Cass. crim., 19 décembre 2017, n°17-83.867
La Cour de cassation sanctionne la pratique de la revente à perte effectuée entre professionnels et rappelle que la Directive n°2005/29/CE du 11 mai 2005 condamnant les pratiques commerciales déloyales s’applique uniquement aux pratiques qui portent directement atteinte aux intérêts économiques des consommateurs et ne s’applique donc pas aux transactions entre professionnels.
Ce qu’il faut retenir : La Cour de cassation sanctionne la pratique de la revente à perte effectuée entre professionnels et rappelle que la Directive n°2005/29/CE du 11 mai 2005 condamnant les pratiques commerciales déloyales s’applique uniquement aux pratiques qui portent directement atteinte aux intérêts économiques des consommateurs et ne s’applique donc pas aux transactions entre professionnels. Le fait d’interdire la revente à perte entre professionnels est donc légitime, dès lors que cette pratique ne porte pas directement atteinte aux intérêts économiques des consommateurs.
Pour approfondir : Une centrale d’achat achète des paires de baskets auprès de son fournisseur qu’elle revend ensuite aux magasins à un prix inférieur à leur prix d’achat effectif. Une action est alors engagée à l’encontre de la centrale d’achat pour infraction à la réglementation interdisant la pratique de la revente à perte.
L’article L.442-2 du Code de commerce prévoit en effet que « le fait, pour tout commerçant, de revendre ou d’annoncer la revente d’un produit en l’état à un prix inférieur à son prix d’achat effectif est puni de 75.000 € d’amende. (…) ». Le texte ne donne aucune précision sur l’identité du destinataire de l’offre ou l’acheteur : l’interdiction s’applique donc, dès lors qu’une opération de « revente » est identifiée, que la pratique soit mise en œuvre à destination d’un professionnel ou d’un consommateur.
En première instance, le tribunal correctionnel n’a pas condamné la centrale d’achat pour pratiques de revente à perte. Un appel a été interjeté et la Cour d’appel de Rennes, par un arrêt du 28 avril 2016, a infirmé sur ce point le jugement rendu en première instance.
Pour sa défense, la centrale d’achat a soutenu que la réglementation française prohibant la revente à perte était inconventionnelle à la Directive n°2005/29/CE du 11 mai 2005 du Parlement européen et du Conseil de l’UE relative aux pratiques commerciales déloyales des entreprises vis-à-vis des consommateurs dans le marché intérieur et à la position adoptée par la Cour de justice de l’Union européenne.
S’agissant tout d’abord de la Directive n°2005/29/CE, la centrale rappelle que le texte condamne les pratiques commerciales déloyales et qu’il pose deux conditions pour qu’une pratique commerciale soit considérée comme déloyale, à savoir : a) être « contraire aux exigences de la diligence professionnelle » et b) « altère[r] ou [être] susceptible d’altérer de manière substantielle le comportement économique, par rapport au produit, du consommateur moyen qu’elle touche ou auquel elle s’adresse, ou du membre moyen du groupe lorsqu’une pratique commerciale est ciblée vers un groupe particulier de consommateurs » (article 5 de la Directive). En substance, selon la centrale, le fait d’interdire la revente à perte porterait atteinte aux intérêts du consommateur, et serait par conséquent contraire aux dispositions de la Directive.
La centrale a également invoqué la décision de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) du 7 mars 2013 rendue à propos de la loi belge, laquelle prohibe la revente à perte, à l’instar du droit français. La centrale a ainsi relevé que, dans cette décision, la CJUE a rappelé que, par principe, la directive « doit être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à une disposition nationale, telle que celle en cause au principal, qui prévoit une interdiction générale d’offrir à la vente ou de vendre des biens à perte, pour autant que cette disposition poursuit des finalités tenant à la protection des consommateurs ». Il convient néanmoins de noter que la CJUE a toutefois estimé dans cette affaire qu’il ne lui appartenait pas de se prononcer sur l’interprétation du droit interne et de déterminer si la réglementation de la revente à perte s’inscrivait dans le cadre d’une pratique commerciale déloyale (CJUE, ord. 7 mars 2013, aff. C-343/12).
En définitive, la centrale a soutenu que le fait d’interdire la revente à perte porterait atteinte aux intérêts du consommateur et que l’interdiction posée par l’article L.442-2 du Code de commerce constituerait ainsi une pratique commerciale déloyale au sens de la Directive du 11 mai 2005 ; la centrale en déduisait que la réglementation française prohibant la revente à perte serait ainsi inconventionnelle avec la Directive et la position de la CJUE.
La Haute Cour a cependant approuvé la position adoptée par les juges du fond en ce qu’ils ont condamné la centrale d’achat pour infraction à l’interdiction de la revente à perte.
La Cour de cassation, pour confirmer la condamnation de la centrale, a relevé qu’en l’espèce la pratique litigieuse avait été mise en œuvre entre professionnels : la centrale d’achat avait revendu à des professionnels, des produits à un prix inférieur à leur prix d’achat effectif. Dans ce contexte, la Cour de cassation a considéré que la Directive invoquée par la centrale ne trouvait pas à s’appliquer.
En effet, la Cour a estimé que la Directive prohibant les pratiques commerciales déloyales ne s’appliquait « qu’aux pratiques qui portent directement atteinte aux intérêts économiques des consommateurs et, ainsi, ne s’applique pas aux transactions entre professionnels ». La Haute Cour a ainsi considéré que dès lors que la pratique litigieuse ne concernait que des professionnels, elle ne pouvait pas directement porter atteinte aux intérêts du consommateur ; en conséquence, les conditions posées par l’article 5 de la Directive pour considérer qu’une pratique commerciale est déloyale ne seraient pas remplies.
Selon la Cour de cassation, l’interdiction de la revente à perte viserait donc à protéger prioritairement la concurrence et, en conséquence, ne tomberait pas sous le coup de l’application de la Directive prohibant les pratiques commerciales déloyales. Ainsi, lorsque la pratique commerciale – en l’occurrence la revente à perte – n’aurait pas pour finalité de protéger les consommateurs mais d’éliminer du marché les distributeurs locaux et d’accaparer ensuite le marché pour pratiquer des prix normaux, voir supérieurs, alors l’interdiction de cette pratique serait dans ce cas justifiée et ne serait pas inconventionnelle.
Il convient toutefois de souligner que la Chambre criminelle de la Cour de cassation a souligné que la Directive n’avait pas vocation à s’appliquer dès lors que la pratique litigieuse en cause avait été mise en œuvre « entre professionnels ». Cela signifie-t-il que la prohibition de la revente à perte pourrait être condamnée, au regard de la Directive, dans l’hypothèse où elle serait mise en œuvre directement à l’encontre de consommateurs et qu’une telle pratique pourrait ainsi « directement » leur porter atteinte ? Il conviendra de suivre les prochaines décisions qui seront rendues par la Cour de cassation sur ce sujet.
A rapprocher : article L.442-2 du Code de commerce ; Directive n°2005/29/CE du 11 mai 2005 du Parlement européen et du Conseil de l’UE relative aux pratiques commerciales déloyales des entreprises vis-à-vis des consommateurs dans le marché intérieur et à la position adoptée par la Cour de justice de l’Union européenne ; CJUE, ord. 7 mars 2013, aff. C-343/12.