CA Paris, 22 septembre 2017, n°16/11450
Le dépôt de marque effectué frauduleusement est sanctionné par le transfert de la marque litigieuse au tiers ainsi lésé ; l’artiste dont le nom a été déposé en tant que marque par un tiers peut recourir à ce fondement pour récupérer la marque indûment déposée.
Ce qu’il faut retenir : Le dépôt de marque effectué frauduleusement est sanctionné par le transfert de la marque litigieuse au tiers ainsi lésé ; l’artiste dont le nom a été déposé en tant que marque par un tiers peut recourir à ce fondement pour récupérer la marque indûment déposée.
Pour approfondir : Il est fréquent que les artistes, et les personnalités plus généralement, déposent leur nom à titre de marque dans la perspective des activités connexes qu’elles sont amenées à développer. Tel est précisément le cas d’un célèbre chanteur, musicien, auteur et producteur américain qui a déposé en 2011 ses prénom et nom comme marque française ainsi que son prénom comme marque communautaire ; il avait également réservé en 2003 un nom de domaine dont le radical était constitué de son prénom et son nom.
Une société française avait, de son côté, déposé en 2007 une marque composée dudit prénom, marque qu’elle a cédée en 2011 à son gérant.
Ladite marque désignait notamment les produits de la classe 25 (vêtements) et était exploitée dans le cadre de la commercialisation de vêtements.
En 2014, fort du succès rencontré dans le cadre de la vente des produits ainsi marqués, le titulaire de cette marque contacta l’artiste pour lui proposer de lui céder sa marque. En réponse, ce dernier sollicita le transfert à titre gratuit de la marque et l’engagement de ne plus utiliser ni le prénom en cause, ni le prénom et le nom associés.
N’ayant pu aboutir à un règlement amiable, l’artiste assigna donc la société et souleva la nullité de la marque et, à titre subsidiaire, le transfert pour dépôt frauduleux.
Nous ne reviendrons pas sur la demande en nullité qui s’appuyait sur des questions de forme liées au dépôt en lui-même, d’autant que la demande a été rejetée, pour nous arrêter sur la demande fondée sur la fraude.
L’artiste formulait en effet une demande de transfert de marque sur le fondement de l’article L.712-6 du Code de la propriété intellectuelle selon lequel : « Si un enregistrement a été demandé soit en fraude des droits d’un tiers, soit en violation d’une obligation légale ou conventionnelle, la personne qui estime avoir un droit sur la marque peut revendiquer sa propriété en justice. A moins que le déposant ne soit de mauvaise foi, l’action en revendication se prescrit par cinq ans à compter de la publication de la demande d’enregistrement ».
La fraude s’entend comme l’intention de nuire, ici l’intention de priver autrui d’un signe nécessaire à son activité en effectuant un dépôt de marque. Une telle demande est enfermée dans un délai de prescription de 5 ans, sauf s’il est établi que le déposant est de mauvaise foi. En l’espèce, la Cour va retenir la mauvaise foi et la commission d’actes frauduleux établis par les pièces versées aux débats. Il était en effet justifié de la sortie d’albums de 2002 à 2007 par l’artiste sous son seul prénom, de classements dans les hit-parades établissant son succès et ce dès 2004, de l’obtention d’un prix en 2006, de l’association entre l’artiste et une célèbre marque d’articles sportifs pour une ligne de vêtements et chaussures en 2007, autant d’éléments établissant qu’en 2007 (date du dépôt de la marque litigieuse), le signe identifiait l’artiste américain auprès du public français.
Surtout, il ressortait des pièces que le titulaire de cette marque avait connaissance de ce fait puisque, lorsqu’il a pris attache avec l’artiste, il a lui-même mentionné avoir connaissance du fait que sa marque correspondait au prénom de l’artiste, et l’examen de ses réseaux sociaux révélait son intérêt pour l’artiste. Tous ces éléments établissaient, selon la Cour, qu’il entendait opposer sa marque à l’artiste et limiter ainsi l’exploitation par ce dernier de son prénom et/ou son patronyme. La fraude étant caractérisée, la Cour ordonne en conséquence le transfert de la marque litigieuse.
A rapprocher : article L.712-6 du Code de la propriété intellectuelle