Cass. soc., 19 septembre 2013, n°12-17.494
Les juges du fond ayant constaté au vu des courriels et des courriers adressés par la société mandante que le gérant-mandataire effectuait un travail sous l’autorité de la société mandante qui lui avait adressé un avertissement et l’avait menacé d’une remise en cause de leur collaboration si elle recevait de nouvelles plaintes contre un membre du personnel, peuvent en déduire que de telles relations contractuelles caractérisaient un contrat de travail.
Par la décision commentée, la Cour de cassation (Cass. soc., 19 septembre 2013, n°12-17.494, inédit) approuve une Cour d’appel (CA Orléans, 16 février 2012, n°11/01939) d’avoir requalifié un contrat de gérance-mandat en contrat de travail.
Dans cette affaire, la Cour d’appel (CA Orléans, 16 février 2012, n°11/01939) avait tout d’abord retenu que l’existence d’un contrat de travail est caractérisée par un travail, une rémunération et une subordination juridique du salarié par rapport à employeur. En l’état, la Cour d’appel avait relevé que les deux premières conditions étaient manifestement remplies et qu’il s’agissait donc d’analyser l’existence de la relation entre la société Saxotel et la société J.Y Y, l’existence d’une relation de travail salarié ne dépendant en définitive « ni de la volonté exprimée par les parties, ni de la dénomination qu’elles ont donnée à leur convention, mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l’activité considérée ».
Deux séries d’indices avaient conduit à cette requalification :
- d’une part, le contrat de gérance-mandat comportait lui-même un certain nombre de dispositions de nature à réduire à l’excès la marge de manœuvre laissée au gérant-mandataire dès lors qu’en l’espèce, celui-ci devait :
- déposer les recettes sur le compte bancaire du mandant et ne pas détenir plus de 3.000 € ;
- fournir des rapports hebdomadaires au mandant, assortis de rappel à l’ordre éventuel ;
- gérer la comptabilité selon le mode informatisé et la transmettre au mandant selon des directives préétablies ;
- faire régler la location des chambres ou les prestations de services annexes au comptant ;
- ne pas modifier les tarifs des chambres, sans avoir, au préalable, pris contact avec le mandant, puisque l’article 9 du contrat de gérance-mandat précisait que le mandataire devrait se conformer à la politique des prix fixée par la société SAXOTEL.
- d’autre part, la teneur des courriels ou des courriers que la société mandante envoyait au mandataire révèle les faits suivants :
- la société Y devait vérifier scrupuleusement chaque livraison et l’informer de l’arrivée de marchandises et de tout problème pouvant survenir dans la livraison ;
- elle était soumise à l’accord du mandant pour la remise en service du système Internet ;
- elle devait utiliser un tableau permettant de réaliser le contrôle mensuel de la balance du solde clients qui devait être transmise chaque mois avec la copie des factures ;
- annoter un document préétabli pour préciser si des matériels avaient fait l’objet d’un remplacement, si oui, à quelle date et joindre l’attestation mentionnant l’attestation en cas de rebut ou de reprise par un fournisseur ;
- modifier les tarifs selon les prescriptions du mandant pour les chambres et les petits déjeuners en sorte qu’il devait également prévoir la modification tarifaire sur tous les supports (panneaux, pré- enseignes, Winner, tarifs dans les chambres etc…) ;
- mettre en place des prises parafoudres et des onduleurs pour protéger les ordinateurs dans les meilleures conditions, et pour pouvoir procéder à une commande rapidement, il convenait de transmettre les besoins pour ces deux appareils par retour de courriel ;
- rajouter les éléments suivants sur les rapports hebdomadaires, pour suivre au plus près le chiffre d’affaires : le chiffre d’affaires TTC à ce jour et le chiffre d’affaires TTC l’année dernière à la même date ;
- de mettre dans une chemise séparée toutes les factures, alimentaires ou pas devant faire l’objet d’un règlement réception des factures, la mention indiquée sur cette chemise étant : « factures à régler à réception » ;
- recevoir l’intervention de la société TISSAGES de NANTES pour l’installation des tringles de rideaux dans les chambres, le matériel étant livré au préalable en début de semaine. Il convenait, par retour de courriel, de confirmer la prise en compte de cette information
- de mettre en place derrière la porte de chaque chambre, dès réception des consignes d’incendie spéciales chambre d’hôtel, qui seront complétées un peu plus tard par un plan de l’étage avec identification de la chambre, et de préparer sur traitement de texte dans un tableau faisant, au minimum, 12 cm sur 8 et avec des lettres d’au moins 1 cm, les prix des chambres (tarif semaines et tarifs week-ends, supplément troisième personne si besoin), ce document devant être plastifié pour affichage derrière chaque porte de chambre et le tarif du petit déjeuner devait aussi figurer sur ce tableau ;
- d’acheter uniquement et exclusivement l’encre par une société de l’HÉRAULT pour les fax, imprimantes et compagnie. En cas de problème de commandes, il convenait de faire remonter l’information au mandant pour qu’il puisse intervenir directement auprès de ses fournisseurs
- de mettre en place une banderole supplémentaire ‘réception ouverte 24 heures sur 24 » qui sera positionnée sur le côté du bâtiment pour accentuer la visibilité de l’ouverture 24 heures sur 24 ;
- à compter du 2 janvier 2009, de faire parvenir les demandes de remboursement des devis et les résultats impérativement par courriel uniquement de cette façon ;
- de transmettre l’ensemble des éléments constituant un même dossier ou un même envoi, ce qui évite à la fois de perdre des documents et des frais postaux inutiles ;
- de transmettre les documents relatifs à l’année 2007 auprès de la société ARCHIVECO seulement et non les documents comptables de l’année 2008 qui doivent rester sur place ;
- d’adresser par courriel des comptes-rendus hebdomadaires ;
- de mettre en place la machine à jus d’orange qui a été achetée, suivant leurs consignes, et comme le mandataire avait quelques jours de retard, il est invité à la mettre en service dans les 24 heures ;
- la société ne devait en aucun cas accepter de prise en charge débiteur sauf autorisation de la part du président. Lorsqu’une agence donne les coordonnées d’une carte à débiter, elle doit, dans un premier temps, donner l’autorisation par écrit et ce débit doit intervenir impérativement avant l’arrivée du groupe et ce, afin d’éviter les déconvenues déjà connues ;
- remettre de la propreté sur les accès à l’hôtel puisque, devant la porte d’entrée, il existait beaucoup de mégots de cigarettes et de papiers divers.
