Le contentieux civil des actions indemnitaires en matière de pratiques anticoncurrentielles

Ordonnance n°2017-303 du 9 mars 2017 relative aux actions en dommages et intérêts du fait des pratiques anticoncurrentielles

Le droit des pratiques anticoncurrentielles s’articule autour de deux modes opérationnels : d’un côté, le « public enforcement », mis en œuvre par la Commission européenne et les autorités nationales de concurrence, et, de l’autre, le « private enforcement », dont la compétence relève des juridictions civiles et administratives.

Ce qu’il faut retenir : Le droit des pratiques anticoncurrentielles s’articule autour de deux modes opérationnels : d’un côté, le « public enforcement », mis en œuvre par la Commission européenne et les autorités nationales de concurrence, et, de l’autre, le « private enforcement », dont la compétence relève des juridictions civiles et administratives. Leurs places respectives, inégales depuis l’origine, s’équilibrent grâce à une tendance nouvelle visant à favoriser les actions civiles à l’initiative des personnes privées. C’est donc dans ce contexte, et après un long processus, qu’a été élaborée la directive n°2014/104/UE du 26 novembre 2014 du Parlement européen et du Conseil (la « Directive »), transposée par les dispositions de l’ordonnance du 9 mars 2017 relative aux actions en dommages et intérêts du fait des pratiques anticoncurrentielles (l’ « Ordonnance ») et du décret n°2017-305, sous l’éclairage de la circulaire de présentation du 23 mars 2017 (la « Circulaire »). Ces nouvelles dispositions créent des mécanismes facilitant les recours indemnitaires des victimes.
 

Pour approfondir : Originairement, la mise en œuvre du droit des pratiques anticoncurrentielles était principalement l’affaire de la sphère publique. Toutefois, sous l’influence de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne prônant le droit à la réparation intégrale de toute partie victime d’une pratique anticoncurrentielle (CJCE, 20 sept. 2001, Courage et Crehan, aff. C-453/99 ; CJCE, 13 juill. 2006, Manfredi, aff. C-295/04 à C-298/04 ; CJUE, 14 juin 2011, Pfeiderer, aff. C-360/09), une nouvelle tendance favorable aux actions civiles s’est développée. D’abord envisagée dans un livre vert de la Commission européenne en 2005, cette volonté s’est finalement illustrée par l’élaboration de la directive 2014/104/UE du 26 novembre 2014 et l’encouragement des autorités de concurrence concernant les actions à l’initiative des personnes privées.

L’ordonnance n°2017-303 du 9 mars 2017 relative aux actions en dommages et intérêts du fait des pratiques anticoncurrentielles transpose les dispositions de la Directive, tout en préservant l’objectif d’efficacité des procédures devant les autorités compétentes en droit de la concurrence. Aux côtés des fonctions répressives et dissuasives du public enforcement, est consacrée une fonction « compensatoire » en faveur des victimes de telles pratiques anticoncurrentielles.

Désormais, il existe donc un cadre juridique plus abouti concernant la réparation des dommages causés aux personnes du fait de pratiques anticoncurrentielles.

L’Ordonnance crée, au sein du livre IV du Code de commerce, un titre VIII qui insère plusieurs dispositions nouvelles concernant la divulgation d’éléments susceptibles de constituer des preuves pour les victimes à l’appui de leur action et la protection de la transmission de ces éléments, la création de présomptions allégeant la charge de la preuve (souvent difficile à établir pour les victimes), des nouveaux mécanismes de coopération entre les juridictions et les autorités de concurrence, des aménagements vis-à-vis de la solidarité légale et enfin des mesures favorisant les règlements consensuels des litiges.

