Interview de Me François-Luc Simon – 15 mai 2017
L’article 64 de la loi Travail et le décret n°2017-773 du 4 mai 2017 créent une instance de dialogue social dans les réseaux de franchise. François-Luc Simon, auteur d’une analyse détaillée de ces textes, publiée aux « Petites Affiches » les 11 et 12 juillet 2017, répond pour l’heure à quelques questions d’ordre général et dénonce les failles de ce dispositif.
LDR : L’article 64 de la loi Travail et le décret n°2017-773 du 4 mai 2017 visent-ils d’autres forment de réseaux de distribution que les « réseaux de franchise » ?
FLS : Non. Tout est très clair sur ce point. Le champ d’application de la loi et du décret du 4 mai 2017 est limité aux seuls réseaux d’exploitants liés par un « contrat de franchise ». Ces textes ne s’appliquent donc qu’aux réseaux de franchise. Cette solution ressort nettement tant des textes eux-mêmes que des travaux parlementaires. Ce fût par ailleurs l’un des griefs formulés devant le Conseil constitutionnel. Il existe – certes – quelques nuances, examinées dans l’analyse détaillée que nous évoquerons plus loin.
Par ailleurs, n’oublions pas que le juge tient de l’article 12, alinéa 2 du Code de procédure civile la faculté de restituer au contrat son exacte qualification, sans s’arrêter à la dénomination que les parties en auraient proposée. Le juge peut donc qualifier de « contrat de franchise » un contrat que les parties auraient autrement dénommé ; et, inversement, il peut requalifier le « contrat de franchise » en un contrat d’une autre nature ; dans ce dernier cas, le dispositif institué par l’article 64 et le décret n°2017-773 du 4 mai 2017 ne s’appliquerait évidemment pas.
LDR : L’article 64 de la loi Travail et le décret n°2017-773 du 4 mai 2017 comportent-il des incohérences, des imprécisions et/ou des lacunes ?
FLS : Oui, et elles sont nombreuses, à tel point que les acteurs de la franchise risquent de se confronter à un contentieux qu’une rédaction plus adaptée des textes aurait permis d’éviter. J’évoquerai six incohérences, imprécisions et lacunes, parmi tant d’autres.
Plusieurs incohérences doivent être relevées ; donnons ici deux exemples.
Je songe tout d’abord à l’article 9, III, alinéa 2 du décret, selon lequel « lorsque le franchiseur ne sollicite pas la constitution d’un groupe de négociation », le tribunal d’instance est saisi par voie de déclaration au greffe, laquelle est « recevable dans un délai de deux mois suivant la date de notification de la demande prévue à l’article 1er ». Il y a là une véritable incohérence : le délai et le point de départ du délai ainsi visés à l’article 9, III, alinéa 2 du décret sont parfaitement identiques à ceux par ailleurs prévus à l’article 2, I du même décret, selon lequel le franchiseur peut solliciter les organisations syndicales de salariés et l’ensemble des employeurs des entreprises du réseau « dans un délai de deux mois suivant la date de notification de la demande de l’organisation syndicale mentionnée à l’article 1er ». Autrement dit, selon ces textes, il ne serait donc pas possible de saisir le tribunal d’instance, à raison de l’absence de sollicitation du groupe de négociation, au-delà du jour où cette sollicitation peut elle-même être accomplie, ce qui n’a évidemment aucun sens. Le décret devra être modifié sur ce point.
Je songe ensuite à l’information relative à l’état du réseau communiquée aux salariés des franchisés par application de l’article 64, I, 8ème alinéa de la loi Travail qui, à certains égards, est tout à la fois plus précise, plus large et plus régulière que celle communiquée par le franchiseur aux franchisés conformément à l’article R. 330-1-5° précité. Cette disposition n’a visiblement pas été réfléchie en vue de respecter une certaine cohérence. Cela est tout aussi regrettable que révélateur.
Plusieurs imprécisions doivent encore être relevées ; donnons à nouveau deux exemples.
