Cass. civ. 1ère, 20 avril 2017, n°16-11.413
Le défaut de contestation de la compétence du tribunal de commerce saisi caractérise une renonciation irrévocable des parties au bénéfice de la clause compromissoire prévue dans les contrats qui les liaient…
Ce qu’il faut retenir : Le défaut de contestation de la compétence du tribunal de commerce saisi caractérise une renonciation irrévocable des parties au bénéfice de la clause compromissoire prévue dans les contrats qui les liaient ; les parties ne peuvent pas davantage invoquer, pour un autre contrat, issu de la même opération économique, le bénéfice de la clause compromissoire en l’absence d’une telle clause dans ce contrat.
Pour approfondir : Dans cette affaire, une société X a conclu avec la société Y un contrat de franchise et deux contrats de location-gérance. En parallèle, la société X a conclu avec la société Z un contrat d’approvisionnement. Si les contrats de franchise et d’approvisionnement contenaient chacun une clause compromissoire, les contrats de location-gérance en étaient dépourvus. Par suite, ignorant ladite clause compromissoire, les sociétés Y et Z ont assigné la société X en paiement de diverses sommes devant le tribunal de commerce.
La société X a quant à elle attrait la société Y en nullité du contrat de location-gérance et en paiement, ce devant la même juridiction ; en réponse, la société Y a soulevé l’incompétence du juge consulaire saisi au profit du tribunal arbitral en raison de l’existence d’une clause compromissoire dans le contrat de franchise. Les deux instances ont été jointes.
La Cour d’appel saisie de ce litige a débouté les sociétés Y et Z de leurs demandes d’incompétence et a retenu la compétence du tribunal de commerce, lesquelles ont en conséquence formé le pourvoi objet de la présente affaire.
A l’appui de leur recours, les sociétés Y et Z soutiennent que l’action en paiement qu’elles ont préalablement engagée devant le tribunal de commerce ne valait pas renonciation à la clause compromissoire stipulée dans les contrats de franchise et d’approvisionnement. En effet, selon elles, une telle renonciation ne pourrait résulter que d’une volonté expresse et dénuée de toute ambiguïté des parties, ce qui n’était pas le cas en l’espèce dès lors que « le recouvrement de simples créances commerciales n’impliquait pas la mise en œuvre [des] clauses [compromissoires prévues aux contrats de franchise et d’approvisionnement] ».
Elles se fondent pour cela sur l’article 1448 du Code de procédure civile, lequel prévoit en effet que « lorsqu’un litige relevant d’une convention d’arbitrage est porté devant une juridiction de l’Etat, celle-ci se déclare incompétente sauf si le tribunal arbitral n’est pas encore saisi et si la convention d’arbitrage est manifestement nulle ou manifestement inapplicable ». Les sociétés Y et Z soutiennent en outre que les contrats de franchise, de location-gérance et d’approvisionnement forment un ensemble contractuel indivisible ; elles en déduisent que la clause compromissoire, insérée dans le contrat de franchise et le contrat d’approvisionnement, pourrait donc être étendue au contrat de location-gérance de sorte que le juge consulaire saisi devrait se déclarer incompétent, au profit du tribunal arbitral.
La Cour de cassation rejette le pourvoi des sociétés X et Y et valide le raisonnement de la Cour d’appel, aux motifs que : « Mais attendu que l’arrêt constate que, nonobstant la présence des clauses compromissoires dans les contrats de franchise et d’approvisionnement visant notamment les litiges liés à leur exécution, les [sociétés Y et Z] ont assigné la société X devant la juridiction consulaire dont elle n’a pas soulevé l’incompétence ; qu’après avoir retenu l’existence d’une renonciation irrévocable des parties à l’arbitrage dans les contrats de franchise et d’approvisionnement et ajouté que, l’incompétence de la juridiction étatique au profit du tribunal arbitral opposée par les [sociétés Y et Z] à l’action exercée par la société X étant sans effet sur cette renonciation, la clause ne pouvait être invoquée pour soumettre à l’arbitrage le contrat de location-gérance, dépourvu de toute clause compromissoire, la Cour d’appel, hors toute dénaturation, en a exactement déduit que la clause d’arbitrage invoquée était manifestement inapplicable ».
La Cour de cassation a considéré que l’action en paiement engagée par les sociétés Y et Z devant le tribunal de commerce et l’absence de contestation de cette compétence par la société X – qui a elle-même attrait les sociétés Y et Z devant la même juridiction consulaire – caractérisaient une renonciation irrévocable des parties au bénéfice de la clause compromissoire prévue dans les contrats de franchise et d’approvisionnement.
La Cour relève qu’il est indifférent que les sociétés Y et Z aient, postérieurement, soulevé une exception de compétence dans le cadre de l’action en nullité initiée par la société X, car les sociétés Y et Z avaient déjà préalablement renoncé au bénéfice de la clause compromissoire et au recours à l’arbitrage.
Elle en déduit que la clause compromissoire est donc manifestement inapplicable au sens de l’article 1448 du Code de procédure civile.
Concernant plus spécifiquement le contrat de location-gérance, la Cour de cassation rappelle, d’une part, que la renonciation des parties au bénéfice de la clause compromissoire prévue dans les contrats de franchise et d’approvisionnement étant irrévocable, la clause ne pouvait être étendue au contrat de location-gérance ; d’autre part, la Cour ajoute que le contrat de location-gérance ne stipulant lui-même aucune clause compromissoire, la compétence du tribunal arbitral ne pourrait être retenue pour le litige y afférent. Au regard de ce qui précède, la Haute juridiction a, sur le fondement de l’article 1448 du Code de procédure civile, écarté la compétence du tribunal arbitral. Il est à relever que le refus de la Cour de cassation d’étendre la clause compromissoire au contrat de location-gérance est dû à la fois à l’absence de clause compromissoire prévue dans le contrat de location-gérance, mais aussi, et surtout, à la renonciation irrévocable des parties de bénéficier de celle stipulée au contrat de franchise et d’approvisionnement.
La Cour de cassation laisse en effet une ouverture possible qui tend à nous faire penser que, dans l’hypothèse où les parties n’avaient pas renoncé à l’arbitrage et où l’existence d’un ensemble de contrats indivisibles formé par le contrat de franchise, d’approvisionnement et de location-gérance avait pu être caractérisé, il eut été envisageable de soumettre le contrat de location-gérance à la compétence du tribunal arbitral, en dépit de l’absence de clause compromissoire spécifique dans ce contrat.
A rapprocher : Article 1448 du Code de procédure civile