CA Limoges, 21 nov. 2017, n°16/01308, et Ord. n°2017-1387 du 22 septembre 2017
L’activité dans le cadre d’un contrat de distribution (ici de franchise) ne suffit pas à démontrer l’absence de possibilité de permutation du personnel, l’indépendance des entreprises et l’absence des liens capitalistiques entre elles n’étant pas de nature à faire obstacle à la reconnaissance d’un groupe de reclassement.
Ce qu’il faut retenir : L’activité dans le cadre d’un contrat de distribution (ici de franchise) ne suffit pas à démontrer l’absence de possibilité de permutation du personnel, l’indépendance des entreprises et l’absence des liens capitalistiques entre elles n’étant pas de nature à faire obstacle à la reconnaissance d’un groupe de reclassement. Toutefois, l’ordonnance n°2017-1387 du 22 septembre 2017, entrée en vigueur le 24 septembre 2017, devrait modifier cette jurisprudence bien établie.
Pour approfondir : L’arrêt commenté retient une solution « posthume », que l’ordonnance du 22 septembre 2017 devrait désormais supprimer.
I. La jurisprudence avant l’entrée en vigueur de l’ordonnance du 22 septembre 2017
Une nouvelle fois, les juges du fond viennent de rappeler l’obligation de moyen pesant sur l’employeur appartenant à un réseau de distribution (ici un franchisé), de reclasser un employé déclaré inapte à l’exercice de ses fonctions, au sein de ce même réseau. Cet arrêt, rendu par la Cour d’appel de Limoges, s’inscrit dans le cadre d’une jurisprudence bien établie ; elle y rappelle, en effet, clairement que :
« S’agissant du périmètre de reclassement, l’activité dans le cadre d’un contrat de franchise ne suffit pas à démontrer l’absence de possibilité de permutation du personnel, l’indépendance des entreprises et l’absence des liens capitalistiques entre elles n’étant pas de nature à faire obstacle à la reconnaissance d’un groupe de reclassement ».
Dès lors que l’organisation du réseau rend possible la permutation du personnel, l’obligation de reclassement a donc vocation à s’appliquer entre des entreprises relevant du même réseau de franchise. En conséquence, le licenciement pour inaptitude non justifié au regard d’une impossibilité de reclasser l’employé s’assimile à un licenciement abusif ou sans cause réelle et sérieuse ; cette solution est connue (Cass. soc., 10 déc. 2014, n°13-18.679 ; CA Aix-en-Provence, 6 juin 2014, n°12/04674 et notre commentaire ; CA Lyon, 5 juillet 2012, n°10/09141 ; CA Riom, 13 déc. 2011, n°10/02369 et notre commentaire ; Cass. soc., 25 mai 2011, n°10-14.897 ; Cass. soc., 7 juillet 2009, n°08-40.689 et notre commentaire ; Cass. soc., 20 févr. 2008, n°06-45.335).
Au contraire, lorsque le réseau de franchise est organisé de telle façon que chacun des franchisés demeure totalement indépendant vis-à-vis des autres franchisés et du franchiseur – de telle sorte que toute permutation est, de facto, impossible – l’obligation de chercher à reclasser son salarié au sein du réseau ne saurait alors peser sur l’employeur (v. par ex., Cass. soc., 16 nov. 2016, n°14-30.063 ; Cass. soc., 15 janv. 2014, n°12-22.944 ; CA Rouen, 3 déc. 2013, n°13/01279 ; CA Toulouse, 24 mai 2012, n°11/006681).
La Cour d’appel de Limoges fait ici l’exacte application du critère jurisprudentiel énoncé et rappelé dans ces décisions : la permutabilité de personnel est le seul critère permettant de déterminer si l’obligation de reclassement de l’employeur s’étend, ou non, à l’ensemble du réseau de franchise. L’indépendance juridique des sociétés franchisées et l’absence de liens capitalistiques entre elles ne sauraient faire obstacle à la reconnaissance d’un groupe de reclassement des salariés pour l’exécution de l’obligation de reclassement pesant sur l’employeur (voir déjà CA Versailles, 1er mars 2017, n°15/02579 et notre commentaire).