Je songe tout d’abord à l’article 64 de la loi Travail, qui s’applique au contrat de franchise « mentionné à l‘article L.330-3 du Code de commerce (…) ». Or, ce texte, qui impose la remise d’un document d’information précontractuelle (DIP) à « toute personne qui met à la disposition d’une autre personne un nom commercial, une marque ou une enseigne, en exigeant d’elle un engagement d’exclusivité ou de quasi-exclusivité pour l’exercice de son activité », ne mentionne nullement le « contrat de franchise », même implicitement. Dès lors, de deux choses l’une : soit l’on considère que le texte commenté fait l’objet d’une maladresse rédactionnelle, de sorte qu’il y aurait lieu de lire le texte comme si la référence à l’article L.330-3 du Code de commerce n’existait pas ; soit l’on considère, au contraire, que cette référence revêt une signification. Au regard de cette seconde branche de l’alternative, deux séries d’observations peuvent être formulées. En premier lieu, il convient de s’interroger sur le point de savoir si la référence à l’article L.330-3 précité revient à considérer que l’obligation de mettre en place une instance de dialogue social s’impose à d’autres têtes de réseau que les franchiseurs. Assurément, une telle interprétation ne peut être envisagée, dès lors que le « contrat de franchise » est le seul type de contrat visé tant par l’article 64 de la loi Travail que par le décret pris pour son application. C’est également l’interprétation retenue par le Conseil constitutionnel (cf. 29ème Considérant). Toute autre interprétation serait contra legem. En deuxième lieu, si l’on veut donner un sens à cette référence, il convient (selon nous) d’exclure du champ d’application de l’article 64 de la loi Travail et du décret les contrats de franchise ne respectant pas les conditions requises par l’article L.330-3 du Code de commerce ? Selon cette interprétation, la référence à ce texte, quoique maladroitement rédigée, prendrait alors tout son sens. Ainsi, dans l’hypothèse où le contrat de franchise ne comporterait aucune obligation d’exclusivité ou de quasi-exclusivité à la charge du franchisé, il conviendrait alors de considérer qu’il ne s’agit pas de contrats « mentionnés par l’article L.330-3 du Code de commerce » au sens de l’article 64 de la loi Travail et, ce faisant, le dispositif institué ne saurait s’appliquer. C’est la solution qui, à notre avis, sera très probablement retenue par la jurisprudence.
Je songe ensuite à l’article 64, I, alinéa 1er de la loi Travail et à l’article 1er du décret qui visent les contrats de franchise contenant des clauses « ayant un effet » sur l’organisation du travail et les conditions de travail dans les entreprises franchisées. Quoiqu’il y ait beaucoup à dire sur les notions d’ « organisation du travail » et de « conditions de travail », qui ont d’ailleurs suscité un nombre non négligeable d’interventions au cours des travaux parlementaires, la notion d’« effet » va conduire à certaines discussions en pratique ; par exemple, qu’adviendra-t-il en cas de simples recommandations du franchiseur ? Ici, le contrat de franchise ne rend le franchisé débiteur d’aucune obligation et, corrélativement, ne prévoit aucune sanction en cas de non-respect de la recommandation considérée. Selon nous, la condition n’est pas remplie car l’effet visé par le texte est nécessairement d’ordre « juridique », ce qui est le propre d’un contrat ; il faut d’ailleurs rappeler, si besoin était, que l’ensemble des exemples fournis durant les travaux parlementaires se rapporte aux seules hypothèses où le franchisé se trouve juridiquement contraint. De même, qu’adviendra-t-il lorsque le contrat de franchise contient une clause ayant, par elle-même, un effet sur les conditions de travail des salariés des franchisés mais que cette obligation contractuelle fait « doublon » avec une obligation – identique – de source légale ? Selon nous, l’obligation conventionnelle ne produit pas d’effet, puisque cet effet est déjà produit par l’obligation de source légale. Une telle obligation ne correspond d’ailleurs pas à l’hypothèse voulue par le législateur ; les exemples fournis durant les travaux parlementaires se rapportent aux seules hypothèses où le franchisé subit une contrainte issue du seul contrat.
Plusieurs lacunes doivent être aussi relevées ; donnons à nouveau deux exemples.
Je songe tout d’abord aux pouvoirs du tribunal d’instance. Ni la loi ni le décret pris pour son application ne disent mot des pouvoirs du tribunal d’instance, qui dispose pourtant, en application de l’article 9, I du décret, d’une compétence pour connaître des « contestations relatives à la mise en place et au fonctionnement de l’instance de dialogue social ». Ajoutons qu’en cas de manquement du franchiseur dans la procédure de mise en place de l’instance de dialogue, le tribunal d’instance ne pourra prononcer une « injonction de faire » en application de l’article 1425-1, alinéa 1er du Code de procédure civile.