 

I. Champ d’application de l’Ordonnance

 

  • Champ d’application ratione materiae

L’article L. 481-1 du Code de commerce prévoit que le nouveau titre VIII du livre IV de ce même code est applicable à toute action en justice ayant pour objectif l’octroi d’une indemnisation en raison de la commission d’une ou de plusieurs infractions prévues :

Droit de l’Union : aux articles 101 (ententes) et 102 (abus de position dominante) du Traité sur le Fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) ;

Droit national : aux articles L. 420-1 (ententes), L. 420-2 al. 1er (abus de position dominante), L. 420-2 al. 2ème (abus de dépendance économique), L. 420-2-1 (interdiction des droits exclusifs d’importation en Outre-Mer), L.420-2-2 (pratiques relatives aux  transports collectifs de voyageurs) et L. 420-5 du Code de commerce (prohibition des offres de prix ou pratiques de prix abusivement bas).

 

  • Champ d’application ratione personae

Auteur de la pratique. Est considérée comme auteure d’une pratique anticoncurrentielle toute entreprise ou association d’entreprises ayant commis une infraction au droit de la concurrence. Toutefois, en raison de l’absence de personnalité morale reconnue à une entreprise, le nouvel article L. 481-1 du Code de commerce précise que les personnes physiques ou morales formant une entreprise peuvent être sanctionnées et, le cas échéant, condamnées à payer des dommages et intérêts à la victime. Le juge caractérisera alors la faute imputable à chaque personne physique ou morale formant l’entreprise, en vue de la condamner à payer des dommages et intérêts ;

Victime. Est considérée comme victime au sens de la Directive toute personne – physique ou morale – ayant subi un préjudice causé par une infraction au droit de la concurrence et sollicitant son droit à réparation. Il peut s’agir indifféremment d’un consommateur, d’entreprises ou d’autorités publiques, l’existence d’une relation contractuelle directe avec l’entreprise auteure de l’infraction étant indifférente (Considérant 13 de la Directive).

 

  • Champ d’application ratione temporis

Application de la loi dans le temps. Publiée le 10 mars 2017, l’Ordonnance est entrée en vigueur le 11 mars 2017. Les dispositions des articles L. 462-3, L. 483-1 à L. 483-4, L. 483-6, L. 483-7 et L. 483-9 du Code de commerce ainsi que des quatre premiers alinéas des articles L. 483-5 et L. 483-8 de ce même code (communication et production des pièces) et, d’autre part, de l’article L. 775-2 du Code de justice administrative (contentieux indemnitaire relevant de la juridiction administrative), issues de l’Ordonnance, sont immédiatement applicables au lendemain de l ‘entrée en vigueur de l’Ordonnance aux instances introduites devant les juridictions administratives et judiciaires à compter du 26 décembre 2014 (Article 12.I de l’Ordonnance).

S’agissant des autres dispositions, c’est le droit commun de l’application de la loi dans le temps qui s’applique, selon lequel « La loi ne dispose que pour l’avenir ; elle n’a point d’effet rétroactif. » (Article 2 du Code civil). Ainsi, pour ces nouvelles dispositions issues de l’Ordonnance, elles régissent les créances de réparation nées d’un fait générateur survenu postérieurement à leur entrée en vigueur.

Délai d’action et délai de prescription. L’article L. 482-1 du Code de commerce prévoit un délai de prescription quinquennal, lequel commence à courir à compter du jour où le demandeur a connu, ou aurait dû connaitre, de façon cumulative :

  • les actes constitutifs de l’infraction ;
  • le dommage en résultant ;
  • l’identité de l’un des auteurs de la pratique.

Dans l’hypothèse où il s’agirait d’une infraction continue, le délai de prescription ne court pas tant que la pratique n’a pas cessé. Enfin, concernant les victimes du bénéficiaire d’une exonération totale de sanction, la procédure ne court pas tant qu’elles n’ont pas été en mesure d’agir à l’encontre des autres auteurs de la pratique anticoncurrentielle.