Le moyen invoqué au soutien du pourvoi s’articulait en trois branches ; le mandant indiquait en effet :
- que les normes de gestion que doit respecter le gérant-mandataire d’un hôtel dont le mandant est propriétaire du fonds de commerce et supporte les risques liés à l’exploitation, sont inhérentes au contrat de gérance-mandat et ne suffisent pas à emporter la qualification de contrat de travail ; qu’en se fondant sur les stipulations contractuelles du contrat de gérance-mandat du 1er juin 2007 selon lesquelles la société JY Baladier devait rendre compte de sa gestion comptable selon les modalités définies par la société Saxotel Saran et respecter les directives de celle-ci pour la fixation du prix des chambres, soit sur des obligations constitutives de limites normales apportées à l’autonomie de gestion d’une société gérante mandataire, la cour d’appel a violé l’article L. 146-1 du code de commerce par défaut d’application et l’article L. 1221-1 par fausse application ;
- que le gérant-mandataire d’un hôtel qui conserve toute liberté, dans le cadre de son mandat, de déterminer ses conditions de travail, d’organiser son emploi du temps, d’embaucher ou de remplacer du personnel n’est pas lié par un contrat de travail, quand bien même la société mandante, propriétaire de plusieurs hôtels, veille au respect du contrat de gérance-mandat et des normes communes à ses hôtels, en procédant en particulier au suivi d’opérations lors de l’engagement de dépenses affectant l’exploitation de l’hôtel ; que la société Saxotel Saran a fait valoir que M. X… organisait librement son emploi du temps, prenait ses vacances quand il le souhaitait, fixait sa rémunération, embauchait à sa convenance le personnel nécessaire, que sa société qui disposait de son propre expert-comptable, avait d’ailleurs pris la gérance d’un autre hôtel ; qu’en se fondant sur un ensemble d’éléments liés à l’exécution du mandat par la société JY Baladier et au contrôle que la société Saxotel Saran était en droit d’exercer en sa qualité de mandataire et propriétaire de plusieurs hôtels, sans rechercher si M. X… n’avait pas gardé toute latitude de déterminer ses conditions de travail et d’embaucher du personnel, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article L. 146-1 du code de commerce ;
- que le lien de subordination suppose l’exercice par l’employeur de son pouvoir disciplinaire ; que cet élément est même déterminant lorsqu’est en cause la requalification en contrat de travail du contrat de gérance-mandat qui implique l’existence de directives et de contrôle de la part du mandant ; qu’en se bornant à relever que la société Saxotel Saran avait exprimé son insatisfaction sur le comportement d’un des salariés de la société JY Baladier lors de l’installation d’un système Wifi qu’elle avait commanditée, la cour d’appel, qui n’a pas caractérisé l’exercice d’un quelconque pouvoir disciplinaire de la société Saxotel Saran à l’encontre de M. X…, a violé les articles L. 146-1 du code de commerce et L. 1221-1 du code du travail.
La Cour de cassation (Cass. soc., 19 septembre 2013, n°12-17.494, inédit) rejette le pourvoi formé contre cette décision et retient :
« Mais attendu qu’ayant constaté au vu des courriels et des courriers adressés par la société mandante que M. X… effectuait un travail sous l’autorité de la société Saxotel Saran qui lui avait adressé un avertissement et l’avait menacé d’une remise en cause de leur collaboration si elle recevait de nouvelles plaintes contre un membre du personnel, a pu en déduire que les relations contractuelles caractérisaient un contrat de travail ; que le moyen n’est pas fondé ».
A rapprocher : Cass. soc., 8 juin 2010, n°08-44.965