Cass. civ. 3ème, 7 déc. 2017, n° 16-25083
Doit être requalifié en contrat de location-gérance le contrat de gérance-mandat prévoyant qu’en cas de déficit, le gérant engage sa responsabilité illimitée quelle que soit la gravité de sa faute.
Ce qu’il faut retenir :
Doit être requalifié en contrat de location-gérance le contrat de gérance-mandat prévoyant qu’en cas de déficit, le gérant engage sa responsabilité illimitée quelle que soit la gravité de sa faute.
Pour approfondir :
Les illustrations jurisprudentielles requalifiant un contrat de gérance-mandat en contrat de location-gérance sont particulièrement rares ; l’arrêt commenté (Cass. civ. 3ème, 7 déc. 2017, n° 16-25083) permet de revenir opportunément sur cette question.
En l’espèce, une SCI donne à bail à la société P des locaux commerciaux à usage d’hôtel ; le 21 mai 2010, la société P conclu avec la société LP un contrat de gérance-mandat ; le 15 juillet 2010, la bailleresse SCI assigne la société locataire en résiliation du bail commercial pour conclusion d’une location-gérance, au motif que le convention consentie à la société LP est une location-gérance conclue sans son accord préalable en violation du bail ; la société LP est alors appelée à l’instance.
Pour qualifier le contrat conclu entre les sociétés P et LP de contrat de location gérance, la Cour d’appel (CA Aix-en-Provence, 30 juin 2016, RG n° 15/11085) retient successivement que :
- le contrat conclu entre la société P et la société LP est expressément qualifié de gérance mandat, ce qui ne fait pas obstacle à sa requalification, si l’économie du contrat ne correspond pas aux prévisions de l’article L 144-6 du code de commerce régissant la matière. Le contrat de location gérance est par application de l’article L 144-1 du code de commerce un contrat par lequel le propriétaire ou l’exploitant d’un fonds de commerce en concède la location à un gérant qui l’exploite à ses risques et périls. Le contrat de gérance mandat est prévu à l’article L 146-1 du code de commerce qui stipule : les personnes physiques ou morales qui gèrent un fonds de commerce ou un fond artisanal moyennant le versement d’une commission proportionnelle au chiffre d’affaire sont qualifiées de gérant mandataire lorsque le contrat conclu avec le mandant pour le compte duquel, le cas échéant dans le cadre d’un réseau, elle gèrent ce fonds, qui en reste propriétaire et supporte les risques liés à son exploitation, leur fixe une mission en leur laissant toute latitude dans le cadre ainsi tracé de déterminer leurs conditions de travail d’embaucher du personnel et de se substituer des remplaçants dans leur activité à leur frais et sous leur entière responsabilité. En l’espèce, le contrat conclu entre les parties comporte les clauses suivantes : article 3-8 en cas de déficit de gestion le gérant mandataire engage sa responsabilité pécuniaire de manière illimitée quelle que soit la gravité de sa faute. “Art 7 rémunération : “Le mandataire gérant aura droit : A des indemnités mensuelles fixes de 700 euros HT par mois, qu’il est autorisé à prélever à la fin de chaque mois sur les recettes de l’exploitation et qui seront passées par frais généraux, A une participation de 99% des bénéfices annuels nets de l’exploitation, déterminés après défalcation de toutes dépenses, frais généraux et charges sociales, patronales et salariales, et après déduction de la somme de 7000 euros TTC par mois à la Sarl P. En effet, si les bénéfices de l’exploitation le permettent, la société LP devra verser la somme de 7.000 euros par mois à la Sarl P complètement nette de tout impôt et charges. Toutefois, en aucun cas la Sarl P ne pourra percevoir une somme supérieure à 7000 euros TTC par mois, sauf 1% du bénéfice net en fin d’année. Cette participation de 1% lui sera versée dans la quinzaine de la clôture de l’inventaire annuel mais la somme de 7000 euros TTC lui sera versée mensuellement.” Il en ressort que la clause 3-8 met à la charge du gérant les risques financiers de l’exploitation en prévoyant sa responsabilité illimitée en cas de déficit de gestion. La clause 7 prévoit au bénéfice du propriétaire une rétrocession d’un montant mensuel de 7.000 euros qui constitue un revenu fixe hors de proportion avec la rémunération de 700 euros mensuelle versée au gérant, et démontre que le propriétaire du fonds de commerce ne supporte pas les risques de l’exploitation. Au surplus, si le gérant a en sus droit à la quasi-totalité (99%) des bénéfices nets cette attribution se fait après déduction des redevances versées au mandant ce qui conforte le fait que la rémunération du mandant est moins soumise à aléa que celle du gérant et que l’exploitation se fait en définitive aux risques et périls du gérant.