De plus, la prescription est interrompue, non plus uniquement en cas d’ouverture d’une procédure devant l’Autorité de la concurrence, mais plus généralement dans l’hypothèse de tout acte tendant à la recherche, à la constatation ou à la sanction de pratiques anticoncurrentielles par l’Autorité de la concurrence (art. L. 462-7 c.com modifié par l’Ordonnance). Ces dispositions s’appliquent uniquement lorsque le délai de prescription n’était pas expiré à leur date d’entrée vigueur, en tenant compte du délai déjà écoulé.

 

II. Les nouveautés introduites par l’Ordonnance transposant la Directive visant à faciliter les recours indemnitaires des victimes

Une fois défini le champ d’application des dispositions issues de l’Ordonnance, il convient de s’intéresser aux nouveautés introduites facilitant les recours indemnitaires des victimes.

 

  • La divulgation d’informations susceptibles de constituer des preuves à l’appui d’un recours indemnitaire

Dans le cadre des actions indemnitaires en réparation de pratiques anticoncurrentielles, l’obtention des preuves est un enjeu majeur et pourtant une étape difficile pour les victimes. C’est la raison pour laquelle il est nécessaire que les autorités de concurrence et les juridictions civiles interagissent. Il est désormais possible pour un demandeur à une action en réparation devant le juge civil de solliciter que lui soit communiqué un certain nombre de pièces, en vue de consolider les chances de son action. Au sein du Chapitre III « De la communication et de la production des pièces » du Code de commerce (Livre IV, Titre VIII), inséré par l’Ordonnance, se trouve désormais les dispositions applicables à la communication de pièces en vue d’une action en dommages et intérêts (art. L. 483-1 à L. 483-11 c.com.).

Toutefois, pour répondre à une telle demande et avant toute sollicitation auprès de l’Autorité de la concurrence, le juge en apprécie la justification et la nécessité et met en balance les intérêts des parties. En effet, cette production de preuves ne doit pas se faire en méconnaissance de l’efficacité des procédures relevant de la sphère publique, ni au mépris total du secret des affaires et de la confidentialité de certaines informations.

Ainsi, concernant les pièces protégées par le secret des affaires, l’article L. 483-2 du Code de commerce prévoit des mesures visant à garantir la confidentialité des informations transmises : débats hors la présence du public, limitation de la communication à certains éléments, restriction de l’accès aux pièces, etc.

S’agissant des pièces détenues par une autorité de concurrence, plusieurs règles s’imposent, selon la catégorie à laquelle appartient la pièce dont il est demandé communication (liste noire ou liste grise).

Liste noire : pièces bénéficiant d’une protection définitive et absolue. Il s’agit de preuves obtenues lors de déclarations de clémence ou/et de propositions de transaction des auteurs de pratiques anticoncurrentielles, ou tout document détenu ou établi par l’Autorité de la concurrence qui retranscrit l’exposé du demandeur de clémence (procès-verbaux de l’Autorité de la concurrence matérialisant la demande, avis de clémence, rapport établi par les services d’instruction… peu important la forme de ces pièces, dès lors qu’elles retranscrivent de telles demandes), étant donné qu’il comporte une auto-incrimination de la part de l’entreprise (article L. 483-5 du Code de commerce et article 6 al. 6 de la Directive). La production d’une telle preuve lors d’une action en réparation sera sanctionnée par l’irrecevabilité de la preuve. De telles pièces ne seront donc jamais admissibles.

Liste grise : pièces bénéficiant d’une protection temporaire. Il s’agit de pièces émanant des organismes/entreprises parties à la procédure devant l’Autorité de la concurrence ou de tiers y intervenant aux fins d’une enquête/instruction menée par l’Autorité de la concurrence, d’informations établies par l’Autorité et envoyées aux parties en cours de procédure, ou tout document établi lors d’une procédure de transaction. Cette protection a lieu tant qu’une procédure est pendante devant l’Autorité de la concurrence (article L. 483-8 du Code de commerce). La production d’une telle preuve lors d’une action en réparation alors que la procédure devant l’Autorité de la concurrence ne serait pas close sera sanctionnée par son irrecevabilité.

