Rupture brutale de relations commerciales et préjudice indemnisable

GUILLÉ Jérôme

Avocat

CA Paris, 8 septembre 2017, n°15/23816

En application de l’article L.442-6 I, 5° du Code de commerce, seuls sont indemnisables les préjudices découlant de la brutalité de la rupture, et non de la rupture elle-même.

Ce qu’il faut retenir : En application de l’article L.442-6 I, 5° du Code de commerce, seuls sont indemnisables les préjudices découlant de la brutalité de la rupture, et non de la rupture elle-même.

Pour approfondir : Depuis 1996, la société Haulotte confiait en sous-traitance à la société Soudacier la fabrication d’éléments d’engins de manutention et de levage.

Par lettre du 1er juin 2007, Haulotte a informé Soudacier qu’elle mettait un terme définitif à leurs relations commerciales ; en octobre 2007, la société Haulotte a définitivement mis fin à la relation entretenue avec la société Soudacier.

La société Soudacier l’a alors assignée devant le tribunal de commerce de Bourges en paiement de dommages-intérêts pour rupture brutale d’une relation commerciale établie.

Avant d’arriver devant la Cour d’appel de Paris et de donner lieu à la décision ici commentée, cette affaire a été soumise successivement : au Tribunal de commerce de Bourges (jugement du 15 mai 2011), à la Cour d’appel d’Orléans (deux arrêts des 23 février 2012, puis du 5 juin 2014, rendu après cassation), et à la Cour de cassation (deux arrêts du 15 janvier 2013, puis du 20 octobre 2015).

Si les cinq décisions précédemment rendues semblent toutes avoir retenu le principe de la responsabilité de la société Haulotte pour avoir rompu brutalement sa relation commerciale établie avec la société Soudacier en accordant un préavis trop court, le débat s’est cristallisé sur les causes de préjudices indemnisables.

Ainsi la Cour de cassation, par arrêt en date du 20 octobre 2015, a cassé et annulé l’arrêt de la Cour d’appel d’Orléans du 5 juin 2014, seulement en ce qu’il a condamné la société Haulotte à payer au liquidateur judiciaire de la société Soudacier, les sommes de 52 383 euros pour le coût des licenciements économiques des salariés du site du Creusot et 16 931,25 euros pour le remboursement du loyer du site du Creusot du quatrième trimestre 2008, et a renvoyé les parties devant la Cour d’appel de Paris.

La Cour d’appel de Paris – seule juridiction de second degré compétente pour connaître des litiges relatifs à l’application de l’article L.442-6 du Code de commerce – devait donc trancher la question très concrète de savoir si la partie qui rompt brutalement des relations commerciales établies doit indemniser la victime au titre (1) des coûts des licenciements économiques que celle-ci a engagés à la suite de la rupture, et (2) des loyers des locaux dont elle n’avait plus l’utilité à la suite de la rupture.

Après avoir rappelé la formule classique selon laquelle « en application de l’article L.442-6 I, 5°, seuls sont indemnisables les préjudices découlant de la brutalité de la rupture, et non de la rupture elle-même » (voir notamment : Cass. com., 5 juillet 2016, n°15-17.004 et notre commentaire), la Cour d’appel de Paris traite l’un après l’autre chacun des préjudices en question.

S’agissant de l’indemnisation à hauteur des coûts des licenciements économiques :

Pour caractériser que la preuve n’est pas rapportée que les licenciements en cause ont été causés par la brutalité de la rupture, la Cour d’appel de Paris retient les faits suivants :

  • les licenciements concernés sont intervenus plus de 11 mois après l’annonce ou six mois après la cessation des commandes ;
  • ces licenciements ont été prononcés par suite du refus des intéressés d’accepter les postes qui leur ont été proposés ;
  • le liquidateur de la société Soudacier ne démontre pas que les salariés en cause étaient totalement dédiés à l’activité d’Haulotte ;
  • les rapports d’activité de Soudacier montrent qu’à production constante, Soudacier travaillait à plus de 85 % pour d’autres clients que Haulotte.

En définitive, si la solution retenue (le débouté de la société Soudacier) semble justifiée, on pourra regretter les motifs avancés par la Cour pour y parvenir puisque, quand bien même les salariés en cause avaient été totalement dédiés à l’activité d’Haulotte, et Haulotte représentait un pourcentage plus important de l’activité de Soudacier, les coûts des licenciements économiques résultent, le cas échéant, de la rupture elle-même, non de la brutalité de la rupture.

S’agissant de l’indemnisation à hauteur du loyer :

La même réserve peut être émise sur le second chef de préjudice puisque la Cour retient que  « Soudacier a poursuivi son activité avec Haulotte au-delà d’octobre 2007 et que les dernières livraisons ont été effectuées et facturées en avril 2008 ; et que la fermeture du site du Creusot n’est pas la conséquence de l’absence de préavis, mais de l’impossibilité d’y développer une nouvelle activité » pour écarter l’indemnisation à ce titre.

Or là encore, la motivation paraît surabondante : la charge des loyers ne saurait être un préjudice découlant de la brutalité de la rupture ; il ne pourrait, le cas échéant, que résulter de la rupture elle-même, laquelle n’est pas constitutive d’une faute.

A rapprocher : Cass. com., 5 juillet 2016, n°15-17.004 et notre commentaire

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