- c’est donc à juste titre que le premier juge a requalifié le contrat de gérance mandat en contrat de location gérance. […] Le premier juge a donc exactement procédé à la requalification du contrat et a considéré à juste titre que la conclusion d’un contrat de location gérance, qui est dans le bail expressément interdite sous peine de résiliation, constituait un manquement grave, instantané et irréversible aux obligations du bail justifiant sa résiliation. »
- selon ce contrat, d’une durée de trois mois renouvelable par tacite reconduction, le gérant mandataire s’engage à assurer la gérance du fonds afin d’en obtenir le meilleur rendement commercial ; qu’il ne peut modifier l’enseigne ni le nom commercial ; qu’il prend en charge les contrats de travail, les achats des marchandises et leur paiement sur les ressources de l’exploitation, le paiement des loyers ; que sa responsabilité pécuniaire est engagée de manière illimitée ; qu’outre une indemnité mensuelle fixe de 700€ HT et après déduction de la somme de 7.000€ mensuelle à la Sarl P, il perçoit 99% des bénéfices annuels nets de l’exploitation ; qu’il s’agit donc d’un contrat de location-gérance tel que régi par les articles L.144-1 à 144-3 du code de commerce, permettant à la Sarl P de conserver la propriété commerciale de son fonds de commerce et d’en tirer des revenus, peu important les modalités de calcul, le locataire-gérant se chargeant de la gestion quotidienne et assumant toutes les responsabilités ; […] que la location-gérance ci-dessus caractérisée est un manquement instantané et irréversible et, au vu de l’interdiction dans le bail de sous-louer ou de donner en gérance libre, elle constitue un motif grave justifiant la résiliation du bail aux torts de la Sarl P au jour du présent jugement,
Au regard de cette motivation, l’arrêt objet du pourvoi :
- requalifie le contrat de gérance mandat en contrat de location-gérance,
- prononce la résiliation du bail signé le 17 janvier 1964 et liant la SCI et la société P, aux torts de cette dernière, cette résiliation prenant effet le 12 juin 2010,
- ordonne l’expulsion de la société P et de tout occupant de son chef des lieux loués et condamné la société P à payer à la SCI une indemnité d’occupation égale au loyer actuel majoré de 10%, outre les charges telles que prévues dans le bail.
Le pourvoi formé contre cet arrêt souligne néanmoins :
- qu’il est expressément prévu à l’article 7 du contrat que la somme de 7.000 euros n’était versée chaque mois au propriétaire du fonds de commerce qu’à la condition que « les bénéfices de l’exploitation le permettent »,
- qu’il en résulte que le propriétaire du fonds pouvait donc être privé de tout ou partie de sa rétrocession en fonction des résultats de l’exploitation,
- qu’en retenant cependant qu’il bénéficiait d’un revenu fixe de 7.000 euros par mois et ne supportait pas les risques de l’exploitation, la cour d’appel a dénaturé les termes clairs et précis du contrat de gérance et violé le principe susvisé.
Statuant sur le pourvoi formé par la société P et Mme X… (ès qualité de commissaire à l’exécution du plan de cette société), l’arrêt commenté retient : « Mais attendu qu’ayant relevé que la convention disposait qu’en cas de déficit de gestion, le gérant engageait sa responsabilité illimitée quelle que soit la gravité de sa faute, la cour d’appel a, par ces seuls motifs, légalement justifié sa décision ».
Cette décision ne surprend pas.
Le critère de distinction entre ces deux catégories de contrat tient à la personne sur qui pèsent les risques de l’exploitation ; le locataire-gérant supporte les risques de l’exploitation, tandis qu’en présence d’un véritable contrat de gérance-mandat, le gérant-mandataire ne supporte pas les risques liés à l’exploitation, qui pèsent sur le seul mandant, propriétaire du fonds. Un tel critère découle de la lecture des articles L. 144-1 et 146-1 du code de commerce. En effet, l’article L.144-1 du code de commerce relatif à la location-gérance – texte d’ordre public – énonce qu’un tel contrat est celui « (…) par lequel le propriétaire d’un fonds de commerce ou d’un établissement artisanal en concède partiellement ou totalement la location à un gérant qui l’exploite à ses risques et périls (…) » (nous soulignons). En revanche, l’article L.146-1 alinéa 1er du code de commerce relatif au contrat de gérance-mandant dispose : « Les personnes physiques ou morales qui gèrent un fonds de commerce ou un fonds artisanal, moyennant le versement d’une commission proportionnelle au chiffre d’affaires, sont qualifiées de « gérants-mandataires » lorsque le contrat conclu avec le mandant, pour le compte duquel, le cas échéant dans le cadre d’un réseau, elles gèrent ce fonds, qui en reste propriétaire et supporte les risques liés à son exploitation, leur fixe une mission, en leur laissant toute latitude, dans le cadre ainsi tracé, de déterminer leurs conditions de travail, d’embaucher du personnel et de se substituer des remplaçants dans leur activité à leurs frais et sous leur entière responsabilité » (nous soulignons).
A rapprocher : CA Aix-en-Provence, 30 juin 2016, RG n° 15/11085