filiale active sur le marché émergeant du solaire photovoltaïque, notamment en lui donnant un accès à son fichier client constitué à l’occasion de son ancien monopole (20 millions de noms/adresses, régulièrement mises à jour), en considérant que, pour les autres acteurs de ce marché émergeant, de telles données n’étaient pas, de par leur volume et leur qualité, reproductibles.

•••

Cet aperçu rapide, tiré en partie de l’avis du 10 mai 2016, montre à quel point la révolution numérique bouleverse l’économie, mais aussi le droit. L’Autorité de la concurrence signale ici qu’elle sera attentive aux comportements d’acteurs dominant les technologies Big data. Il s’agit d’une opportunité permettant aux entreprises accusant un retard numérique, de disposer d’un nouveau levier pour obtenir l’accès à des données numériques nécessaires à leur développement.

Sommaire

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