Cass. com., 5 juill. 2017, n° 14-16.737
En matière de détermination de la juridiction compétente dans le cadre d’une action en responsabilité pour violation de l’interdiction de vente en dehors d’un réseau de distribution sélective, « le lieu où le dommage s’est produit doit être considéré comme étant le territoire de l’Etat membre qui protège ladite interdiction de vente au moyen de l’action en question, territoire sur lequel le demandeur prétend avoir subi une réduction de ses ventes ».
Ce qu’il faut retenir : En matière de détermination de la juridiction compétente dans le cadre d’une action en responsabilité pour violation de l’interdiction de vente en dehors d’un réseau de distribution sélective, « le lieu où le dommage s’est produit doit être considéré comme étant le territoire de l’Etat membre qui protège ladite interdiction de vente au moyen de l’action en question, territoire sur lequel le demandeur prétend avoir subi une réduction de ses ventes ». Les juridictions nationales sont compétentes pour connaître des litiges relatifs à des sites Internet opérant dans différents Etats membres « dès lors que les faits commis dans ces États membres ont entraîné ou risquent d’entraîner le dommage allégué dans le ressort de la juridiction saisie ».
Pour approfondir : En l’espèce, la société X exerce une activité de vente au détail de produits électroniques grand public au moyen d’un magasin physique situé à Paris et de son site Internet de vente en ligne.
La société X a conclu avec la société Y, fournisseur de produits électroniques, un contrat de distribution sélective portant notamment sur une gamme de produits haut de gamme de la marque de la société Y. La société Y a reproché à son distributeur, la société X, de violer la clause du contrat lui interdisant de commercialiser les produits sur une place de marché et lui a notifié la fin de leur relation commerciale. La société X a assigné la société Y afin d’obtenir la livraison de ces produits sans être tenue de respecter cette clause qu’elle estimait appliquée de manière discriminatoire.
Par un arrêt du 25 octobre 2012, devenu irrévocable, la Cour d’appel de Paris a rejeté les demandes de la société X. La société X, invoquant « de nouvelles transgressions de la clause au sein du réseau », a assigné la société Y ainsi que la société A pour obtenir le retrait de toute offre en place de marché portant sur des produits de la marque de la société Y sur les sites « amazon.fr », « amazon.de », « amazon.co.uk », « amazon.es » et « amazon.it ».
Par un arrêt du 6 février 2014, la Cour d’appel de Paris :
- a déclaré les demandes de la société X à l’encontre de la société Y irrecevables au motif que « la preuve de nouvelles transgressions au sein du réseau, sans incidence sur la solution du litige, ne constituant pas une circonstance nouvelle au sens de l’article 488 du code de procédure civile »,
- a déclaré les demandes de la société X irrecevables à l’encontre de la société A au motif que « la société X ne démontrait par aucune des pièces produites, notamment ses pièces 95 à 104, que la société Amazon services Europe avait tenu un rôle actif de connaissance ou de contrôle des données stockées, la privant du bénéfice du régime de responsabilité limitée applicable aux hébergeurs »,
- s’est enfin déclarée incompétente pour connaître des demandes formées contre la société Amazon services Europe relatives aux sites « amazon.de », « amazon.co.uk », « amazon.es » et « amazon.it » considérant que « le juge français n’est compétent pour connaître des litiges liés à la vente sur internet que si le site sur lequel la distribution est assurée vise le public de France et que dès lors, c’est à bon droit que le premier juge s’est déclaré incompétent pour ce qui concerne les « sites d’Amazon à l’étranger », en l’occurrence amazon.de, amazon.co.uk, amazon.es et amazon.it ».
La Cour de cassation, par un arrêt du 10 novembre 2015, a saisi la Cour de Justice de l’Union Européenne d’une question préjudicielle portant sur l’interprétation de l’article 5, point 3 du règlement (CE) n°44/2001. Aux termes de l’article 5, point 3 du règlement (CE) n°44/2001 : « Une personne domiciliée sur le territoire d’un État membre peut être attraite, dans un autre État membre: […] 3°) en matière délictuelle ou quasi délictuelle, devant le tribunal du lieu où le fait dommageable s’est produit ou risque de se produire ».
La question qui se posait ici était donc celle de savoir si les juridictions françaises étaient compétentes pour connaître des litiges relatifs à des produits offerts à la vente via des sites Internet localisés à l’étranger, à savoir : « amazon.de », « amazon.co.uk », « amazon.es » et « amazon.it ».
La Cour de Justice de l’Union Européenne, dans un arrêt en date du 21 décembre 2016, a considéré que « c’est sur le territoire dudit État membre que le dommage allégué se matérialise. En effet, en cas de violation, par l’intermédiaire d’un site Internet, des conditions d’un réseau de distribution sélective, le dommage qu’un distributeur peut faire valoir est la réduction du volume de ses ventes en conséquence de celles réalisées en violation des conditions du réseau et la perte de profits qui s’ensuit. À cet égard, la circonstance que les sites Internet, sur lesquels l’offre de produits faisant l’objet du droit de distribution sélective apparaît, opèrent dans des États membres autres que celui dont relève la juridiction saisie est sans importance, dès lors que les faits commis dans ces États membres ont entraîné ou risquent d’entraîner le dommage allégué dans le ressort de la juridiction saisie, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi d’apprécier. ».
La Cour de Justice de l’Union Européenne en a déduit : « l’article 5, point 3, du règlement n° 44/2001 doit être interprété, aux fins d’attribuer la compétence judiciaire conférée par cette disposition pour connaître d’une action en responsabilité pour violation de l’interdiction de vente en dehors d’un réseau de distribution sélective résultant de l’offre, sur des sites Internet opérant dans différents États membres, de produits faisant l’objet dudit réseau, en ce sens que le lieu où le dommage s’est produit doit être considéré comme étant le territoire de l’État membre qui protège ladite interdiction de vente au moyen de l’action en question, territoire sur lequel le demandeur prétend avoir subi une réduction de ses ventes. ».
Dans un arrêt du 5 juillet 2017, la Cour de cassation, suivant l’analyse de la Cour de Justice de l’Union Européenne, a cassé l’arrêt rendu par la Cour d’appel de Paris le 6 février 2014 qui avait considéré les juridictions françaises incompétentes au motif que les sites internet ne visaient pas le « public de France ».
Les juridictions nationales sont par conséquent compétentes pour connaitre des litiges relatifs à des sites internet opérant sur d’autres Etats membres, dès lors que la violation de l’interdiction de vente en dehors du réseau entraîne un dommage qui se matérialise sur le territoire français.
A rapprocher : CA Paris, 6 février 2014, n° 13/12976 ; CJUE, 21 décembre 2016 affaire C‑618/15