Je songe ensuite aux personnes recevables à introduire une instance devant le juge compétent. Ni l’article 64 de la loi Travail ni le décret d’application n’évoquent les personnes ayant qualité pour agir devant le tribunal d’instance en application de ces textes. A défaut de précision, les règles de procédure de droit commun sont applicables ; toute personne justifiant d’un intérêt légitime au sens de l’article 31 du Code de procédure civile pourra donc introduire l’instance.
Je me permets d’insister sur le fait que la liste des incohérences, imprécisions et lacunes est en réalité bien plus longue.
LDR : Au-delà des aspects techniques que vous venez d’évoquer, l’instance de dialogue social vous paraît-elle critiquable dans son principe ?
FLS : Oui. Ce dispositif est totalement critiquable. Trois critiques d’ensemble peuvent être formulées.
La première est générale : ce dispositif participe d’une d’immixtion prodigieusement inutile des mécanismes du droit du travail dans le droit de la distribution. Les salariés des franchisés disposent d’ores et déjà du bénéfice du Code du travail, qui ne se caractérise pas – en France – par l’insuffisance de la protection qu’il confère à ses bénéficiaires ; quant aux prérogatives de l’instance de dialogue, elles sont proches de zéro. Pourtant, la mise en œuvre de ce dispositif sera source d’une grande débauche d’énergie pour les uns et les autres compte tenu des imprécisions ou des carences du texte, qui suscitera immanquablement la discorde, pour un bénéfice imperceptible, voire inexistant pour les salariés des réseaux de franchise. Pourquoi faire simple, quand on peut faire compliqué ?
La deuxième concerne le champ d’application du texte – qui constitue une sorte de procès d’intention inconsidéré (inconscient ?) contre le système de la franchise –, et les raisons inexactes avancées pour en justifier. A cet égard, le Conseil constitutionnel a jugé que le législateur pouvait prévoir la mise en place d’une instance de dialogue dans les seuls réseaux de franchise car, selon le communiqué ayant suivi sa décision, « les caractéristiques des contrats de franchise conduisent à ce que l’encadrement des modalités d’organisation et de fonctionnement des entreprises franchisées puisse avoir un impact sur les conditions de travail de leurs salariés ». Il est vrai que cet impact peut exister dans certains contrats de franchise – ce qui justifie la condition relative à l’effet que le contrat (de franchise) peut produire sur l’organisation et les conditions de travail des salariés des franchisés –, mais le contrat de franchise est très loin d’avoir le monopole de ce possible impact : d’innombrables contrats produisent un impact au moins aussi important sur l’organisation et les conditions de travail des salariés de leur cocontractants. Nous rejoignons alors le domaine de l’approximatif, de l’incertain, en vue d’instaurer une réforme inutile.
La troisième découle des deux précédentes : un tel régime ne peut avoir qu’un effet « repoussoir » vis-à-vis des investisseurs, français et étrangers. La loi parviendra-t-elle à les décourager ? Ce n’est pas l’objectif recherché par le législateur, mais c’est à s’y méprendre.
LDR : Vous avez rédigé une analyse détaillée (45 pages) de la loi Travail et du décret du 4 mai 2017 pris pour son application. Pourquoi la rédiger et la publier ? Quand sera-t-elle disponible ?
FLS : Il me paraissait normal de présenter une analyse détaillée de ces textes pour trois raisons essentielles.
En premier lieu, l’entrée en vigueur de l’article 64 de la loi Travail et du décret n°2017-773 du 4 mai 2017 pris pour son application constitue un « événement » sur le plan du droit de la franchise dans la mesure où il s’agit des premiers textes que le législateur consacre spécifiquement au contrat de franchise.
En deuxième lieu, ainsi qu’on vient de le rappeler, ces textes font l’objet d’incohérences, d’imprécisions et de lacunes. Les acteurs de la franchise doivent donc savoir précisément les tenants et les aboutissants du dispositif qui vient d’être institué ; en connaître les faiblesses, pour mieux le maitriser et anticiper l’avenir.
Enfin, il faut bien le dire ces textes sont critiquables dans leur principe même. Nous l’avions signalé depuis l’origine, en commentant le projet de loi à chacune des étapes de son évolution. La critique vaut encore à propos de la loi promulguée ou du décret pris pour son application. Une analyse détaillée s’imposait donc de plus fort.
A rapprocher : Sommaire de l’analyse publiée aux « Petites Affiches » les 11 et 12 juillet 2017