CA Paris, 10 janvier 2018, n°15-02.432
Les dispositions de l’article L.442-6, I, 5 ° du Code de commerce sanctionnant la rupture brutale de relations commerciales établies ne s’appliquent pas aux relations commerciales poursuivies à l’issue du terme d’un contrat de distribution à durée déterminée sans possibilité de tacite reconduction, lesquelles sont « nécessairement précaires ».
Ce qu’il faut retenir : Les dispositions de l’article L.442-6, I, 5 ° du Code de commerce sanctionnant la rupture brutale de relations commerciales établies ne s’appliquent pas aux relations commerciales poursuivies à l’issue du terme d’un contrat de distribution à durée déterminée sans possibilité de tacite reconduction, lesquelles sont « nécessairement précaires ».
Pour approfondir : Une société de droit espagnol A.L., créatrice d’une marque de prêt-à-porter, a confié à une société de droit français A., spécialisée dans le commerce de gros d’habillement et de chaussures, la distribution exclusive en France de ses produits pour une période de 3 ans, correspondant à 6 saisons, soit jusqu’au 10 août 2010. Le renouvellement de ce contrat, par périodes successives de 3 ans, était conditionné à un accord exprès et écrit des deux parties avant son échéance.
Ce contrat est arrivé à son terme le 10 août 2010 sans qu’aucun accord ne soit formalisé pour son renouvellement.
Les relations commerciales entre les parties se sont ensuite poursuivies de manière informelle, mais se sont semble-t-il altérées après quelques difficultés rencontrées auprès des clients du distributeur français. Les parties ne sont pas parvenues à s’entendre sur les conditions de vente des produits et la société française a annulé certaines commandes les 13 février et 5 avril 2011. Par courrier du 11 janvier 2012, la société espagnole a rompu les relations commerciales, ce dont la société française a pris acte par lettre RAR du 11 février 2012.
Par exploit du 24 octobre 2012, la société française a assigné la société espagnole en indemnisation pour rupture brutale de relations commerciales établies par devant le Tribunal de Commerce de Lyon, lequel a notamment, par jugement rendu le 15 septembre 2014 :
- constaté l’absence de brutalité de la rupture des relations commerciales,
- débouté la société française de l’intégralité de ses demandes et prétentions.
La société française a interjeté appel de ce jugement.
Par un arrêt rendu le 10 janvier 2018, la Cour d’Appel de Paris a dit la société française mal fondée en toutes ses demandes de dommages-intérêts pour rupture brutale de relations commerciales établies et a confirmé le jugement en toutes ses dispositions en considérant que :
« Le caractère provisoire des relations commerciales à l’issue du terme du contrat à durée déterminée sans possibilité de tacite reconduction, les fait nécessairement échapper à l’application de l’article L.442-6, I, 5° du Code de Commerce ».
La Cour a en effet considéré que :
- « Il n’est pas discuté que le contrat de distribution du 10 août 2007 a été conclu pour une période déterminée de 3 ans, que son renouvellement était conditionné à un accord exprès et écrit des parties avant son échéance (article 10), qu’il est arrivé à son terme le 10 août 2010 sans qu’aucun accord pour son renouvellement ne soit formalisé et que les relations commerciales entre les parties se sont poursuivies de manière informelle jusqu’au 11 janvier 2012.
- Il en résulte que les parties ont choisi d’inscrire leur relation commerciale dans le cadre d’un contrat à durée déterminée, sans possibilité de tacite reconduction et que faute d’accord écrit sur les conditions de sa poursuite, préalablement à son terme, le contrat du 10 août 2007 est venu à expiration le 10 août 2010, ce terme étant connu depuis l’origine par la société A.
- A compter du 11 août 2010, il s’en est donc suivi une période de relations nécessairement précaires, résiliables à tout moment, au cours de laquelle les parties étaient libres de convenir d’un nouveau contrat de distribution ou de nouer des relations avec d’autre partenaires. L’envoi de propositions de nouvelles conditions générales de distribution par la société A par courriel du 25 mai, retournées avec des propositions de modifications par la société A.L., par courriel du 23 juin 2011 précisant « nous en reparlerons de manière à trouver le meilleur accord possible pour les deux parties », s’inscrit dans le cadre de négociations en vue de la signature d’un nouvel accord et ne démontrent aucunement ni que la société A.L. ait accepté les propositions de la société A. et ni qu’elle se soit engagée à poursuivre des relations contractuelles pérennes. Il ne ressort d’aucun élément que cette dernière ait pu raisonnablement croire à leur nécessaire poursuite et ce, d’autant que le 28 décembre 2011, la société A.L. lui a rappelé la nécessité de rediscuter des conditions de vente pour l’avenir » (Nous soulignons).
On peut s’interroger sur la portée de cet arrêt, qui exclut très clairement du champ d’application des dispositions de l’article L.442-6, I, 5° les relations entretenues entre les parties à l’issue du terme d’un contrat à durée déterminée sans possibilité de tacite reconduction, en retenant la « nécessaire précarité » des relations ainsi poursuivies.
La Cour a semble-t-il axé son raisonnement sur la croyance légitime des parties dans la continuité de la relation commerciale, en considérant qu’il ne ressortait d’aucun élément du dossier que la société française « ait pu raisonnablement croire à leur nécessaire poursuite ».
La Cour rejoint ainsi le raisonnement tenu récemment par la chambre commerciale de la Cour de Cassation dans une espèce où deux parties avaient conclu plusieurs contrats de concession successifs, le dernier ayant été signé le 1er novembre 2006 pour une durée de 36 mois. Avant l’issue de ce dernier contrat, le concédant a manifesté sa volonté, dans l’hypothèse de la signature d’un nouveau contrat, de modifier la zone géographique dévolue à son concessionnaire. Ce dernier ayant refusé ce nouveau découpage géographique, l’estimant non viable économiquement, le concédant n’a pas renouvelé son dernier contrat de concession et a confié sa zone territoriale à un nouveau concessionnaire. Le concessionnaire a assigné son ancien concédant en paiement de dommage et intérêts. Celui-ci a cependant été débouté de ses demandes par un arrêt rendu le 16 avril 2015 par la Cour d’Appel de PARIS. Saisi d’un pourvoi contre cet arrêt, la Cour de Cassation l’a rejeté sur le point qui nous intéresse en considérant :
« qu’ayant relevé que le contrat de concession avait été conclu pour une durée de trente-six mois et qu’il ne comportait aucune clause de tacite reconduction, de sorte qu’il prenait fin le 31 octobre 2009, l’arrêt retient que le non-renouvellement d’un tel contrat constitue un droit pour chacune des parties et que la société Xerox n’était pas tenue, lors de son échéance, de signer un nouveau contrat à l’identique ; qu’il en déduit que cette société n’a fait qu’user de son droit en proposant à son concessionnaire, dans un délai raisonnable, avant l’expiration du contrat en cours, de nouvelles modalités quant au découpage du périmètre concédé ; que la cour d’appel ayant, par ces seuls motifs, légalement justifié sa décision, le grief de la première branche, qui critique des motifs surabondants, est inopérant » (Cass. com., 11 janvier 2017, n° 15-13780 et 15-17548).
A rapprocher : Cass. com., 11 janvier 2017, n° 15-13780 et 15-17548