Concernant les autres pièces, provenant du dossier de l’Autorité de la concurrence mais ne relevant ni de la liste noire ni de la liste grise, leur production peut être ordonnée à tout moment, puisqu’elles ne bénéficient d’aucune protection particulière.

Il est prévu une amende civile (et la possibilité d’une astreinte – art. 10 du Code civil, article 134, 139 du Code de procédure civile), pour toute obstruction dans la transmission de preuves, leur destruction ou à l’inverse pour la divulgation d’informations protégées par la confidentialité (article R. 483-14 du Code de commerce).

L’Autorité de la concurrence peut, de sa propre initiative, donner un avis sur la proportionnalité de la production des preuves en question (article R.483-12 du Code de commerce). Enfin, le juge doit toujours procéder à un contrôle de proportionnalité et vérifier que la communication de cette pièce est nécessaire et ne peut raisonnablement être produite par une des parties ou un tiers.

La production de preuves détenues par une autorité étrangère de concurrence (règlement CE n° 1206/2001 du Conseil du 28 mai 2001) ou par la Commission européenne (§1 art. 15 du règlement 1/2003 du Conseil du 12 décembre 2002) à l’occasion d’une procédure peut également avoir lieu sous certaines conditions.

Ce système permet, d’une part, de sauvegarder l’attrait des procédures prévues par le public enforcement (clémence et transaction), l’anonymat des demandes étant préservé, tout en facilitant, d’autre part, le recours en réparation des victimes du fait d’une plus grande accessibilité à des preuves susceptibles d’appuyer leur action.

 

  • La création de présomptions légales allégeant la charge de la preuve

Transposant fidèlement la Directive, l’Ordonnance insère plusieurs présomptions facilitant le recours aux actions indemnitaires des victimes.
 

  • Effet des décisions nationales (article 9 de la Directive – article L. 481-2 du Code de commerce)
     
    • Valeur de preuve irréfragable attachée aux décisions définitives de l’Autorité de la concurrence constatant une infraction au droit de la concurrence.

Une infraction au droit de la concurrence constatée par une décision définitive de l’Autorité de concurrence permet, lors d’une action en dommages et intérêts devant la juridiction civile, que l’infraction soit établie de manière irréfragable (article L. 481-2 du Code de commerce).

Cette pratique favorise davantage le recours aux actions dites « follow-on » (actions indemnitaires faisant suite à une action devant l’Autorité de la concurrence) qu’aux actions directes « stand-alone », lesquelles sont certes plus rapides mais dont la charge de la preuve est inéluctablement bien moins aisée.

    • Valeur de preuve prima facie attachée aux décisions définitives d’autorités étrangères de concurrence

Lorsqu’une autorité de concurrence d’un autre Etat membre rend une décision définitive constatant une infraction, celle-ci constitue un moyen de preuve de la commission de cette pratique et doit pouvoir à ce titre être examinée avec les autres éléments de preuve apportés par les parties (C. com., L. 481-2 al. 2).
 

  • Répercussion des surcoûts et droit à réparation intégrale (article 12 de la Directive – L. 481-4 et L. 481-5 du Code de commerce)

La répercussion des surcoûts consiste pour l’acheteur direct de l’auteur d’une pratique anticoncurrentielle, à répercuter lui-même les coûts sur les produits vendus à ses propres clients/acheteurs (est entendu comme « acheteur direct » une personne physique ou morale qui a acheté directement auprès de l’auteur de l’infraction des produits ou services ayant fait l’objet d’une infraction au droit de la concurrence).

Dès lors, l’acheteur direct, s’étant en quelque sorte fait « justice à lui-même », ne serait pas recevable à intenter une action en réparation, qui n’a pour seul but que de remettre les parties dans l’état dans lequel elles se trouvaient avant l’existence d’une telle pratique.