En l’espèce, un équipier de la société M avait vu son contrat de travail transféré dans le cadre d’une cession de franchise, à une société B. Suite à plusieurs arrêts maladie, que le salarié attribuait à son employeur, celui-ci saisissait le conseil des prud’hommes afin, notamment, de demander la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts exclusifs de son employeur, et d’obtenir des dommages-intérêts pour licenciement abusif. Il était déclaré inapte à son poste de travail par la médecine du travail en mai 2016, puis licencié pour inaptitude en août. Le conseil des prud’hommes faisait partiellement droit à ses demandes ; la société B interjetait appel de cette décision devant la Cour d’appel de Limoges.
Si la Cour d’appel de Limoges s’étend longuement dans ses motifs, sur les circonstances de la rupture du contrat de travail, nous nous contenterons ici d’étudier son analyse relative à l’obligation de reclassement pesant sur l’employeur, franchisé du réseau M, sur le fondement de l’article L.1226-2 du code du travail.
La Cour apprécie ici, in concreto, s’il existe ou non au sein du réseau de franchise une possibilité de permutation du personnel (pour la nécessité d’une appréciation in concreto, voir aussi : Cass. soc., 15 janv. 2014, n°12-22.944 ; CA Toulouse, 24 mai 2012, n°11/00681, précitées).
Se fondant sur les éléments suivants, elle répond à cette question par l’affirmative :
- ce réseau comprend des établissements ayant des activités, des objectifs et une structure d’emplois identiques, soumis au respect de normes minimales de qualité et d’hygiène, de normes d’organisation administrative et de gestion ;
- l’adhésion au réseau suppose l’intégration de la société dans un système de stages de formation et de recrutement – la Cour souligne notamment la centralisation des offres d’emplois des sociétés franchisées sur le site internet du franchiseur ;
- L’existence de formations modélisées spécifiques au franchiseur et d’un réseau de stages ou d’échanges de pratiques entre les franchisés.
Ainsi, selon la Cour, « il s’en déduit que ces établissements présentent suffisamment de points communs imposés par la franchise dans le cadre d’un fonctionnement en réseau, notamment dans le champ des ressources humaines, pour permettre un reclassement des salariés dans le cadre de ce réseau ».
C’est sur l’employeur que repose la charge de démontrer qu’il s’est acquitté de son obligation de reclassement – obligation de moyens – et, le cas échéant, de rapporter la preuve de l’impossibilité de reclassement qu’il allègue.
Or, force est de constater en l’espèce selon la Cour, que la société B n’apporte aucune preuve de l’absence de permutabilité du personnel entre les établissements du réseau ; considérant au contraire que la permutation de personnel était possible en observant notamment que la société B s’est elle-même adressée à d’autres franchisés exploitant des restaurants dans sa région en vue du reclassement de son salarié
Deux conclusions doivent être tirées de cette analyse :
- non seulement la société franchisée ne démontre pas l’absence de permutabilité qui l’exonèrerait de rechercher à reclasser son salarié dans le réseau de franchise,
- mais, en plus, les recherches de reclassement chez d’autres franchisés de sa région s’avèrent insuffisantes pour que l’obligation de moyen de l’employeur soit remplie. En effet, la Cour décide que « en ne procédant pas à une interrogation plus large des autres sociétés membres de la franchise présentes sur le territoire national, la [société B] n’a pas satisfait à son obligation de recherche sérieuse, loyale et concrète de reclassement ».
Le licenciement du salarié doit être considéré comme dénué de cause réelle et sérieuse.
Si cet arrêt s’inscrit dans la droite ligne de la jurisprudence antérieure, la solution retenue ne devrait pas survivre à l’entrée en vigueur, le 24 septembre dernier, de l’ordonnance n°2017-1387 du 22 septembre 2017.