Ce moyen de défense (« passing on defence »), avancé par les auteurs de pratiques anticoncurrentielles pour échapper à l’indemnisation des demandeurs qui auraient répercuté de tels surcoûts, se justifie par le fait que cette réparation serait alors assimilable à un enrichissement sans cause. Néanmoins, il reviendra au défendeur de prouver l’existence d’une telle répercussion puisque l’article L. 481-1 du Code de commerce insère désormais une présomption de non-répercussion des surcoûts par l’acheteur direct.

Concernant l’acheteur indirect (personne physique ou morale qui a acheté, non pas directement auprès de l’auteur de l’infraction, mais auprès d’un acheteur direct ou d’un acheteur ultérieur, des produits ou services ayant fait l’objet d’une infraction au droit de la concurrence, ou des produits ou services les contenant ou dérivés de ces derniers), qui prétendrait, du fait de la qualité d’intermédiaire de l’acheteur direct entre l’auteur de l’infraction et lui-même, avoir été victime de répercussion de coûts, il reviendra à ce dernier, à l’occasion d’une action indemnitaire, de rapporter la preuve d’une telle répercussion.

Néanmoins, l’alinéa 2 de l’article L. 481-5 du Code de commerce allège la charge de cette preuve, puisque l’acheteur indirect est réputé avoir apporté la preuve de cette répercussion lorsqu’il justifie que le défendeur est l’auteur d’une pratique anticoncurrentielle ; les surcoûts ont été répercutés sur le cocontractant direct de l’auteur ; l’acheteur indirect a effectivement acheté les biens et/ou services concernés.
 

  • Présomption du lien de causalité entre la constatation d’une entente et le préjudice subi (art. 17 de la Directive – L.481-7 c.com.)

L’article L.481-7 du Code de commerce créé par l’Ordonnance dispose qu’« il est présumé jusqu’à preuve contraire qu’une entente entre concurrents cause un préjudice ». Or, on sait aussi que, désormais, la décision définitive de l’Autorité de la concurrence constatant la commission d’une infraction aux règles de concurrence est une preuve irréfragable devant la juridiction civile de la commission de cette infraction.

Dès lors, si le fait générateur (la pratique) est présumé de manière irréfragable ou, selon le cas, de façon prima facie, en raison d’une décision définitive de l’autorité de concurrence (nationale ou étrangère), tel sera aussi le cas du lien de causalité, à charge pour le défendeur d’en rapporter la preuve contraire. Cette présomption n’a toutefois vocation à s’appliquer que dans le cas des ententes, tel qu’il en ressort de la rédaction de l’article L. 481-7 du Code de commerce. La victime devra donc rapporter la preuve d’un dommage, lequel peut prendre diverses formes : la perte subie résultant de surcoûts (différence entre le prix payé et celui qui l’aurait été en l’absence d’une telle infraction), la minoration résultant d’un prix plus bas que lui a payé l’auteur de l’infraction, le gain manqué (éviction d’un marché), la perte de chance, le préjudice moral (article L. 481-3 du Code de commerce).

Cette présomption, bien qu’elle puisse être renversée, facilite particulièrement l’action de la victime, tant la démonstration d’un tel lien de causalité peut être malaisée en raison du caractère secret de telles pratiques, quand celui-ci n’est pas remis en cause par l’argument selon lequel le préjudice de la victime résulterait uniquement de la fluctuation du marché…

 

  • Nouveaux mécanismes de coopération entre les juridictions et les autorités de concurrence

Si l’Autorité de la concurrence peut donner son avis sur l’opportunité de la communication d’une preuve (article R. 483-12 du Code de commerce), elle peut surtout être sollicitée par la juridiction civile quant à l’évaluation du quantum du préjudice subi par la victime.

En effet, face à la complexité pour les victimes de quantifier leur préjudice, la Directive répond à un impératif majeur d’effectivité, afin que cette difficulté ne rende pas impossible l’exercice du droit à réparation.

A ce titre, l’article 17 de la Directive introduit la possibilité pour une juridiction nationale, dans le cadre d’une procédure relative à une action en dommages et intérêts, de se faire aider par l’autorité nationale de concurrence (art. 17 §3 de la Directive; article R. 481-1 du Code de commerce).

Cette disposition peut toutefois pousser à s’interroger sur l’indépendance des juridictions nationales (pouvoir législatif) vis-à-vis de l’Autorité de la concurrence (pouvoir exécutif). De plus, l’Autorité sanctionne un préjudice causé à l’économie, or d’autres paramètres entrent en compte lors de l’appréciation du préjudice causé à une victime.

 

  • Aménagements concernant la solidarité légale

Les entreprises et organismes reconnus coupables d’une infraction aux règles de concurrence sont solidairement responsables dans l’allocation de dommages et intérêts à la victime de telles pratiques.

Dès lors, chacune de ces entreprises est tenue d’indemniser le préjudice dans son intégralité et la victime est en droit d’exiger la réparation intégrale à chacune d’entre elles (article 11 de la Directive – article L. 481-9 du Code de commerce.). Des exceptions sont toutefois à prévoir :

  • lorsque l’auteur appartient à la catégorie des petites et moyennes entreprises (PME), il ne sera tenu qu’à l’égard de ses propres acheteurs directs ou indirects, dans la mesure où sa part de marché sur le marché concerné est inférieure à 5% ou bien lorsque la viabilité économique de l’entreprise serait mise en cause du fait de l’application des règles classiques de la responsabilité solidaire, à moins toutefois que l’entreprise soit en état de récidive, ou qu’elle ait été l’instigatrice de l’infraction en cause. Cette mesure, qui introduit une limitation de responsabilité, semble privilégier la pérennité de l’entreprise au mépris du principe classique de la réparation intégrale ;
  • lorsque l’auteur est bénéficiaire d’une immunité, il ne sera responsable du préjudice causé qu’à l’égard de ses acheteurs et fournisseurs directs ou indirects. Néanmoins, l’auteur sera également responsable vis-à-vis des autres parties lésées dans l’hypothèse où ces dernières ne seraient pas parvenues à obtenir réparation auprès des autres entreprises impliquées.

 

  • Mesures favorisant les règlements consensuels des litiges

Enfin, l’alinéa 3 de l’article L. 464-2 du Code de commerce prévoit désormais que dans l’hypothèse où une entreprise auteure d’une infraction aux règles de concurrence verserait à la victime en cours de procédure devant l’Autorité de la concurrence une indemnité due en exécution d’une transaction au sens de l’article 2044 du Code civil, le montant de sa sanction pécuniaire sera réduit.

Cette mesure vise à encourager le recours aux procédures de transaction, probablement en raison de la longueur parfois excessive des procédures initiées par les victimes (v. l’affaire « Lectiel Orange » CA Paris, 27 mai 2015 n° 14/14758), notamment lorsqu’elles le sont sous la forme d’actions « follow-on », impliquant d’attendre que soit rendue une décision définitive de l’Autorité de la concurrence.
 

A rapprocher : Directive n° 2014/104/UE du 26 novembre 2014 du Parlement européen et du Conseil ; Ordonnance n° 2017-303 du 9 mars 2017 relative aux actions en dommages et intérêts du fait des pratiques anticoncurrentielles ; Décret n°2017-305 relatif aux actions en dommages et intérêts du fait des pratiques anticoncurrentielles ; Circulaire de présentation des dispositions de l’ordonnance n° 2017-303 du 9 mars 2017, du 23 mars 2017 ; Livre Vert de la Commission européenne – Actions en dommages et intérêts pour infraction aux règles communautaires sur les ententes et les abus de position dominante

Sommaire

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