II. Le champ d’application restreint par l’ordonnance n°2017-1387 du 22 septembre 2017
L’article 7 de cette ordonnance modifie en effet l’article L.1226-2 du code du travail, qui fonde l’obligation de reclassement de l’employeur en cas d’inaptitude du salarié.
En particulier, la notion de « groupe » y est redéfinie – et restreinte. L’alinéa 2 de l’article L.1226-2 précité indique en effet, que « pour l’application du présent article, le groupe est défini conformément au I de l’article L.2331-1 ».
Or, selon l’article L.2331-1 du code du travail, le « groupe » est caractérisé dans deux cas :
I. Lorsqu’il est « formé par une entreprise appelée entreprise dominante, dont le siège social est situé sur le territoire français, et les entreprises qu’elle contrôle dans les conditions définies à l’article L. 233-1, aux I et II de l’article L. 233-3 et à l’article L. 233-16 du code de commerce ».
Les articles L.233-1 et L.233-3, I° et II° du code de commerce précisent les différentes hypothèses de contrôle, qu’il soit de droit ou simplement présumé. En effet, selon l’article L.233-1 du code de commerce, « lorsqu’une société possède plus de la moitié du capital d’une autre société, la seconde est considérée, pour l’application des sections 2 et 4 du présent chapitre, comme filiale de la première ». De même, selon l’article L.233-3, I° du code de commerce, « Toute personne, physique ou morale, est considérée, pour l’application des sections 2 et 4 du présent chapitre, comme en contrôlant une autre 1° Lorsqu’elle détient directement ou indirectement une fraction du capital lui conférant la majorité des droits de vote dans les assemblées générales de cette société ; 2° Lorsqu’elle dispose seule de la majorité des droits de vote dans cette société en vertu d’un accord conclu avec d’autres associés ou actionnaires et qui n’est pas contraire à l’intérêt de la société ; 3° Lorsqu’elle détermine en fait, par les droits de vote dont elle dispose, les décisions dans les assemblées générales de cette société ; 4° Lorsqu’elle est associée ou actionnaire de cette société et dispose du pouvoir de nommer ou de révoquer la majorité des membres des organes d’administration, de direction ou de surveillance de cette société ». Puis, selon l’article L.233-3, II° du code de commerce, « elle est présumée exercer ce contrôle lorsqu’elle dispose directement ou indirectement, d’une fraction des droits de vote supérieure à 40 % et qu’aucun autre associé ou actionnaire ne détient directement ou indirectement une fraction supérieure à la sienne ». Quant à l’article L.233-16 du code de commerce, il évoque les notions de contrôle exclusif ou conjoint.
II. Lorsqu’il est formé par « une entreprise exerçant une influence dominante sur une autre entreprise dont elle détient au moins 10% du capital, lorsque la permanence et l’importance des relations de ces entreprises établissent l’appartenance de l’une et de l’autre à un même ensemble économique ».
L’ « influence dominante » est présumée établie lorsqu’une entreprise, directement ou indirectement :
- peut nommer plus de la moitié des membres des organes d’administration, de direction ou de surveillance d’une autre entreprise ;
- ou dispose de la majorité des voix attachées aux parts émises par une autre entreprise ;
- ou détient la majorité du capital souscrit d’une autre entreprise.
Ainsi, les I° et II° de l’article L. 2331-1 du code du travail subordonnent la notion de « groupe » à l’existence d’une prise de participation au capital. Ce faisant, le « groupe » – au sens de l’article L. 1226-2 du code du travail – ne saurait désormais être constitué par un réseau de distribution dès lors qu’il n’existe aucun lien capitalistique entre la tête de réseau et le distributeur. La solution s’impose quelle que soit la nature du réseau de distribution considéré. Lorsque la participation du franchiseur dans le capital du franchisé dépasse le seuil de 10% prévu au II° de l’article L. 2331-1 du code du travail, encore faudra-t-il que les conditions posées par ce texte soient remplies. Dans l’écrasante majorité des cas, ces conditions ne seront pas remplies.
A rapprocher : CA Versailles, 1er mars 2017, n°15/02579 et notre commentaire